Déconfinement des écoles: inégalités exacerbées
Mercredi 17 juin 2020
La réouverture officielle, mais non obligatoire, des écoles maternelles et primaires n’a pas permis à tous les enfants de retrouver le chemin de l’école. Une rentrée à deux vitesses qui divise et creuse encore davantage les inégalités dans les familles.
Vers le milieu du mois de mai, la question de la réouverture des écoles maternelles et primaires est envisagée. 269 pédiatres, rapidement rejoint·e·s par de nombreux généralistes, signent une carte blanche. Ils/Elles demandent de ne plus exclure les enfants de la collectivité et rappellent aux autorités l’importance du rôle social de l’école. Le 22 mai, les acteur·trice·s de l’enseignement néerlandophone et le ministre flamand compétent Ben Weyts annoncent une ouverture pour le 2 juin, sans concertation avec les autres entités au sein du Conseil National de Sécurité. Côté francophone, si on est réticent sur la manière de procéder, sur le fond, les ministres compétent·e·s en Fédération Wallonie-Bruxelles ont le même objectif : faire en sorte que tous les enfants de primaire et de maternelle retrouvent le chemin de l’école dans le courant du mois de juin. Le 27 mai, la décision du Comité de Concertation (CODECO) tombe : les maternelles reprendront à partir du 2 juin et les primaires de l’enseignement ordinaire et spécialisé, à partir du 8 juin. Ce retour à l’école ne sera pas obligatoire. Toutefois, les fédérations des pouvoirs organisateurs et les syndicats d’enseignant·e·s sont plutôt mécontents. En effet, après avoir consacré du temps et de l’énergie pour répondre aux mesures sanitaires préconisées par le CNS, on demande à présent aux écoles de défaire les dispositifs mis en place. La CGSP Enseignement dépose alors un préavis de grève et demande un report de la rentrée. La ministre de l’Éducation Caroline Désir (PS) rencontre les syndicats puis confirme les dates des jours « à partir desquelles » les rentrées peuvent se faire. Pour calmer les esprits, Caroline Désir écrit également aux directions d’établissements scolaires pour les motiver à reprendre mais sans obligation. Pas d’obligation non plus pour les enfants et « aucun contrôle ». Il faudra attendre la rentrée de septembre pour réinstaurer l’obligation scolaire pour toutes et tous, et ce non plus à partir de 6 ans, mais bien dès l’âge de 5 ans. A noter que pour les élèves du secondaire, il n’y aura pas de réouverture massive des écoles. Leur présence à l’école ne se limitera qu’à quelques jours et toujours masqués.
Rentrée à deux vitesses
Durant quelques jours, on assiste médiatiquement à des moments de tensions et de divergences politiques qui jettent le doute dans les esprits et sèment la panique. En ces temps de crise sanitaire, il n’est pas simple de faire corps et sur la question d’un retour à l’école, les querelles vont bon train, laissant les enfants et leur famille à la merci du bon vouloir des différents réseaux d’enseignement, des pouvoirs organisateurs, des directions d’écoles, et des enseignant·e·s, pas toujours prêt·e·s à reprendre du service. Un certain nombre d’écoles se sont retrouvées dans l’impossibilité d’assurer une réouverture à temps plein pour toutes les années de maternelle et de primaire par manque de personnels et/ou d’infrastructures. D’autres, malgré tous leurs efforts, ne sont parvenues qu’à offrir un jour d’école par classe. D’autres encore, sont restées fermées. « Chaque commune fait au mieux pour organiser une rentrée mais à Anderlecht par exemple, les écoles sont restées fermées malgré la réouverture officielle », explique Véronique de Thier, responsable politique de la Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel (FAPEO). Le 2 juin, dans les 4 centres scolaires auderghemois, environ 50 % des enfants de maternelles ont retrouvé le chemin de l’école, annonce Elise Willame (Ecolo-Groen), échevine de l’Enseignement francophone : « En quelques jours, nous sommes parvenus à force de discussion, de réflexions et d’énergie à réorganiser nos écoles pour les accueillir. Quelques enseignants sont encore écartés pour raisons de santé mais chaque classe a un titulaire. Du côté des familles, les retours sont majoritairement positifs mais on est sans nouvelle de certains parents. Sans l’obligation scolaire, on ne permet pas l’accès à l’école pour tous les enfants. Or, c’est un droit important ».
Causes d’absentéisme
Cette rentrée non obligatoire sème le flou dans les esprits et particulièrement dans celui des parents. « Si pour certain·e·s parents, permettre aux enfants de retourner à l’école, retrouver les copains et copines et le lien social qui les unit, semblait essentiel et réjouissant après plus de 2 mois et demi de confinement, pour d’autres, ce retour à l’école n’est tout simplement pas envisageable. On remarque bien que ce sont essentiellement les enfants favorisés qui sont retournés à l’école », explique Véronique de Thier. Au moment du déconfinement, la FAPEO a mené 3 enquêtes auprès des parents, relatives à la crise actuelle et à leurs vécus. « Ce serait simpliste d’expliquer le haut taux d’absence uniquement par des raisons sanitaires. Si les parents ont fait le choix de ne pas remettre leur enfant à l’école, c’est aussi parce que pour beaucoup, le lien avec l’école a été rompu au moment du confinement, ou que l’enseignant lui-même ne revient pas en présentiel, ou encore, que les parents n’ont pas envie de casser à nouveau le rythme qu’ils ont réussi à trouver ». Les différents réseaux d’enseignement, la liberté laissée aux écoles d’organiser ou non une reprise et celle offerte aux familles de remettre ou non leur(s) enfant(s) à l’école vont faire apparaître encore davantage les inégalités scolaires qui sévissent entre élèves de milieux sociaux différents. Karine est institutrice en 2e primaire dans une école à encadrement différencié à Molenbeek. Depuis la reprise, elle a pu constater que les parents de son établissement ont été particulièrement impactés par la crise liée au coronavirus, professionnellement, financièrement et émotionnellement : « Beaucoup travaillent dans les secteurs les plus touchés comme les services, l’horeca ou encore l’aide à la personne et le secteur des aides ménagères. Ces mères et ces pères sont déjà habituellement inquiétés par d’autres difficultés matérielles. Avec la crise sanitaire, c’est devenu catastrophique. En fermant les écoles, on leur a retiré la confiance qu’ils et elles avaient mis en l’institution scolaire. Une fois confinés en famille, l’école n’avait plus d’importance » relève-t-elle.
Disparités entre enseignant·e·s
La secrétaire générale de l’ASBL ChanGements pour l’Égalité (CGé) Fred Mawet, relevait dans l’émission CQFD de la RTBF du 28 mai « qu’il y a une très très grande disparité entre ce que les enseignants ont mis en place : certains se sont décarcassés pour arriver à maintenir le contact et soutenir le travail des élèves, d'autres ont envoyé de la nouvelle matière, alors que c'est strictement interdit dans la circulaire, d'autres ont fait des évaluations cotées, d'autres enfin n'ont rien, rien fait ! Pas un contact, pas un coup de téléphone. Ça montre combien nôtre système scolaire n'est pas égal ». Pour l’échevine auderghemoise Elise Willame, on ne peut pas se contenter d’attendre septembre et espérer que tous les enfants reviennent. « Il faut rétablir l’obligation scolaire, c’est évident mais d’ici septembre, il faut réfléchir à la mise en place d’un accompagnement individuel. C’est pourquoi nous avons engagé 4 temps plein supplémentaires pour renforcer les Dispositifs d’Accrochage scolaire, le travail en petits groupes et un meilleur accompagnement des élèves en difficulté. Nous proposons aussi de la remédiation cet été pour tous les auderghemois entre la 1ère et la 6e secondaires de la mi-juillet jusque fin août. Nous identifions en ce moment, avec l’aide des directions d’écoles, les élèves qui en ont besoin ».
Repenser l’école et l’extrascolaire
Pour Elsa Roland, docteure en sciences de l’éducation, interviewée par Manon Legrand d’Alter Échos[1], « cette crise est l’occasion de repenser le rapport maître-élève, d’interroger le caractère encore très disciplinaire de l’école – être en rang, être sage par exemple –, de transformer des structures rigides qui sont parfois encore très proches du XVIe siècle (…) ». Elsa Roland a lancé avec une équipe de chercheuses et chercheurs de l’ULB et des étudiant·e·s en sciences de l’éducation, une recherche exploratoire menée avec des enseignant·e·s et des élèves de l’enseignement fondamental et également, avec des parents. « Notre recherche a montré que des parents issus du croissant pauvre ne voulaient pas remettre leur enfant à l’école pour ne pas ’le renvoyer en prison’, comme s’ils savaient d’emblée que les arguments du type ‘droit à la sociabilité’ ne pourraient pas avoir de prise dans l’organisation scolaire telle qu’ils la connaissent jusqu’à maintenant. Ils sont tout à fait d’accord que leur enfant aille en école de devoirs, mais pas à l’école, vue comme un lieu de pression, de violence. D’où l’importance aussi de pouvoir dans les études et recherches écouter ces parents-là. Plusieurs associations de quartier ont demandé dès le début du confinement de pouvoir investir les bâtiments scolaires, plus vastes, pour poursuivre leurs activités en respectant la distanciation physique. Des artistes se sont aussi proposés pour donner des activités aux enfants. C’est une piste beaucoup plus intéressante que de tout miser sur la réouverture des écoles. Il faut penser le retour à l’école avec les autres acteurs du monde scolaire, en qui les familles ont davantage confiance ».
Maud Baccichet, secteur communication
Illustration: Abdel de Bruxelles [1] Média d’analyse des problématiques sociales fabriqué par l’Agence Alter.
France : déconfinement scolaire obligatoire
Le dimanche 14 juin, Emmanuel Macron a annoncé un retour à l’école obligatoire le 22 juin prochain pour tous les élèves de l’école primaire jusqu’au collègue. Jusqu’alors, seule la moitié d’entre eux avaient retrouvé leur classe. Terminé le principe du volontariat : les parents devront envoyer leur(s) enfant(s) à l’école.