La crise environnementale approche à grand pas. À quoi pourrait-elle ressembler?
La pandémie du Covid-19 a radicalement changé nos vies. Elle a fait d’innombrables victimes et a plongé nombre d’entre nous dans un profond mal-être. La suite, avec ses répercussions économiques, risque d’être terrible. Cependant, si la crise actuelle est dramatique, celle provoquée par le changement climatique pourrait être bien pire. L’épidémiologiste Marius Gilbert l’expliquait dans l’édition du 18 avril du Soir: «L’impact sanitaire du changement climatique est bien plus important que celui du coronavirus. […] Si on comptait les morts liés au réchauffement climatique comme on est en train de le faire pour le Covid, on se rendrait compte qu’il est plus meurtrier». Si son affirmation peut être sujette à débat concernant le nombre de décès dû au changement climatique à l’heure actuelle, il ne fait pas de doute qu’il en provoquera un nombre de plus en plus important au fur et à mesure que la Terre se réchauffera. Les répercussions du changement climatique sont, pêle-mêle, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes (tels que les tempêtes, tornades et canicules), la fonte des glaces, l’assèchement de fleuves majeurs, la montée du niveau des eaux, l’assèchement de nombreuses forêts (dont la forêt amazonienne), l’augmentation du nombre d’inondations et le bouleversement des écosystèmes[1].
Migrations, guerres et pandémies
Certaines conséquences sont plus surprenantes et imprévisibles. L’immigration devrait par exemple augmenter puisque de nombreuses régions du monde, principalement situées dans les pays du Sud, vont devenir inhabitables. L’afflux de migrant·e·s pourrait être tel que les problèmes actuels risquent de sembler bien dérisoires. De nouveaux conflits vont également être indirectement causés par le réchauffement climatique. C’est d’ailleurs déjà le cas aujourd’hui. En effet, la récente Guerre en Syrie et la montée de l’État islamique en sont partiellement des conséquences. Entre 2006 et 2010, le pays a subi des canicules sans précédent qui ont provoqué la migration de 1,5 million de personnes vers les villes. Le travail y manquait et, résultat d’une mauvaise gestion de la part du gouvernement en place, cette situation a provoqué une crise sociale. Certaines populations, incapables de subvenir à leurs besoins et en rupture avec le pouvoir, se sont alors ralliées à l’État islamique. Qui sait, peut-être que les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles n’auraient pas eu lieu sans réchauffement climatique?
Une autre conséquence potentielle et surprenante du changement climatique nous ramène à la crise sanitaire actuelle. Le permafrost, c’est-à-dire les sols gelés couvrant un cinquième de la surface terrestre, est en train de dégeler. Or, ces sols contiennent de nombreux virus conservés par le froid. Avec le dégel, ils redeviennent actifs et pourraient alors contaminer des êtres humains. Nous savons que ces sols contiennent des virus connus, comme celui de la grippe espagnole. Ils en contiennent également de genres inconnus de l’être humain, qui sont donc extrêmement dangereux[2]. Le réchauffement climatique pourrait ainsi causer de nouvelles pandémies.
Répercussions en cascade
Pour bien appréhender la gravité des conséquences possibles du réchauffement climatique, il est important de comprendre ce que les scientifiques appellent les «boucles de rétroaction». Un tel phénomène se produit lorsqu’un événement en provoque un autre, qui lui-même renforce le premier, et ainsi de suite. Il existe d’innombrables boucles de rétroaction dans le cas du changement climatique. La plus importante concerne la fonte du permafrost qui, en dégelant, provoque l’émission de méthane, un puissant gaz à effet de serre. La fonte du permafrost va alors participer au réchauffement climatique, qui va provoquer un dégel supplémentaire du permafrost, et ainsi de suite. La boucle de rétroaction concernant le permafrost pourrait, à elle seule, déclencher un nouveau réchauffement progressif de plusieurs dixièmes de degré, voire même de plusieurs degrés supplémentaires sans que nous n’émettions de nouveaux gaz à effet de serre. Les scientifiques ne cessent d’insister sur la nécessité de ne pas dépasser un seuil de réchauffement compris entre 1,5 et 2 degrés, parce que les différentes boucles de rétroaction provoqueraient des événements en cascade se renforçant les uns les autres, les rendant imprévisibles et incontrôlables. Si ce seuil est atteint, il est probable qu’un réchauffement d’un ou deux degré(s) supplémentaire(s) se produise sur le long terme sans émettre de nouvelles émissions de gaz à effet de serre. Or, selon un rapport de la Banque Mondiale publié en 2012, «il n’est pas certain qu’un monde à 4 degrés [de réchauffement] soit possible»[3]. Comprenez, il ne sera peut-être plus possible de vivre au sein de sociétés humaines organisées. Il est plus que temps de s’en préoccuper. En effet, selon un article publié en 2017 dans la très réputée revue Science, il faudrait que nous diminuions les émissions de gaz à effet de serre par deux durant chacune des trois prochaines décennies pour avoir une chance sur deux de rester sous les 1,5°C, et deux chances sur trois de rester sous les 2°C. Comment faire, alors que les émissions globales continuent d’augmenter?
Épuisement des ressources et destruction des écosystèmes
Au problème du changement climatique s’ajoute celui de l’épuisement des ressources. Selon les dernières estimations, sur les 60 métaux présents sur Terre, une dizaine devraient être épuisés d’ici une ou deux génération(s) si nous continuons au rythme actuel d’extraction. Nous utilisons pourtant ces métaux tous les jours, notamment dans nos appareils numériques. Par ailleurs, les réserves d’énergie s’amenuisent. Ainsi, il resterait respectivement 50, 51, 90 et 132 ans de production de charbon, pétrole, gaz naturel et uranium, à leur rythme actuel d’extraction[4]. Tout cela sans même mentionner la possibilité d’une extinction de masse des espèces. Ainsi, environ 7% des espèces auraient déjà disparus et, d’après la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, équivalent du GIEC concernant la biodiversité, jusqu’à 1 million des 8 millions d’espèces animales et végétales recensées sur Terre seraient menacées d’extinction. Puisqu’il est avéré que la perte de biodiversité augmente les risques d’épidémie[5], nous voyons que, d’une crise à l’autre, il n’y a qu’un pas.
Adrien Plomteux, Ligue de L’Enseignement et de l’Éducation permanente
SOMMAIRE DU DOSSIER: Enjeux environnementaux: un modèle de société à réinventer
- Une crise comme opportunité
- D’une crise à l’autre, il n’y a qu’un pas
- Échec des politiques envisagées pour sortir de l’impasse
- Repenser notre modèle économique est devenu la première urgence environnementale
- De la crise sanitaire à la décroissance?
- Pour aller plus loin
[1] La plupart des faits relatés dans cet article sont référencés et davantage détaillés dans le premier chapitre de l’étude de la Ligue de l’Enseignement: Enjeux environnementaux: un système à déconstruire, une alternative à concevoir. Elle est disponible à: https://ligue-enseignement.be/rapport/etude-2020-enjeux-environnementaux-un-systeme-a-deconstruire-une-alternative-a-concevoir/ [2] Pour un court reportage à ce sujet, voir: www.youtube.com/watch?v=rl3KKm1Hskk [3] http://documents.worldbank.org/ curated/en/865571468149107611/pdf/ NonAsciiFileName0.pdf [4] Ces estimations ne prennent pas en compte le fait que de nouvelles technologies pourraient être découvertes pour extraire des ressources aujourd’hui inatteignables. Cependant, comme expliqué dans l’article suivant au travers du phénomène d’effet rebond, ces nouvelles ressources exploitables provoqueront une augmentation de la consommation totale de cette ressource, compensant ainsi la découverte de nouvelles réserves. [5] http://www3.weforum.org/docs/WEF%20HGHI_ Outbreak_Readiness_Business_Impact.pdf Légende illustration: Paysage nordique après dégel du permafrost. Les microbes dans ces eaux stagnantes émettent du méthane. Libre de droits.