La roue des privilèges: un outil pour déconstruire les discriminations

Jeudi 30 janvier 2025

Roue des privilèges © Camille Perron-Cormier.
Sophie Fétu, coordinatrice pédagogique du secteur interculturel

Conscientiser notre statut de privilégié·e dans la société facilite notre capacité à aller vers l’autre et construire une interculturalité active et forte. Une méthode pertinente et concrète existe pour nous y inviter: la roue des privilèges!

La roue du pouvoir et des privilèges est un outil développé par l’enseignante et illustratrice canadienne Sylvia Duckworth, sur base des travaux du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR). Cet outil de visualisation graphique permet de comprendre et transmettre les concepts d'intersectionnalité et de privilèges afin de déconstruire pas à pas toutes les formes de discrimination.

Si le concept d’intersectionnalité se répand de plus en plus à partir des divers mouvements féministes depuis les années 19901 , il peut parfois paraître théorique et manquer d’opérationnalisation concrète sur le terrain de l’action socioculturelle et éducative. Rappelons que l’intersectionnalité est un concept élaboré par la juriste noire américaine Kimberlé Crenshaw, qui la définit «comme étant une situation dans laquelle une personne regroupe des caractéristiques raciales, sociales, sexuelles et spirituelles qui lui font cumuler plusieurs handicaps sociaux et en font la victime de différentes formes de discrimination»2 .

Notons encore que «ces discriminations ne s’additionnent pas: elles s’entrecroisent et se renforcent»3 . Si on parle originellement de discriminations basées sur le genre, la race4 et la classe sociale, on peut y ajouter de nombreux critères tels que l’âge, le validisme, la corpulence, l’orientation sexuelle, la religion ou la conviction dominante, la santé mentale, le logement, etc. La liste des critères auxquels on pourrait faire référence est, hélas, bien longue et non exhaustive.

Pouvoir et privilèges, de quoi parle-ton?

Le pouvoir est défini par le fait de «disposer de moyens qui permettent une action ou la possibilité d'agir sur quelqu’un·e ou quelque chose»5 . La notion de privilège, selon la même source, désigne «un droit ou un avantage particulier accordé à un individu ou à une collectivité, en dehors de la loi commune».
Ces deux notions sont intrinsèquement liées puisque celles et ceux qui ont des privilèges dans notre société contemporaine peuvent exercer et maintenir des formes variées de puissance à leur avantage, souvent au détriment des autres. Ces dominations sont souvent inconscientes, tant elles sont ancrées depuis des générations! Exemple: je me sens légitime, en tant qu’homme blanc universitaire, à naturellement exercer mon leadership sur mes collègues femmes, sans douter un instant de ma posture, et singulièrement à me sentir supérieur devant des personnes non-universitaires, a fortiori racisées…

Aujourd’hui, certains mouvements féministes s’opposent à l’intersectionnalité (et donc aux critères utilisés dans la roue du pouvoir et des privilèges) entre autres par essentialisme (réduire un individu à une seule de ses dimensions) ou, pour certaines penseuses marxistes, par souci de s’attaquer au système produisant les dominations et non à ses symptômes ou effets. Mais cela mériterait d’y consacrer un article entier!

Comment utiliser cet outil?

Toutefois, nous situer sur cette roue est un exercice passionnant qui permet par ailleurs une prise de conscience éclatante. Plus nous nous positionnons au centre, plus nous sommes privilégié·es et faisons partie du cercle du pouvoir. A l’inverse, plus nos résultats s’éloignent du centre, plus les situations discriminantes apparaissent et l’effet cumulatif saute aux yeux.

Dessins de l'outil la roue des privilèges © Camille Perron-Cormier.
Roue des privilèges © Camille Perron-Cormier.

 

Il est possible de faire le test gratuitement sur le site https://www.idrlabs.com/fr/roue-du-pouvoir-privilege/test.php. Les critères repris ici sont: citoyenneté, couleur de peau, éducation, capacité physique, sexualité, neurodiversité, santé mentale, forme du corps, logement, richesse, langue, sexe.

Vous pouvez également créer votre propre roue du pouvoir et des privilèges, en vous aidant du protocole ci-dessous6 :

1. Chaque secteur de la roue mentionne une caractéristique selon laquelle la société nous donne du pouvoir et des privilèges, ou bien nous les retire.

2. Dans chaque secteur, faites un point sur la ligne bleue : plus près du centre du cercle si votre identité, selon cette caractéristique, vous donne moins de privilèges; plus près de l’extérieur si elle vous en donne plus.

3. Après avoir établi vos 12 points, reliez-les dans l’ordre autour du cercle par des lignes droites. Coloriez l’intérieur de la forme obtenue. Qu’est-ce que la grandeur de votre dodécagone vous dit à propos des privilèges et du pouvoir que vous détenez dans la société?

4. L’intersectionnalité, qu’est-ce que c’est?

5. Étant donné que nos diverses identités ne sont pas indépendantes les unes des autres, mais qu’elles sont plutôt étroitement liées, comment ce graphique montre-t-il leur intersectionnalité?

6. Quel est le contraire de «pouvoir»? de «privilège»?

7.    Il n’y a que 12 secteurs dans cette roue. Pourrait-on en ajouter? Lesquels?
Chaque personne peut s’approprier cette roue en l’adaptant à son environnement spécifique ou à un besoin pédagogique. Dès l’école maternelle, une petite roue simplifiée peut être construite afin d’éduquer les enfants aux différences vécues par les autres et stimuler l’empathie7 . Les critères évolueront tout au long du parcours scolaire, formatif au sens large.


De même, toute association socioculturelle aurait intérêt à utiliser cette roue et à la fabriquer avec son public-cible: dans une maison de jeunes, un planning familial ou encore un service d’aide aux justiciables. Son utilité sociale est infinie. Il soutient pleinement l’éducation permanente. Car prendre conscience de nos privilèges ou de leur absence, c’est nous (re)donner de la capacité d’agir et de construire une société plus inclusive, colorée et épanouie!

«Personne ne libère autrui, personne ne se libère seul, les humains se libèrent ensemble.» (Paulo Freire, 1974)

Couverture du numéro 191 de la revue Eduquer

fév 2025

éduquer

191

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