
Dans le non-marchand et l’associatif, le mois de mars correspond au temps des rapports. Au secteur interculturel de la Ligue, subsidié par la Commission communautaire française, il s’agit de rendre compte de nos activités en «apprentissage du français et alphabétisation». L’occasion pour nous de dresser le bilan 2024 de nos cours de français langue étrangère, ce bel outil de cohésion sociale à Bruxelles.
Les activités de cours de français langue étrangère (FLE) appartiennent à l’axe 2 de l’agrément Cohésion sociale qui lie la Ligue de l’Enseignement à la COCOF pour une durée de cinq ans, de 2024 à fin 2028. L’évaluation portant sur 2024 a pour objectifs principaux d’informer l’administration de l’évolution de notre projet de cohésion sociale, de justifier de la bonne utilisation des financements publics, tout en vérifiant la mise en œuvre du volume d’actions prévues dans le plan déposé par la Ligue en 2023. Qu’en est-il de cette évaluation? Quels sont les enseignements clés quant à notre public, quelles sont les difficultés de mise en œuvre et, surtout, quelles sont les réussites déployées sur le terrain par notre équipe engagée?
Notre secteur interculturel est composé d’une équipe de cinq formateurs et formatrices en FLE et d’une coordinatrice, et est stabilisé depuis la fin janvier 20241 . À elle seule, cette équipe couvre huit implantations de cours FLE: deux à la Ville de Bruxelles, deux à Molenbeek, et une à Anderlecht, à Etterbeek, à Schaerbeek et à Saint-Gilles. Les cours et les activités d’appropriation y sont dispensés à raison de neuf heures par semaine, et ce principalement dans des écoles afin de permettre aux parents qui apprennent le français de mieux soutenir la scolarité de leurs enfants. Trois lieux hors écoles hébergent également nos cours.
Ce projet de cours de FLE existe depuis une vingtaine d’années mais, à l’instar de nombreuses politiques publiques bruxelloises, il a fait l’objet de divers remaniements structurels et formels. Quoi qu’il en soit, le secteur interculturel de la Ligue est bien ancré et reconnu dans le paysage FLE bruxellois. Il est, à cet égard, un observateur pertinent de l’évolution de notre public et des difficultés qu’il traverse.
« L’une des grandes difficultés structurelles de nos cours de FLE est la présence à géométrie variable des apprenant·es en raison de leurs nombreuses difficultés socioéconomiques. »
Un taux de participation fluctuant
Dans le cadre des obligations contractuelles qui nous lient, la COCOF nous a demandé de comptabiliser les présences de nos apprenant·es lors de la semaine du 7 au 11 octobre 2024. Si plus de neuf apprenant·es en moyenne participent aux cours de FLE, cette semaine-là 60% des personnes inscrites en début d’année ont effectivement participé aux cours. Ce comptage met en lumière l’une des grandes difficultés structurelles de nos cours de FLE: la présence à géométrie variable des apprenant·es en raison de leurs nombreuses difficultés socioéconomiques!
Un public en grande difficulté socioculturelle
Les personnes qui s’inscrivent à nos cours subissent un cumul de discriminations: 85% d’entre elles sont en effet des femmes, très souvent «mamans solo»; parmi elles, des migrantes, des sans-papiers et des femmes aux revenus extrêmement faibles. Par ailleurs, certaines d’entre elles ont fui la guerre, en Ukraine ou à Gaza. D’autres sont des exilées économiques. D’autres encore viennent simplement tenter une vie où elles pourront être elles-mêmes et non soumises à des diktats patriarcaux et/ou religieux. Certaines sont en Belgique depuis longtemps, mais elles ont vécu de manière dépendante d’un mari qui travaillait ou d’enfants qui «faisaient» la liaison linguistique pour leurs parents.
La plupart de nos apprenantes sont soumises aux exigences des CPAS et de Fedasil, et elles doivent régulièrement se rendre à des rendez-vous fixés par ces institutions. Autre difficulté pour se rendre aux cours: étant cheffes de familles ou sans proches pour garder leurs enfants, ces femmes privilégient la garde de leurs enfants à domicile lorsqu’ils sont malades, quand l’école est en grève ou en journée pédagogique.
D’autres problèmes de logement, de santé, d’isolement social et d’obligations à accepter des petits boulots pour survivre sabotent consécutivement leur disponibilité physique et mentale nécessaire à tout apprentissage. Car apprendre une nouvelle langue dans un pays d’exil ou d’immigration est exigeant pour tout le monde… Vous le savez bien, si vous aimez voyager ou si vous avez déjà connu l’expatriation! Ici, au cœur de l’Europe, ces personnes qui composent notre public-cible sont souvent victimes de discriminations visibles ou invisibles malgré leur énergie déployée et elles sont alors renvoyées à une faible estime d’elles-mêmes… Le cercle est vicieux.
« La Ligue a développé un partenariat de choix avec l’association Article 27, qui défend activement le droit à la culture pour toutes et tous. »
Le travail d’une équipe plurielle
Il faut donc énormément de détermination, de patience et de préparation de la part de nos formateurs et formatrices pour transmettre notre langue à un public volatile, pour capter leur attention et leur donner envie de s’accrocher, face à ce difficile exercice d’apprentissage du français. Et comme les cours sont suivis par des apprenant·es au niveau de français inégal, cela crée de l’hétérogénéité et oblige à une très grande adaptabilité de la part du formateur ou de la formatrice, tout en maintenant la dimension collective indispensable à notre projet de cohésion sociale!
Pour ce faire, notre équipe possède des compétences diverses: pédagogie active, gestion d’un groupe hétérogène, créativité, écoute active et bienveillance. Leur personnalité, âge et parcours de vie sont divers et certain·es ont même connu l’exil. Toutes ces aptitudes professionnelles et personnelles sont un atout majeur car notre public a profondément besoin d’être compris, considéré et visibilisé.
Pour assoir les apprentissages de FLE, le nouvel agrément COCOF impose désormais un tiers d’activités dites «d’appropriation», comme par exemple visiter un musée, aller au cinéma, se déplacer dans le quartier et la ville, connaître les institutions bruxelloises et belges, rencontrer un planning familial, échanger au sein du groupe, se déployer dans une activité extra muros, chanter et écrire, etc. Ici aussi, la liberté pédagogique et didactique est pleinement de mise… Cela peut parfois sembler contraignant aux yeux de l’équipe, mais nous y voyons personnellement ici, en tant que formatrice et coach, une opportunité de faire sortir le groupe de la classe quand il est en proie à de la fatigue ou, tout simplement, pour le sortir de la routine!
L’offre socioculturelle de la Région de Bruxelles-Capitale est immense et elle ne peut que stimuler notre secteur. En ce qui concerne le volet culturel en particulier, la Ligue a développé un partenariat de choix avec l’association Article 27, qui défend activement le droit à la culture pour toutes et tous2 .
Malgré les nombreuses difficultés inhérentes à la sociologie de notre public-cible, notre équipe du secteur interculturel de la Ligue est fière de contribuer à une politique de cohésion sociale à Bruxelles. Si les cours de FLE sont un levier essentiel de la politique de cohésion sociale, il reste néanmoins à développer de nouveaux axes de formation et de sensibilisation pour le grand public de notre capitale «zineke», qui participe intégralement à la notion d’interculturalité3 !