L’histoire coloniale, outil de lutte contre le racisme

Jeudi 10 décembre 2020

Kalvin Soiresse Njall est enseignant et député francophone bruxellois (Ecolo), il a été le coordinateur de l’asbl Mémoire Coloniale qui œuvre autour des questions de la mémoire coloniale et de la lutte contre les discriminations. Il nous parle de l’urgence d’aborder ces thématiques à l’école.

Eduquer : La ministre de l’enseignement, Caroline Désir, a annoncé qu’elle voulait imposer l’apprentissage de l’histoire de la colonisation belge à tous les élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles. Que pensez-vous de cette décision ?

Kalvin Soiresse : On a enfin une ministre qui assume le fait de prendre politiquement en charge cetteposition, alors que c’est une question qui existe depuis 2012, voire 2011. En effet, c’est le résultat d’un long combat mené par le secteur associatif. Combat que j’ai personnellement prolongé à travers mon travail parlementaire à mon arrivée au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En 2017 déjà, une lettre ouverte du collectif Mémoire Coloniale, dont j’ai été le coordinateur, avait été envoyée à la ministre de l’époque, Marie-Martine Schyns. On ne peut pas faire l’économie de l’analyse de l’impact de la propagande coloniale sur les mentalités, sur nos comportements aujourd’hui. C’est une propagande qui a marqué des générations et qui a encore des conséquences.

Je pense, par exemple à cet enfant de maternelle, qui est aussi le fils d’un ami. Un jour, je vais chez eux, et le fils refuse catégoriquement, à la fin du repas, de manger son fruit préféré qui est la banane. On essaie de le faire parler mais rien. Au bout du troisième jour, le papa m’appelle et me dit : « Viens, il faut que je te parle ». Son fils nous explique alors qu’il a fait un blocage parce qu’un de ses camarades l’a traité de singe lorsqu’il mangeait une banane, parce que, selon son camarade, tous les noirs sont des singes. Le papa, furieux, débarque à l’école et commence à s’énerver sur l’institutrice de maternelle en lui disant : « Qu’est-ce que vous faites alors que des enfants de cet âge ont déjà des idées racistes ». L’instit’ lui répond : « le cas de ce gamin, on le connait, c’est son grand-père qui l’amène à l’école, et son grand père est un ancien colon. C’est lui qui lui dit ce genre de choses ».

 

Eduquer : Les enfants aussi intègrent les préjugés racistes de façon forte ?

K.S : Cette théorie qui consiste à dire que les enfants sont étanches au racisme et ne voient pas la différence, est absolument fausse. Il y a plusieurs études qui prouvent cela. Par exemple, il y a une expérience qui été menée aux USA, on présente à des enfants une poupée noire et une poupée blanche et on leur demande de choisir celle qu’ils préfèrent entre les deux. Entendons-nous bien sur le fait que « blanc » ne correspond pas à la réalité de la couleur de peau des gens, tout comme « noir », ce sont des réalités sociales qui ont été construites au moment où on voulait légitimer l’esclavage et la colonisation. Lors de cette expérience - il y a des vidéos sur YouTube -, les enfants noirs ont toujours choisi la poupée blanche. Ce qui est intéressant, c’est d’entendre leurs explications lorsqu’on leur demande pourquoi ils ont choisi cette poupée. En effet, pour eux, la poupée noire est sale, méchante, etc., en fait, tous les stéréotypes coloniaux sur les noirs ressortent de la bouche des enfants. Par ailleurs, les enfants, concernant l’apprentissage de l’histoire coloniale, expliquent que s’ils ne se sentent pas considérés dans les classes, c’est entre autres parce que le lien originel qui les lie à ce pays, la Belgique, n’est pas pris en compte. Ils savent très bien que s’il n’y avait pas eu cette histoire coloniale, ils ne seraient peut-être pas ici, qu’ils ne seraient peut-être pas Belges. Avec Internet, avec le mouvement Black Lives Matter, beaucoup sont allés voir ce qu’il se passait aux Etats-Unis, l’histoire de Malcom X, de Martin Luther King, d’Angela Davis. Beaucoup de jeunes connaissent ces faits mais parfois les connaissent mal parce que l’école ne leur laisse pas assez l’espace pour en parler. Du coup, cela se fait de manière sauvage sur Internet, et c’est comme cela qu’on en arrive à de la radicalisation, au fait qu’en tant que personne racisée, on ne veut plus discuter parce qu’on estime que ce pays ne veut pas de nous. Des jeunes m’ont dit : « j’ai la carte d’identité mais je ne me sens pas Belge ». C’est ce que Unia a appelé la « désaffiliation citoyenne ». C’est pour cela que j’estime qu’on ne peut pas faire l’économie d’enseigner l’histoire coloniale à l’école, très tôt dans le secondaire. Il est prévu qu’elle fasse partie du tronc commun, mais il faut aller plus loin, en commençant à aborder ces thématiques dès l’école primaire. En plus, il y a aujourd’hui toute une série d’outils pédagogiques, conçus par des ONG et des asbl, pour commencer l’initiation à la lutte contre le racisme très tôt, en partant de concepts historiques. Mais comprenons-nous bien, l’histoire coloniale n’est qu’un des outils de lutte contre le racisme. C’est une des sources, ce n’est pas la source unique, même si c’est une des sources principales de la construction de la pensée raciste à travers les siècles. C’est pour cela qu’il est fondamental que les enseignantes et les enseignants puisse à la fois être formés convenablement à donner des cours là-dessus, mais ensuite être formés à la gestion de classe. A savoir, bien réagir lorsqu’il y a des propos racistes entre les élèves, savoir prendre en charge aussi bien celui ou celle qui est victime que celui ou celle qui a parlé.

Eduquer : En tant qu’enseignant, vous aviez étudié Tintin au Congo avec vos élèves, c’était un bon support pour aborder ces questions-là ?

K.S : Je travaillais au Mrax, le mouvement contre le racisme, lorsque le débat sur Tintin au Congo a explosé. Mais à l’époque déjà, ce que l’on ne dit pas, c’est que, dans les pays anglo-saxons et scandinaves, Tintin avait été interdit, ou alors un accord avait été trouvé pour qu’on mette un encart disant explicitement qu’il y avait des images racistes dans l’album. Dans ma classe, on a fait un atelier de déconstruction, on a essayé de déconstruire les idées qui ont été imposées dans la société, dans les mentalités, par la propagande coloniale. Moi-même, lorsque j’étais petit, quand j’habitais au Togo (je suis arrivé ici à 22 ans), j’avais lu quasiment tous les albums de Tintin, car ma mère qui vivait ici en Belgique m’envoyait les albums. Ce qui m’a paru intéressant, avec mes élèves, c’était d’abord de leur demander de rapporter l’album en classe, car quasiment tous l’avaient dans la bibliothèque de leurs parents. Cela a déjà permis de titiller leur curiosité. Puis, on l’a relu ensemble en classe. Souvent, ils ont lu Tintin au Congo quand ils étaient enfants et c’est normal que des enfants qui se trouvent dans une société qui a été marquée par la propagande coloniale, par des slogans, par toute une série d’images sur l’Afrique, considèrent qu’il n’y a pas eu de problèmes. Mais avec leurs yeux d’ados, dans une société où ils côtoient la diversité, ils regardaient l’album différemment. Et en effet, il y a un certain nombre de propos, d’images racistes : par exemple, bêtement, la manière dont on dessine les lèvres des noirs ; la manière dont on érige Tintin en dieu sous lequel les noirs se prosternent ; la manière dont on dénigre les religions, les masques, la statuaire en disant que ce sont des trucs qui relèvent du diable… Ce sont donc des éléments que les élèves sont arrivés à détecter avec leurs yeux, mais aussi parce que j’ai mis en place une discussion qui a permis une émulation collective. La manière dont Hergé raconte l’histoire a fait que j’ai aussi pu recontextualiser l’histoire coloniale et aborder les liens avec la Belgique, l’influence que cela a eu, et revenir sur ce qu’Hergé a lui-même dit de l’album. On oublie de le dire mais c’était une commande, il avait été influencé par son milieu de l’époque. Il y a différentes façons d’aborder ces questions. Dernièrement, par exemple, il y a eu une expérience intéressante dans une classe, tellement marquante qu’elle est passée au JT. Une enseignante a invité un ancien colon à témoigner auprès d’élèves. Les propos étaient choquants. L’enseignante a été très critiquée pour cette invitation, pourtant, ce sont des idées qui circulent et qui sont exprimées de différentes façon par cette génération, pas forcément de façon aussi trash, mais plus subtilement. Et là où on n’a pas rendu justice au travail de l’enseignante, c’est qu’avant l’intervention du colon, un militant de Mémoire Coloniale avait été invité dans la classe. Mais cela, on ne l’a pas montré à la télé. Cette expérience était pourtant très utile car elle a permis aux enfants de mettre des choses en perspective, d’un point de vue historique, et cela fait le lien avec les préjugés, les stéréotypes, les discriminations.

Eduquer : Si les enseignant·e·s s’imaginent neutres, on sait pourtant qu’ils usent de biais racistes ou sexistes en classe, de façon inconsciente, cela peut se jouer au niveau des interactions en classe ou de l’orientation des élèves, par exemple…

K.S : Oui, tout à fait, je peux vous donner un exemple : à la fin d’un cours de sixième année, dans une classe de 18 élèves, le seul élève noir vient me voir à la fin du cours. Je sentais qu’il était gêné, j’ai mis les autres jeunes « dehors » pour qu’il puisse s’exprimer librement. Il m’a posé deux questions : la première : « en tant que noir, comment se fait-il que vous ayez pu devenir prof ? » et l’autre : « comment vous en tant que noir, vous faites pour passer à la télé » (à l’époque, j’étais coordinateur du collectif Mémoire Coloniale, je passais dans des émissions télévisées). Nous sommes dans une société qui a des codes, et l’école ne vit pas hors de la société. Des études ont montré que les codes de l’école parlent à la classe moyenne ou à la classe bourgeoise, plus qu’aux classes populaires qui ne comprennent pas toujours le langage scolaire. C’est le même principe pour les minorités, pour les personnes issues de la diversité. Et donc, il arrive qu’elles se sentent exclues. L’étude de la Fondation Roi Baudoin sur l’école maternelle explique qu’il faut prendre l’enfant dans sa globalité, respecter l’appartenance de l’enfant à sa famille, à son environnement culturel et social. Il faut donc tenir compte des conditions de vie difficiles mais il faut aussi développer le vivre ensemble et des interactions de qualité entre enfants, notamment à travers l’organisation d’espaces de parole. Il y a beaucoup de profs qui considèrent que la question de la sensibilité culturelle n’est pas une priorité et qu’ils ont déjà trop à faire pour tenir compte de ce critère-là.

Eduquer : Prendre en compte la sensibilité culturelle, en quoi cela consiste?

K.S : Ce serait prendre en compte l’histoire de l’enfant. Un exemple concret : les statistiques montrent que les classes à Bruxelles sont composées à plus de la moitié d’enfants qui sont de racines étrangères. Plus d’un enfant sur deux est allophone, cela veut dire qu’il n’a pas le français ou le néerlandais comme langue maternelle. La question de la sensibilité culturelle ici, ce serait la question de la sensibilité linguistique. La majorité des profs, des études le montrent, prennent la question de la différence linguistique comme dans les années 50, 60, 70 où dans les classes, on avait un ou deux élèves qui étaient d’autres origines et ne parlaient pas français. A l’époque, l’enfant était submergé par la langue du pays, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. D’abord, il y a différentes sensibilités linguistiques mais ensuite, et c’est important, la société ressemble à ce qu’il y a dans la classe, il faut le prendre en compte. L’enfant ne quitte pas un endroit neutre pour arriver dans un endroit neutre. Il quitte une société fortement diversifiée où il est influencé. Le joueur de foot, Lukaku, parle au moins 5 langues, l’italien, le portugais, le swahilie, le lingala, le néerlandais, et pas nécessairement parce qu’il a appris ces langues de manière scolaire mais parce qu’il les a apprises dans la rue avec les amis de différentes origines qu’il fréquentait quand il jouait au foot. Quand on est enfant, on a une plus grande capacité à comprendre très vite les langues. Un autre exemple, qui était paru dans la revue Alter Echo : un enfant, Matteo, parle italien en classe, mais la prof gronde Matteo, il se replie donc sur lui-même et considère alors que le fait de parler italien est une mauvaise chose. Or ce que la prof doit faire, c’est écouter Matteo. Elle peut demander, par exemple, aux parents de choisir un conte en italien qu’elle peut traduire en classe. L’avantage, c’est que cela peut permettre à Matteo de ne pas se sentir diminué, et en même temps, cela lui permet d’apprendre le français. Voilà, c’est un exemple de la prise en charge de la sensibilité culturelle d’un enfant. Mais je comprends aussi les enseignants, j’insiste là-dessus, on ne leur donne pas suffisamment les moyens. Ce n’est pas leur faute. On prend les problèmes de racisme, de sexisme, de manière individualisée, c’est l’erreur qu’on a faite depuis le début. On marche sur la tête depuis des années, ce qu’il faut remettre en cause, c’est le système et les procédures. On ne peut pas avoir une approche individualisée qui vise à tenir compte de la sensibilité sociale et culturelle des enfants ou des jeunes, dans des classes de 30 élèves. Il faut des classes de 15 élèves.

Chez les afro-descendants, par exemple, certains parents refusent de parler leur langue maternelle à leurs enfants. Parfois, des immigrants récents, qui ne parlent pas forcément bien le français interdisent à leurs enfants de parler leur langue maternelle. Mais qu’est-ce qu’ils transmettent alors ?

Eduquer : Sur cette question des langues, en Finlande, il y a des cours prévus pour les élèves dans leur langue maternelle, ce qui leur permet en plus, d’apprendre l’écrit.

K.S : C’est fondamental, car l’un des problèmes que l’on a aujourd’hui, c’est que les enfants ne maitrisent pas très bien leur langue maternelle et ont donc des difficultés d’élocution et de compréhension en classe. C’est aussi lié au dénigrement et à la dévaluation de certaines langues, en lien avec le passé colonial ou l’immigration. On dénigre l’arabe, par exemple, parce que historiquement, il y a eu une hiérarchisation des « races ». Chez les afro-descendants, par exemple, certains parents refusent de parler leur langue maternelle à leurs enfants. Parfois, des immigrants récents, qui ne parlent pas forcément bien le français interdisent à leurs enfants de parler leur langue maternelle. Mais qu’est-ce qu’ils transmettent alors ? Le mauvais français qu’ils parlent eux-mêmes, alors que la maitrise de la langue maternelle permet d’avoir une facilité d’élocution, de compréhension et d’agencement des mots.

Eduquer : Mais les choses bougent en ce moment, non ? Avec la manifestation Black Lives Matter de juin, par exemple ?

K.S : Oui, la question est sur le devant de la scène mais, pour l’instant, on parle seulement de théorie. Les jeunes savent bien qu’on peut prendre des engagements mais ne pas les tenir, faire de beaux rapports qui vont prendre la poussière sur les étagères, parce que l’actu est passée. Concernant l’histoire de la colonisation belge, je sens, dans le chef de Caroline Désir, une vraie volonté de faire bouger les choses. Je le mesure dans mon travail parlementaire en commission ou en plénière quand elle me répond et quand elle s’exprime publiquement sur le sujet. Mais, maintenant il faut des actes concrets. Le fait que l’histoire coloniale de la Belgique soit dans le tronc commun, c’est déjà une bonne base, maintenant, il faut voir le contenu des référentiels qui vont arriver au parlement. Mais la deuxième partie, pour les 4e, 5e et 6e, c’est encore en chantier. Nous avons pris énormément de retard, ce qui fait que les jeunes sont hyper impatients. Le mérite avec Black Lives Matter, c’est que même des enfants de dix ans ont un avis sur la question, en parlent, même à table avec leurs papy et mamy de 90 ans. Par ailleurs, plus la société et les familles vont se diversifier culturellement et plus les gens vont se sentir concernés. Beaucoup de jeunes blancs se sentent déjà concernés par la question de la mémoire coloniale, parce qu’ils voyagent plus que leurs parents, ils vivent davantage avec la diversité. Par exemple, un jeune blanc qui va avec sa petite amie noire dans une boite de nuit, peut lui, rentrer, pas elle. Evidemment parce qu’il ressent cette injustice dans sa chair, il va se mobiliser. Aujourd’hui, tout le monde s’empare de la question. C’est ancré dans la société, on ne pourra plus faire marche arrière. Par contre, le risque, c’est que nous politiques, et je me mets dans le lot, ne concrétisions pas toutes les promesses que l’on a faites. Là, il y a un vrai danger. Parce que les jeunes d’aujourd’hui sont les adultes de demain et cette question doit être prise en charge avant que cela ne dégénère, pour ne pas regretter dans 20 ans, de ne pas avoir fait les bons choix.

Juliette Bossé, responsable de la revue Eduquer


Une proposition de résolution

Avec d’autres député·e·s, Kalvin Soiresse vient de déposer une résolution concernant la mise en place en Fédération Wallonie-Bruxelles d’un plan transversal, structurel, inclusif relatif à l’histoire coloniale belge et à ses conséquences. Ce plan vise à suivre l’évolution, dans les différentes compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de mesures telles que celles-ci, par exemple:

  • prévoir, dans le référentiel Education à la philosophie et à la citoyenneté, d’aborder la thématique des conséquences de l’héritage colonial dans la société ;
  • sensibiliser les établissements d’enseignement supérieur et le FNRS à la mise en place de projets de recherche sur la mémoire du fait colonial, sa transmission, et ses conséquences sociétales ;
  • inventorier, valoriser et faire connaître les différents outils pédagogiques existants à destination des enseignants pour aborder cette thématique, et mettre en place des mécanismes de soutien pour permettre le développement de nouveaux outils ;

Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations

Le Collectif « Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations » (CMCLD) est un regroupement  de plusieurs personnalités et associations africaines de Flandre, de Bruxelles et de Wallonie. Ce regroupement s'est effectué autour de deux thématiques principales : la mémoire coloniale et la lutte contre les discriminations, deux thématiques très présentes dans la composante d'ascendance africaine de la population belge.


Le musée de Tervuren, outil pédagogique ?

Eduquer : Après plusieurs années de travaux, le musée de Tervuren vient de rouvrir ses portes, est-ce que vous conseillez d’y emmener les élèves ? Kalvin Soiresse : J’ai moi-même été consultant sur les visites guidées des scolaires. Le musée est un outil comme un autre qu’il faut utiliser pédagogiquement. Il y a eu une refonte, et il est vrai qu’il est un petit peu plus décolonial. Malheureusement l’effort qui a été fait de ce point de vue, par le service en lien avec le public, est en contrepoint total par rapport à la position de certains scientifiques du musée qui sont beaucoup plus conservateurs. Ce conservatisme s’exprime dans la manière dont l’exposition permanente a été faite. Il y a, par exemple, une grande fresque sur laquelle sont inscrits tous les noms des colons. Le Collectif Mémoire Coloniale avait dit au musée : « Ce n’est pas possible, vous gardez cette fresque qui rend hommage aux colons alors que vous dites que vous décolonisez. Ce que nous vous proposons, c’est de mettre en dessous une autre fresque qui aura, au minimum, les mêmes dimensions que la fresque des colons, et que soient écrits les noms des personnes décédées en résistance à la colonisation ». Pour nous, c’était une façon de « décoloniser » avec un hommage. Ce qui a été fait, c’est qu’ils ont appelé un artiste qui a écrit sur les vitraux les sept noms des sept Congolais décédés à l’exposition universelle de 1897. Quand il y a du soleil, ces noms se projettent sur les noms des colons. Seulement, cela ne fonctionne pas puisque, d’une part, il faut comprendre la mécanique, d’autre part, quand il n’y a pas de soleil, cela n’apparait pas. Autre exemple, dans la Rotonde, il y a cette statue en bronze, qui glorifie la Mère Belgique qui apporte la civilisation à l’enfant Congo ; c’est une apologie de la colonisation. Une petite plaque de contextualisation a été installée mais elle se trouve à l’opposé, cela veut dire que si l’on n’a pas de guide, on n’a pas l’information. Sans compter que certains guides ne sont pas suffisamment formés, et peuvent tenir des propos racistes. Evidemment, je voudrais dire que certains guides sont très intéressants, je veux d’ailleurs saluer leur travail. Et puis, le musée en lui-même, c’est déjà un scandale parce que c’est un fourre-tout. Comment ne pas créer d’amalgame chez les enfants quand on met l’histoire des animaux à côté de l’histoire des humains, quand on sait que la colonisation a beaucoup utilisé l’imagerie animale pour inférioriser les noirs… ce sont de vrais problèmes dont on ne parle pas. En réalité, le problème fondamental de ce musée, et je vais venir au secours du directeur, c’est que c’est le cache-sexe colonial de la Belgique. On déverse toutes les critiques sur le musée, pour pouvoir se dédouaner. Pour moi, ou pour le collectif Mémoire Coloniale, il ne faut pas raser le musée, il est un outil. La visite guidée, telle qu’elle a été construite pour les élèves est intéressante, à condition que les guides, mais aussi les profs, soient assez formés. Les visites guidées prévoient d’ailleurs une préparation en amont avec l’enseignant.  

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déc 2020

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