La pleine conscience, une invitation à la joie

Lundi 7 avril 2025

Image d'un bol sur des feuilles
© Bruno Gilain
Marie-Francoise Holemans, secteur communication Ligue de l'Enseignement

La formation à la pleine conscience proposée à la Ligue s’adresse à toute personne désireuse de s’investir dans un chemin d’exploration pour améliorer sa relation à sa propre vie et aux autres, notamment dans son contexte de travail. L’apprentissage est progressif mais la promesse est belle: une vie vécue de manière plus présente, bienveillante, détendue et fluide!

Quel parcours peut bien mener à la formation de pleine conscience? Il s'agissait d'un élan, d’une soif d’inclusion, nous dit Bruno Gilain, formateur à la Ligue. Quand il était enfant, plusieurs de ses amis se trouvaient exclus, discriminés. De cette époque lui est restée cette idée: comment créer un monde où chacun a sa place? Après ses études d'économie, il est passé par la recherche en économie sociale («une activité passionnante mais pas assez proche de l’action»), l’action politique chez Écolo, l’action sociale au CPAS de Schaerbeek, pour arriver en 2009 à la direction de Convivial, une association qui accueille et accompagne plus de 3000 personnes d’origine étrangère par an pour leurs formalités administratives, le logement, la formation ou encore l’emploi. Une mission enrichissante, où il est à tout moment question d’inclusion, de confiance, de non-jugement et de vivre-ensemble.

Avec ses trente ans d’expérience dans le non-marchand et l’action sociale, Bruno Gilain a développé une connaissance fine des défis et des sources de stress rencontrés par les personnels des secteurs publics et associatifs, que ce soit dans des fonctions de travail social, de prestation de soins, de support administratif, de coordination ou de direction.

Parallèlement, ses questions de toujours – comment s’épanouir? comment être bien ensemble et avec soi? – l’ont mené à la communication non violente, puis il y a 15 ans à la Danse des 5 Rythmes et à la pleine conscience, qui ne l’a plus quitté. Au moment du covid, Bruno a ressenti le besoin de partager son expérience, «comme un fruit mûr», et de suivre une qualification d’enseignant MBSR avec un certificat universitaire à l’ULB.
Dans son travail quotidien, la pleine conscience l’inspire pour se tenir à l’écoute. Elle lui a permis de développer plus de patience, de présence, de clarté et d’intuition, et à mener des dialogues transparents et explicites. Ce sont ces qualités qu’il se propose de transmettre à la Ligue, afin d’aider à mieux comprendre comment «fonctionne» l’être l'humain et à découvrir l'existence d'une réelle marge de manœuvre en termes de détente et d'ouverture dans la relation que l'on noue avec son vécu, comme il nous l’explique dans cet entretien.

Éduquer: Pouvez-vous nous rappeler d’où vient la pleine conscience?
Bruno Gilain:
Il existe une tradition millénaire de pratiques méditatives et d’éthiques de vie partout dans le monde, comme le bouddhisme qui date de 2500 ans ou d’autres pratiques spirituelles dans nos régions. En Orient, une place plus grande et plus durable est donnée aux traditions contemplatives. En Occident, avec les Lumières, un grand accent a été mis sur la réflexion rationnelle, la philosophie et les sciences. Ces derniers siècles, une certaine culture dominante y a mis le focus sur la maitrise de la nature par l’être humain, sur l’esprit de compétition, la comparaison, l’optimisation, l’individualisme et la satisfaction immédiate de nos désirs, etc. C’est dans ce contexte notamment que la pleine conscience a remis en avant sous une forme nouvelle ces traditions méditatives qui viennent comme contrebalancer cette évolution et ce qu’elle génère de stress, de déconnexion de soi, des autres et à la nature, du mystère de la vie.

Éduquer: La pleine conscience fait-elle le lien entre ces approches?
B.G.:
En effet. En 1979, Jon Kabat-Zinn, un professeur en biologie moléculaire au sein de la faculté de médecine de l'Université du Massachussetts, pratiquant régulier de méditation et de yoga, a fondé la Clinique de réduction du stress. À partir des enseignements bouddhistes, il a créé un programme de réduction du stress et de relaxation (le Stress Reduction and Relaxation Program, rebaptisé par la suite MBSR, pour Mindfulness-Based Stress Reduction). Il a ainsi développé un rapprochement entre les traditions bouddhistes orientales et les approches occidentales contemporaines de médecine et de gestion du stress, et cela au service de la santé dans une vision holistique et laïque. Au départ, son programme était destiné à des personnes atteintes de douleurs chroniques et de troubles liés au stress. Grâce à la reconnaissance scientifique des effets de la pratique de la pleine conscience (effets psychologiques, physiologiques et structurels sur la santé), son programme a ensuite connu une large diffusion auprès de publics et de champs d’activité variés.

«La pleine conscience, ce sont des qualités d’être et de présence, caractérisées par une attention volontaire à l’instant présent et par une bienveillance, sans attente ni jugement.»

Galets
© Bruno Gilain

Éduquer: Comment décririez-vous la pleine conscience?
B.G.:
Ce sont des qualités d’être et de présence, caractérisées par une attention volontaire à l’instant présent et par une bienveillance, sans attente ni jugement. Quand on se met à l’écoute, on constate qu’on passe un temps considérable à ressasser le passé et à planifier le futur. On est en pilote automatique la plupart du temps. En vélo sur le chemin du travail, j’étais souvent «en réunion» plutôt que sur la route! Alors, me poser la question simple «comment je me sens juste-là dans mon corps?» me ramenait à l’instant présent et par exemple à prendre conscience d’un besoin de ralentir et doser mon effort. La présence permet de sentir où on en est et de prendre soin de soi et des autres. Et puis, il y a l’autre dimension essentielle: la bienveillance. Lorsqu’on se met à l’écoute de ce qui vit en nous, on rencontre de la joie et aussi de la souffrance. Et on réalise que nous avons cette tendance au jugement, à vouloir que la vie soit différente en se crispant impulsivement pour retenir l’agréable et repousser le désagréable, répétant souvent de vieux schémas. Cette impulsivité-là ajoute beaucoup de souffrance. La bienveillance est un chemin vers une relation plus amicale avec cette nature humaine faite de hauts et de bas, ouvrant la capacité à être moins dans la réaction et plus dans l’émergence de réponses nouvelles, plus ouvertes.

Éduquer: Comment acquiert-on cette qualité de présence?
B.G.:
Cette manière d’être est nourrie par l’apprentissage de diverses pratiques méditatives à l’écoute du souffle, du corps, des sons, des pensées… pour renouer progressivement avec une capacité à renouer avec l’instant présent chaque fois qu’on réalise être emporté par des ruminations et des réactions parfois très loin de notre intention. Au début de la formation, on prête en particulier attention à ce qui nous est agréable. L’être humain ayant tendance à se focaliser sur ce qui dérange, la formation invite à ressentir pleinement ce qui nous fait du bien dans une triple dimension cœur-corps-esprit. On nourrit ainsi une détente profonde et une capacité à se sentir heureux ou heureuse. On peut ensuite se tourner vers ce qui est vécu comme difficile et apprendre à l’accueillir avec bienveillance et sans vouloir faire disparaître ces sensations-là, mais en cultivant de la compassion et une capacité à ne pas s’identifier exclusivement à ce qui fait mal.

Éduquer: Faut-il être sous stress ou en souffrance pour se former à la pleine conscience?
B.G.:
Bienvenue à toute personne qui se sent attirée! La formation à la pleine conscience est un beau cadeau que l’on se fait. Et il ne faut pas attendre d’être en souffrance psychologique ou physiologique pour l’aborder, même si beaucoup y viennent motivés par une certaine souffrance ou des vécus de stress.

«La pleine conscience nous permet d’accueillir nos émotions, de relâcher nos jugements et d’accepter aussi les sensations difficiles. Cela crée un espace intérieur plus vaste.»

Éduquer: En quoi peut-elle nous aider en situation de stress?
B.G.:
Le stress est en soi un mécanisme naturel du vivant, qui se tend et se détend en lien avec ses perceptions. Ensuite, il y a le stress surajouté, induit par nos émotions et réactions comme la fuite, la colère, l’agressivité, la jalousie, l’abattement... La pleine conscience nous dit que dans cet enchaînement réactif, on a une marge de manœuvre. La pleine conscience nous permet d’accueillir nos émotions, de relâcher nos jugements et d’accepter aussi les sensations difficiles. Cela crée un espace intérieur plus vaste, permettant de contenir la souffrance sans en ajouter et d’entrevoir de nouvelles ouvertures. Prendre conscience aussi que toute chose passe, et que nous sommes à la fois unique et si semblable dans notre humanité, est une ressource puissante nourrie dans ce cadre.

Éduquer: La pleine conscience protège-t-elle de toute souffrance?
B.G.:
L’une des désillusions pourrait provenir du fait qu’on espère ne plus souffrir, ce qui est une illusion. La pleine conscience nous permet de nous sentir plus confortable avec la souffrance. L’être humain est en souffrance quand il est crispé dans le «moi», dans un sentiment de séparation. La pleine conscience nous invite à nous sentir faire partie d’un tout beaucoup plus vaste. On passe alors du «je» au «nous», à une humanité partagée, et cela nous rend plus aimant. Son cadeau, c’est la joie!

Éduquer: Faut-il pratiquer quotidiennement?
B.G.:
Rien n’est obligatoire, mais la pleine conscience se cultive! Tout est question d’intention et de besoin. S’il n’y a pas de prescrit formel, cadenassé, la pratique régulière aide clairement, elle est soutenante. L’idée est de poursuivre une discipline détendue, ajustée, qui nous permet lorsque l’on est dans la tourmente (une maladie, un deuil, une perte d’emploi par exemple) de garder le cap, comme la capacité de tendresse et de gratitude, y compris dans les épreuves. Les moments très difficiles peuvent devenir porteurs de très belles choses.

«Fondamentalement, la pleine conscience nous invite à accepter que la vie soit interconnexion et impermanence, qu’elle soit un mélange constant de moments agréables et de moments difficiles.»

Éduquer: Quels bienfaits peut-on retirer de cette pratique?
B.G.:
Fondamentalement, la pleine conscience nous invite à accepter que la vie soit interconnexion et impermanence, qu’elle soit un mélange constant de moments agréables et de moments difficiles. Elle nous permet de développer un regard et une relation tendre et sensible à l’ensemble, plus détachée et à l’écoute de réponses inspirées par cette tendresse.

Éduquer: La pleine conscience ouvre-t-elle des portes inattendues?
B.G.:
Redécouvrir la joie, la curiosité, l’esprit du débutant, l’éveil aux surprises de la vie, c’est l’un des cadeaux possibles. Aller de manière plus organique vers les gens et les événements, aussi. Ou encore, nourrir l’acceptation. Et attention, acceptation n’est pas résignation: accepter l’expérience (la douleur, la tristesse, l’inquiétude) permet de répondre plutôt que de réagir, dans la bonne énergie. Se mettre à l’écoute, relâcher la volonté d’évacuer les mauvaises sensations, c’est ouvrir la porte au discernement et à une action plus juste. L’invitation est de lâcher les attentes et de s’ouvrir à ce qui peut émerger.

Éduquer: En quoi la pleine conscience peut-elle nous aider dans le cadre professionnel?
B.G.:
Tout ce qu’on a évoqué jusqu’ici vaut pour nos relations professionnelles et notre manière de vivre notre expérience au travail. L’écoute et la présence fine à ce qui vit en nous et chez l’autre ouvrent à plus de discernement et une capacité de mieux nous relier aux autres. La bienveillance et le non-jugement peuvent nous aider à traverser des situations tendues ou qui nous dépassent avec plus de recul et de stabilité, en gardant le cap d’une intention d’ouverture à l’émergence de réponses créatives et partagées. L’acceptation de nos limites, nos erreurs et souffrances si humaines peut nous aider à garder le cap de la confiance et de la patience, à nourrir le prochain pas.
 
Éduquer: Avez-vous des projets pour la suite?
B.G.:
Je voulais amener la pleine conscience dans le social et le non-marchand,  je commence à le faire grâce à la Ligue, dont c’est notamment le public. Mon rêve serait d’amplifier cela en fédérant les énergies pour mettre plus de conscience et de paix, notamment dans les lieux de décision collectifs. Je rêve aussi de la proposer aux bénéficiaires de ce public, aux personnes marginalisées qui y ont moins facilement accès.

Les conseils de lecture de Bruno Gilain

  • Couverture du livre L’éveil des sens. Vivre l’instant présent grâce à la pleine conscience, Les Arènes, réédition 2014, de KABAT-ZINN Jon.
    KABAT-ZINN Jon. L’éveil des sens. Vivre l’instant présent grâce à la pleine conscience, Les Arènes, réédition 2014.

Jon Kabat-Zinn y présente de manière étendue et multiple, poétique et inspirante, les fondements de la pleine conscience et de la méditation, les liens avec nos souffrances et le monde, etc. Un ensemble de brefs chapitres pouvant nourrir à chaque fois une méditation.

 

 

 

  • Couverture du livre de KABAT-ZINN Jon. Où tu vas, tu es. Apprendre à méditer pour se libérer du stress et des tensions profondes
    KABAT-ZINN Jon. Où tu vas, tu es. Apprendre à méditer pour se libérer du stress et des tensions profondes, J’ai lu, 2013.

À la suite de L’éveil des sens, un livre de référence et d'entrée en matière avec la pleine conscience et la méditation.

 

 

  • Couverture du livre de Edel Maex, Apprivoiser le stress par la pleine conscience, De Boeck Supérieur, réédition 2017
    MAEX Edel. Apprivoiser le stress par la pleine conscience, De Boeck Supérieur, réédition 2017.

Un petit livre très accessible qui revisite les principaux repères et l’enseignement du cycle MBSR d’une manière un peu différente, accessible et pratique. Par un psychothérapeute réputé qui a contribué à la diffusion de la pleine conscience en Belgique.

 

 

 

  • Couverture du livre Au cœur de la tourmente, la pleine conscience de KABAT-ZINN Jon.
    KABAT-ZINN Jon. Au cœur de la tourmente, la pleine conscience, De Boeck Supérieur, réédition 2023.

L’ouvrage de référence des instructeurs MBSR. Un gros volume de 812 pages qui présente de manière « exhaustive » les principes de la pleine conscience, les pratiques enseignées, une partie significative sur le background scientifique venant soutenir cette approche, d’importants développements sur l’ensemble des formes de stress et la manière dont on peut les vivre en pleine conscience.

Formation à la Ligue

Réduire le stress par la pleine conscience

Image d'un coeur et d'un cerveau reliés par un fil

Directement inspirée du cycle MBSR en huit semaines, cette formation en propose une déclinaison en trois journées espacées de quelques semaines. Plutôt qu’une formation ex-cathedra, il s’agit d’un chemin expérientiel, qui poursuit les mêmes objectifs que le module classique: développer sa capacité à vivre sa vie de manière plus sereine et créative; apprendre à identifier et vivre pleinement les moments qui ressourcent et augmentent la résilience; apprendre à reconnaître et se détendre avec ce qui est difficile et nous prend de l’énergie; développer sa capacité à discerner ses réactions automatiques et répétitives liées au stress et à ouvrir un espace pour l’émergence d’autres réponses; apprendre à ressentir et identifier lorsqu'on est en difficulté, à savoir faire «pause», accueillir et prendre du recul avant de se remettre en marche; et enfin nourrir une capacité à cultiver, dans la présence, des attitudes de curiosité, de non-jugement, d’acceptation, de lâcher-prise, de patience et de confiance.

La première journée de formation est consacrée à l’ancrage et à la présence par des pratiques formelles (body scan, yoga, etc.) pour ressentir ce qui nous fait du bien. La seconde journée est axée sur le stress, la réactivité, l’accueil et la bienveillance. La troisième journée invite enfin à un chemin personnel afin de poser ses balises pour la suite. La formation est basée sur des moments de pratique de présence volontaire et bienveillante à l’instant présent, par la méditation et le yoga, sur des temps de partage d’expérience vécue en séance et sur l’apport d’enseignements. Elle recommande aussi une pratique régulière entre les journées de formation, soutenue par des notes synthétiques et des supports audio.
Formation aux Jardins d’Emergences les 16 mai, 6 et 20 juin (complète).

Plus d’infos sur https://ligue-enseignement.be/formations/reduire-le-stress-par-la-plein… et sur www.brunogilain.be.

Couverture de la revue Eduquer 193

Avr 2025

éduquer

193

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