Discutant récemment sur les réseaux sociaux (mauvaise idée, déjà…) avec des institutrices qui se réjouissaient de ne pas devoir rallonger l’année scolaire au-delà du 30 juin, je lus avec stupéfaction que l’une d’entre elles n’estimait pas cet allongement nécessaire, se justifiant ainsi : « pendant les grèves de 1996, nous n’avons pas été à l’école pendant x mois et nous nous en sommes tous pourtant très bien sortis ». Quand je l’interrogeai sur ce « nous tous » relativement peu précis, elle me rétorqua qu’elle ne souhaitait pas de discussion polémique « ici ». Ok, mais j’ai quand même réfléchi à la réponse… 5 mois de grève entre 1995 et 1996, je me permets de douter que tout le monde s’en soit bien sorti. Déjà l’enseignement s’en est mal sorti puisque la loi Onkelinx a bien été votée le 2 avril cette année-là. Et si on s’en sort aussi bien en restant à la maison qu’en allant à l’école, je pourrais comprendre alors qu’on envisage d’envoyer les enseignants cueillir des fraises… Si la situation n’est pas comparable, on peut néanmoins noter qu’après 2 mois et demi sans mettre les pieds à l’école, nombre de faits sont alarmants. Le corps professoral est sans nouvelle d’environ 10% des enfants (et il ne s’agit là que des chiffres de l’enseignement obligatoire)… Certains réseaux ont repris la classe, mais timidement, seulement un jour ou deux par semaine, et certains parents ont toujours très peur de laisser leurs enfants rejoindre l’espace partagé. Dans les médias, des enseignant·e·s ont plusieurs fois exprimé leur crainte de savoir certains enfants laissés devant les écrans toute la journée, et nombre d’articles ont pointé les inégalités générées par le fait de faire classe à la maison - fracture numérique, espace de vie exigu, parents devant gérer d’abord les questions économiques, etc. (voir notre « excellent » Éduquer du mois de mai). Pour ma part, j’ai encore quelques nouvelles d’environ 30% de mes élèves. Pour les autres, c’est silence radio. La santé physique ? La santé mentale ? Le confinement en famille ? Rien. Je suis pourtant, pour la plupart, la seule référente francophone et donc, celle qui pourrait les mettre en contact avec une association, un avocat, un assistant social, le cas échéant. J’ai reçu récemment des nouvelles de l’une de mes apprenantes, une petite femme pleine de vie et de fantaisie, du genre à voir la vie du bon côté (même quand ce côté est très étroit). Elle me demande entre deux rigolades où elle pourrait trouver des colis alimentaires dans son quartier… Je suis quand même contente de savoir que certain·e·s dorment tranquillement en pensant que tout le monde s’en sort bien…
Pamela Cecchi, formatrice au secteur interculturel de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente
Illustration: Pauline Laurent Dans le cadre de ses missions de Cohésion sociale, l’équipe du secteur Interculturel de la Ligue donne des cours de français à des adultes dans 6 communes bruxelloises. Ces cours sont un lieu d’apprentissage mais aussi et surtout un lieu de rencontres. L’équipe partagera donc régulièrement des petites tranches de vie glanées au fur et à mesure de ces rencontres… Avec légèreté, une pointe de second degré et d’humour et une grande dose d’humanité!