Quelle égalité du dehors?

Vendredi 7 juin 2024

Timothé Fillon, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Un paradoxe sous-tend la concrétisation de modèles éducatifs alternatifs: bien que pensés sous le prisme de l’inclusivité, ces modèles s’inscrivent souvent dans une forme d’entre-soi. Pourtant, si un accès régulier à l’environnement était généralisé à tous les élèves du royaume, l’école du dehors participerait à corriger les inégalités.


Coordinateur du plan de transition à la Haute École Francisco Ferrer et également coordinateur du réseau Profs en Transition, le pédagogue Hubert Deplus pointe pour Éduquer une discordance aux effets délétères: «Plus l’indice socioéconomique est faible, moins les publics s’inquiètent des problématiques écologiques et plus ils se retrouvent déconnectés de la nature. Ils sont dans une autre forme d’urgence. Même s’ils ne sont pas les seuls à pâtir de cette coupure, ils sont les premiers à être exposés aux conséquences». Un découplage entre les causes et les impacts qui démultiplie la portée des injustices: «À l’inverse, bien que plus sensibilisés, les publics les plus aisés sont également ceux ayant la plus grande empreinte environnementale.»
L’école du dehors, en proposant à tous les élèves un accès régulier à l’environnement, pourrait devenir une manière de corriger ces inégalités. Interrogées sur la dimension sociale de leur travail, Mapi Vandebeek et Valérie Vreeswijk, respectivement formatrice en école du dehors et coordinatrice au CRIE de Liège (Centre régional d’initiation à l’environnement), témoignent sur l’accessibilité au dehors de leurs partenaires: «Nous travaillons avec des écoles situées dans des quartiers moins favorisés, où l’on peut rencontrer un public multiculturel. Les écoles avec lesquelles nous collaborons ne sont pas toutes privilégiées, comme on pourrait le penser. Elles ont la possibilité de demander des subsides aux communes. Ce ne sont pas toujours les écoles ou les parents qui financent l’école du dehors.»

Une forêt de bitume

Au-delà de l’aspect socioéconomique se pose également la question de l’accès aux espaces verts pour organiser les cours dans des lieux proches de l’école. A la lisière de certaines écoles ne fleurissent que des forêts de bitume. Géographe spécialisée en pédagogie extramuros et professeure émérite à l’ULiège, Christine Partoune cite l’exemple d’une implantation basée à Seraing et insiste sur l’importance des environs de l’école pour l’organisation des sorties: «Toutes les institutions ne sont pas géographiquement à égalité, l’accès à un dehors sain et sécurisé dépasse largement les compétences des écoles. Dans certains cas, plutôt que d’amener les écoles dans la nature, il faudrait essayer d’amener les espaces verts dans la cour et aux alentours des écoles.»
En évoquant la responsabilité des pouvoirs communaux et régionaux, Christine Partoune met en garde contre la survalorisation du dehors: «Imposer les sorties en plein air risque finalement de culpabiliser les enseignants qui n’en ont pas l’opportunité structurelle.» Elle dénonce aussi l’aspect cosmétique revêtu parfois par ce type d’enseignement, tant il s’inscrit dans un effet de société: «À l’instar des classes d’immersion il y a quelques années, l’école du dehors est parfois utilisée comme un argument marketing. Mais les classes à l’extérieur sont majoritairement organisées en maternelle, et dès qu’il s’agit d’apprendre du contenu plus concret, elles se raréfient

Le plus dur, c’est de se lancer

Comment, alors, organiser une sortie réussie avec sa classe? La grande majorité des personnes rencontrées nous déclarent que «le plus dur, c’est de se lancer». Nécessitant peu de matériel, la liste type, dont les ustensiles s’accordent avec les conditions météorologiques, se résume à quelques éléments: des vêtements, un sac à dos et une gourde. Animateur nature et ancien scout, Thibaud Bayet nous rassure sur les éventuels désordres lors des sorties: «Il faut établir un cadre pour que les élèves distinguent bien le dehors de la cour de récréation. En fonction des habitudes des élèves, les premières sorties peuvent être plus compliquées. Il y a toujours un temps d’adaptation.»
Également membre de La leçon verte, une association qui propose un accompagnement à l’extérieur de la 1ère maternelle à la 6e primaire, Thibaut Bayet souligne la temporalité essentielle à cette forme d’enseignement :«L’école du dehors se pense sur le long terme, avec régularité. L’ordre s’installe progressivement à partir de rituels. Lorsque ce protocole est établi, le dehors fonctionne très bien
Et si ce n’étaient pas les élèves qui perturbent le cours mais bien la météo qui commence à faire du chahut? «Les conditions météorologiques font entièrement partie du jeu. En amont, les professeurs peuvent néanmoins anticiper des solutions pour réagir efficacement aux perturbations, en prévoyant un terrain abrité en cas de pluie, des vêtements adaptés. L’idée, c’est que ça reste un souvenir positif. À titre personnel, ce qui m’a marqué plus jeune de mes expériences au sein d’un mouvement de jeunesse, c’est justement notre exposition à des conditions dantesques, et la cohésion de groupe qui s’instaurait».  

 

À l’école maternelle de la Marolle

À deux pas de la place du Jeu de Balles, l’école maternelle de la Marolle de la Ville de Bruxelles pratique les classes dehors. À toutes les saisons, deux à trois institutrices mettent les voiles avec une trentaine d’élèves.

Madame Bénédicte nous accueille dans sa classe avec, au milieu du groupe d’enfants, une collection d’images, les traces des excursions au dehors. «Comment fait-on la classe du dehors et quelle est la première chose que nous réalisons en arrivant?», engage l’institutrice. C’est Anissa qui répond la première avec entrain: «Nous prenons le tram jusqu’à la forêt. Puis il y a l’épouvantail, les potagers. Nous disons “bonjour” à la forêt et à notre arbre. Nous lui faisons des câlins.» Fatima complète timidement: «Moi j’aime bien grimper sur la cabane.» Nina raconte ensuite que dehors, elle «adore faire de l’équilibre». L’institutrice demande si les enfants aiment sortir dans les bois: «Oui», répondent-ils unanimement! «Moi j’aime bien aller dans la forêt pour les fleurs», enchaîne Analou. «Et moi, j’aime beaucoup les chiens», ajoute Talys.

©https://maternelledelamarolle.bruxelles.be

Nous poursuivons la visite de l’école en traversant la cour végétale, où un potager borde un compost et une citerne. «À la Marolle, le dehors commence déjà à l’intérieur», nous avertit Françoise Renneau, la directrice de l’établissement. Dans la classe de Madame Colette, de belles affiches illustrent la vie des plantes. «Que peut-on faire au bois qu’on ne peut pas faire à l’intérieur?», demande avec complicité l’institutrice à son groupe d’élèves âgé·es de 3 à 6 ans. «Nous pouvons glisser sur le talus, fabriquer des cabanes et des maisons», s’enthousiaste Noué. «Nous avons aussi construit une toile d’araignée», réagit Akita. Nous avons appris des choses sur les fleurs et sur un arbre qui redonne la vie grâce à un champignon
Située dans un quartier urbain, l’école de la Marolle affiche un indice socioéconomique de classe 6 sur une échelle de 20. «L’école du dehors fait partie de notre projet pédagogique, les enfants sortent au minimum une fois par mois, ils adorent!», nous dit la directrice. Les difficultés de certains enfants s’évaporent à l’extérieur. Leur comportement dans la nature se transforme par rapport aux espaces artificiels.» Après nous avoir décrit les liens entre l’épanouissement pédagogique des élèves et leur ancrage dans l’environnement, la directrice cite des lieux de sorties: «Les plus jeunes vont au parc de Halles, à la plaine de jeux de l’Escargot. Nous prônons la nature proche des élèves, pas l’exotisme polluant. Des parents d’élèves prolongent notre action certains mercredis après-midi, via une ASBL qui propose la classe du dehors.» Une initiative dont les graines se répandent jusque dans les familles donc!

 

juin 2024

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