Échec des politiques envisagées pour sortir de l’impasse

Lundi 29 juin 2020

Des solutions ont été envisagées pour répondre aux problèmes environnementaux. Elles pourraient pourtant ne pas s’avérer suffisantes…

La catastrophe environnementale à venir est connue depuis très longtemps. En 1972 déjà, le rapport intitulé Les limites de la croissance prédisait qu’un effondrement de notre civilisation était probable. Quelles ont été les solutions trouvées pour l’éviter?

Innovation technologique

La solution prônée tourne généralement autour d’un seul pilier, l’ingéniosité humaine au travers de l’innovation technologique. Selon cette manière de penser, l’ingéniosité humaine est ce qui a toujours permis à l’humanité de répondre aux problèmes et de prospérer jusqu’à présent. Pourquoi en serait-il autrement à l’avenir?

Concilier croissance économique et réduction de l’impact environnemental?

L’objectif politique phare de notre époque est la croissance économique. Nos sociétés ne sont pas prêtes à vivre sans elle, une période sans croissance provoquant de grandes souffrances dans la population, avec notamment une augmentation du chômage et de la pauvreté. Pour autant, la croissance est généralement associée à une augmentation de l’impact environnemental. Il a donc été envisagé de mettre en place des politiques permettant de concilier les deux: elles réduiraient l’impact environnemental tout en permettant à l’économie de croître. La croissance économique deviendrait alors «verte». Puisqu’une manière de favoriser la croissance verte passe par l’innovation technologique, nous venons de boucler la boucle. L’innovation technologique et la croissance verte ont été prônées ces dernières années par de nombreuses institutions internationales, notamment l’Union européenne et l’ONU[1] . Nous pouvons par exemple citer ce passage concernant le neuvième Objectif de développement durable de l’ONU: «le progrès technologique est à la base des efforts entrepris pour atteindre les objectifs environnementau[2]

Les technologies vont-elles nous sauver?

Pour déterminer si les politiques favorisant l’innovation technologique sont adéquates, il faut regarder de plus près les technologies actuellement disponibles ou en conception. Certaines sont connues, comme les énergies renouvelables. D’autres le sont nettement moins. La plupart, affublées de noms barbares tels que CCS, CCU, BECCS et DAC, cherchent à enlever du dioxyde de carbone (CO2 ) de l’atmosphère. Des sortes de systèmes de purification de l’air. Après recherche concernant ces différentes technologies, il existe des raisons d’être sceptique. Tout d’abord, il est peu probable qu’elles soient disponibles à échelle suffisante avant 2050, date à laquelle l’humanité doit avoir drastiquement réduit ses émissions. Ainsi, les énergies renouvelables ne devraient pas représenter plus de 30 à 40% de l’énergie consommée au niveau mondial en 2050, notamment parce qu’elles nécessitent la construction d’une énorme quantité de nouvelles infrastructures dans le secteur du transport ou encore de l’habitat. Par exemple, avant de rouler dans une voiture à hydrogène, il faut construire les pompes adéquates, ce qui demande la mise en place de conduits. Et ce, partout dans le monde.

Quelques métaux proches de l’épuisement utilisés par certaines technologies. Source : Banque
Mondiale (2017, p.75).

  Les technologies d’enlèvement du CO2 ne devraient pas être prêtes à temps non plus. L’avis du Groupe de conseil scientifique du Sommet mondial pour le climat de l’ONU de septembre 2019 était clair: «De nouvelles évaluations indiquent que peu d’options d’enlèvement [du CO2 de l’atmosphère] à grande échelle pourraient être disponibles avant 2050»[3]. Ensuite, la plupart de ces technologies demandent l’utilisation de ressources qui ne sont pas infinies, telles des métaux (voir le tableau ci-dessus), de l’énergie et des terres arables. Utilisées en très grande quantité, elles réduiront drastiquement les réserves déjà en diminution et pourraient ainsi ne pas être utilisables sur le long terme. Elles pourraient également entrer en concurrence avec d’autres besoins de l’humanité. Que faire si, par exemple, la technologie BECCS requiert l’utilisation d’une immense quantité de terres aujourd’hui destinées à l’agriculture?

Mythe de la croissance verte

L’idée de politiques permettant la croissance verte est théorique, et elle ne se vérifie pas en pratique. Les dernières informations disponibles montrent que certains pays ont réussi à diminuer quelque peu leurs émissions de gaz à effet de serre tout en étant en situation de croissance économique. Le meilleur élève est le Danemark, avec une baisse de 12% des émissions entre 2000 et 2014. Cela représente une diminution de 0,55% par an, alors qu’il faudrait une réduction de 6 à 7% tous les ans pendant les trois prochaines décennies. La période ne fut de toute façon pas à forte croissance. Le meilleur élève est donc très loin du compte. Au niveau global, les émissions de GES ont continué d’augmenter de 1,5% par an au cours de la dernière décennie.

Effet rebond

Cette augmentation de l’impact environnemental de l’humanité se produit alors que de nouvelles technologies sont mises au point chaque année pour nous permettre d’utiliser moins de ressources pour se chauffer, pour se déplacer ou encore pour effectuer une recherche sur Internet. Comment est-ce possible? La réponse tourne autour du concept d’effet rebond. Ce phénomène traduit nos changements de comportement de consommateurs/ trices en présence de nouvelles technologies. Imaginez que vous venez d’acheter une nouvelle voiture qui consomme moins d’essence que la précédente. Vous allez économiser de l’argent sur vos pleins. Cet argent économisé va être réutilisé, par exemple pour partir en voyage en avion ou pour vous acheter un nouveau smartphone. De cette manière, bien que vous consommiez moins d’essence avec votre voiture, vous avez augmenté votre impact environnemental ailleurs.

Deux exemples du phénomène d’effet rebond

  Il existe plusieurs types d’effet rebond, et leur explication nous emmènerait trop loin. En résumé, il semble que l’effet rebond pousse à une augmentation de la consommation globale, cette dernière ayant tendance à compenser la baisse d’impact environnemental due à la nouvelle technologie. Des études tendent à montrer que l’impact total serait même en augmentation, à l’opposé de l’objectif initial. Ce phénomène explique en partie pourquoi les nouvelles technologies ne devraient pas parvenir à nous sauver, en tout cas pas sans changer drastiquement de modèle de société.

Adrien Plomteux, Ligue de L’Enseignement et de l’Éducation permanente

 


SOMMAIRE DU DOSSIER: Enjeux environnementaux: un modèle de société à réinventer


[1] La plupart des faits relatés dans cet article sont référencés et davantage détaillés dans le deuxième et le troisième chapitres de l’étude de la Ligue de l’Enseignement Enjeux environnementaux: un système à déconstruire, une alternative à concevoir. Elle est disponible à: https://ligue-enseignement.be/rapport/etude-2020-enjeux-environnementaux-un-systeme-a-deconstruire-une-alternative-a-concevoir/ [2] www.un.org/sustainabledevelopment/fr/infrastructure/ [3] https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/30023/climsci.pdf?sequence=1&isAllowed=y, page 24


Et dans le paysage politique belge?

La vision selon laquelle l’innovation technologique va permettre de résoudre les problèmes environnementaux est largement soutenue à droite de l’échiquier politique dans notre pays. Dans cet extrait d’interview à Wilfried en juin 2018, Charles Michel expliquait sa vision sur la manière de concilier la croissance économique avec la diminution des émissions de gaz à effet de serre: «Je crois que les sciences et l’innovation sont une des clés très importantes. Elles nous permettront de réconcilier la question du développement et de la durabilité. Prenez la problématique du stockage d’énergie, ou celle des batteries: il va falloir des bonds technologiques pour les résoudre. Quand j’étais enfant, on utilisait de gros téléphones à touches ATT; aujourd’hui, ma fille de deux ans et demi chipote avec aisance sur une tablette. Ces bonds, je crois, vont s’accélérer. […] Je ne suis pas naïf, mais je pense que le génie humain, la force créatrice de l’humanité, ont souvent réussi à relever des défis qu’on croyait insurmontables»[1] . Bart de Wever, dans une interview de janvier 2019 en réponse aux manifestations des jeunes pour le climat, déclarait: «Les jeunes ne doivent pas croire aux scénarios d’apocalypse ni aux prédictions de malheurs qui exigent que l’humanité fasse des changements irréalistes. Les jeunes doivent avoir confiance en l’avenir et en la force de l’innovation. S’ils se penchent sur le passé, ils verront que l’humanité a toujours rencontré des problèmes majeurs mais que nous avons toujours trouvé des solutions grâce à l’innovation. […] L’humanité doit aller de l’avant, croître et innover sur le plan économique. […] Il faut être honnête: nous ne disposons pas encore de la technologie pour trouver des solutions à tout surtout en matière de transition énergétique, mais cela arrivera. Et encore une fois si on regarde le passé de l’humanité et la façon dont nous avons géré le problème des carburants, on voit bien que nous avons constamment trouvé des solutions en inventant de nouveaux carburants. Pourquoi ne pourrions-nous pas le faire au cours des 100 prochaines années? Tout indique que le meilleur est encore devant nous et pas derrière nous»[2]. [1] https://wilfriedmag.be/bonus/entretien-avec-charles-michel/ [2] www.vrt.be/vrtnws/fr/2019/01/26/bart-dewever-les-jeunes-ne-doivent-pas-croire-auxprediction/


Des modèles alternatifs de société envisagés pour l’après-crise

Depuis le début de la crise du Covid-19, de nombreux·ses intellectuel·le·s ont proposé des alternatives au modèle actuel de société. En Belgique, le plan Sophia, réalisé par plus de 100 scientifiques et 182 entreprises, contient 200 mesures avec l’objectif d’«enclencher immédiatement la transition vers une économie durable, pour éviter de nouvelles crises systémiques qui seraient inévitables si la relance se faisait à l’identique»[1] . La Belge Isabelle Ferreras a porté l’appel «Travail: démocratiser, démarchandiser, dépolluer» pour repenser notre rapport au travail. Il a été signé par plus de 4000 universitaires[2]. Au niveau international, nous pouvons citer l’initiative de la «Wellbeing Economy Alliance» qui a rédigé 10 principes pour construire un nouveau modèle de société d’après-crise cherchant en premier lieu à maximiser le bien-être des individus et de la planète à long terme avant la croissance économique[3] . [1] www.groupeone.be/plansophia/ [2] L’appel est disponible à: https://democratizingwork.org/#francais. Une longue interview d’Isabelle Ferreras est disponible à: www.rtbf.be/auvio/detail_le-grand-oral?id=2636020 [3] https://wellbeingeconomy.org/tenprinciples-for-building-back-better-tocreate-wellbeing-economies-post-covid

juin 2020

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