L’école menacée par les autoritarismes?

Dans l'enfer des camps décrit par Primo Levi, un garde nazi arrache un glaçon au narrateur assoiffé. À sa question «Pourquoi?», la réponse est glaciale: «Ici, il n'y a pas de pourquoi.» Cette interdiction rejoint ce qu'Umberto Eco identifie comme l'une des caractéristiques du fascisme: «La vérité a déjà été énoncée une fois pour toutes et l'on ne peut que continuer à interpréter son obscur message.»
D’un extrême à l’autre, l'école – institution du questionnement – devient naturellement la cible privilégiée des autoritarismes. Comme le souligne l'historienne Laurence De Cock, «partout où s'impose l'extrême droite, l'éducation est la première cible». C'est autour de ce constat que s'articule notre dossier, où dialoguent sociologues, géographes, politologues, syndicalistes, militant·es et enseignant·es. Loin de céder à l'alarmisme, ce dossier propose une perspective géographique et historique pour aiguiser notre vigilance collective.

Ainsi, les menaces fascistes subies par Célestin Freinet dans la France des années 1930 trouvent un écho dans les flammes de l'affaire EVRAS de 2023: agressions et désinformation, orchestrées par les extrêmes. Ministre de l'Éducation à cette époque, Caroline Désir le rappelle dans nos colonnes: «L'État de droit était menacé
Si l'école est la fabrique du questionnement, les profs sont les artisans du «Pourquoi?». Une profession menacée quand les extrêmes prennent le pouvoir, comme le témoignent trois enseignantes hongroises. Aux États-Unis, les guerres culturelles menées dans les écoles ont servi de tremplin à la réélection de Donald Trump. Désormais au pouvoir, le président s’attaque frontalement à l'éducation.

Ces extrémismes partageraient une même «haine de l'égalité» selon la clé de lecture proposée par le philosophe français Jacques Rancière. Sa conception de la démocratie nous invite à considérer le peuple non comme une race, une religion ou un ensemble figé de valeurs, mais comme l'incarnation d'une remise en question permanente, à travers le débat d'idées: la politique. C'est précisément cette capacité au questionnement que l'école émancipatrice s'efforce de cultiver, et que les mouvements autoritaires cherchent à étouffer.

Dossier réalisé par Timothé Fillon, secteur communication

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Couverture de la revue Eduquer 193
avril 2025