Entretien (presque) imaginaire avec Nikola Tesla

Mercredi 4 décembre 2024

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François Chamaraux, docteur en sciences, enseignant en mathématiques et sciences

Intrigué par le destin étonnant de Nikola Tesla, nous avons voulu en savoir plus sur celui qui fut l’un des plus grands inventeurs des XIXe et XXe siècles. Il nous a accordé un long entretien.

Éduquer: Nikola Tesla, vous êtes né en 1856 dans ce qui est aujourd’hui la Croatie, puis, après vos études, vous avez émigré aux États-Unis, où vous êtes mort en 1943. Vous êtes inventeur et ingénieur, dans les domaines de l’électricité, des ondes et du magnétisme. Vous avez déposé une foule de brevets qui ont significativement changé la vie des êtres humains. Vous auriez pu obtenir deux fois le prix Nobel. Vous auriez dû être couvert de gloire et d’argent, mais vous êtes mort reclus dans une chambre d’hôtel, dans la solitude, la misère et les dettes: la parfaite incarnation du vieux savant excentrique coupé du monde. Quatre-vingts ans après votre disparition, le monde a presque oublié votre existence, et il associe souvent les progrès de l’électricité à Thomas Edison, dont les inventions furent bien moins novatrices que les vôtres.
Nikola Tesla (amer): L’Histoire a donc retenu Edison plutôt que moi. Cela ne m’étonne pas. Il était expert en communication, pour le meilleur et surtout pour le pire, franchissant allègrement la ligne rouge qui sépare la critique constructive et la calomnie. Moi, scientifique plutôt qu’homme d’affaires, je n’étais pas aussi doué pour me vendre.

Éduquer: À tel point que même les scientifiques vous connaissent mal et ne savent pas toujours très bien ce que vous avez découvert, alors que tout physicien sait que Marie Curie a travaillé sur la radioactivité et Albert Einstein sur la relativité. Peut-être parce que vous avez été un outsider, génial mais sans diplôme, et parce que vous n’avez pas eu de prix Nobel?
N.T.: Tout à fait. Sans diplôme supérieur, j’ai été aux États-Unis chercher un terrain favorable pour déployer mes intuitions, et travailler avec des personnes qui considèrent qu’un morceau de carton avec un tampon de l’université n’est pas nécessairement gage de talent. Et en effet, je ne suis pas passé loin du prix Nobel. Pour les rayons X d’abord, puis pour la télégraphie sans fil. Dans le second cas, c’est Marconi qui a eu le prix en 1909, mais je pense que je le méritais. La Cour suprême des États-Unis a reconnu, juste après ma mort, que mon brevet était antérieur.

Éduquer: Saviez-vous que vous avez rejoint Joule, Ampère, Volta, Newton, Curie et quelques autres dans le club très fermé des physiciens et physiciennes ayant donné leur nom à une unité de mesure? Depuis 1960, le Tesla est une unité de champ magnétique. Par exemple, un aimant utilisé pour l’imagerie médicale peut générer un champ de 2 Teslas, ce qui suffit pour arracher un tournevis de votre poche si vous passez à proximité1 !
N.T. (enthousiaste): On fait de tels aimants à votre époque? Fabuleux! Non, je ne savais pas pour l’unité, puisque je suis mort avant 1960, mais je suis heureux que les sciences m’aient rendu un tel hommage.

Éduquer: À propos d’hommage, votre nom évoque, pour la majorité des habitant·es de la planète, ni plus ni moins qu’une marque de voitures électriques. En 2024, des millions de «Tesla» circulent dans le monde, commercialisées par quelqu’un qu’on a parfois comparé à vous, en termes de génie et d’inventivité2 .
N.T.: Très intéressant! Et qu’a fait cette personne, en termes scientifiques?

Éduquer: Hum… Il envoie des touristes dans l’espace, et il donne des millions de dollars à des politiciens qui ne croient pas aux vaccins.
N.T. (déçu): Ah, c’est tout? Qu’importe, on verra bien ce que l’avenir retiendra de lui. Sait-il seulement que ses voitures roulent en partie grâce à mes brevets?

Éduquer: Que voulez-vous dire?
N.T.: Tout simplement que, parmi toutes mes inventions, un certain nombre a une incidence directe sur votre vie actuelle et donc, entre autres, sur l’existence de ces voitures. Je pense notamment à certains moteurs électriques, au radar, à la communication sans fil et surtout à la distribution d’électricité à grande échelle.

Éduquer: Beaucoup d’inventions cruciales en effet! Pouvez-vous nous expliquer ce dernier point?
N.T.: Dans les années 1890, Thomas Edison et moi-même étions en concurrence sur le marché de la distribution de l’électricité aux États-Unis. Edison régnait sur un système de courant continu, qui lui rapportait de l’argent via ses brevets sur différents appareils adaptés à ce type d’électricité. Mais ce système présentait de fortes limitations: il faut installer des gros câbles partout et des centrales électriques quasiment tous les kilomètres, car le transport à longue distance est impossible. C’était, clairement, un système dépassé et rigide, un bricolage juste bon pour le XIXe siècle. De mon côté, avec Westinghouse, j’ai mis au point l’électricité de l’avenir: le courant alternatif. Pour des raisons théoriques qu’Edison peinait à comprendre, le courant alternatif est bien plus facile à transporter sur de longues distances, il nécessite moins de câbles épais et permet de brancher toutes sortes d’appareils différents. Donc des avantages énormes sur tous les tableaux!

Éduquer: Génial!
N.T.: Mais oui! Edison était un bon expérimentateur, mais il n’avait pas l’envergure théorique pour comprendre les tenants et aboutissants du courant alternatif. Et il s’arcboutait bêtement sur son courant continu, qui lui assurait sa rente. Edison est resté fossilisé au XIXe siècle.

Éduquer: Vous avez la dent dure avec Edison!
N.T.: Bien sûr! Non seulement il n’avait pas tenu sa promesse de me rémunérer correctement quand je travaillais pour lui, mais ensuite, face à moi, il a fait preuve d’un manque total de fair-play. Au lieu de reconnaître de bonne grâce que mes idées étaient meilleures, voire de travailler avec moi, il m’a mené une véritable guerre médiatique, en alimentant une cabale destinée à discréditer l’alternatif. Il est allé jusqu’à organiser des exécutions publiques d’animaux (notamment un éléphant) par courant alternatif, pour prouver le danger de mon procédé! Pauvres bêtes... Et la chaise électrique pour les condamnés à mort, c’est lui! La première exécution fut affreuse. Certes, le courant alternatif est dangereux; mais plutôt que de le discréditer, il aurait mieux fait de s’y intéresser et de se pencher sur les problèmes de sécurisation.

Éduquer: Et, plus de cent ans après cette bataille, l’humanité vous doit la généralisation de l’électricité, devenue, grâce au courant alternatif, le principal moyen de transporter de l’énergie, rapide et relativement peu coûteux.
N.T.: Normal! Tout ceci grâce, entre autres, à mes brevets, et j’en suis très heureux.

Éduquer: Saviez-vous que, pour certaines personnes, le nom de Tesla est un peu auréolé de mystère, voire carrément sulfureux? Notamment à cause de certains de vos brevets jamais exploités, détenus par les États-Unis. Par exemple, vous auriez mis au point une machine à tremblement de terre! De là à imaginer que cette invention, exploitée par l’armée américaine, aurait permis de déclencher le séisme du 11 mars 2011 au Japon ou d’autres plus récents au Maroc et en Turquie, il n’y a qu’un pas qui a été franchi par certains, qui mélangent dans une sorte de soupe conspirationniste plusieurs aspects troubles de vos recherches, ainsi que d’autres éléments plus modernes3 .
N.T. (les yeux au ciel): Que de stupidités circulent à votre époque! Je pense que ces gens devraient prendre quelques cours de sciences avant de parler de mes brevets. Il est vrai que mes petits résonateurs peuvent mettre en mouvement des objets de grande dimension, comme un bâtiment; mais de là à créer un séisme à l’échelle d’un pays, non, c’est hors de question…

Éduquer: Et le «rayon de la mort»?
N.T. (gêné): Hum… Oui, à la fin de ma vie, j’ai évoqué la conception d’une telle arme, tellement puissante qu’elle servirait de dissuasion parfaite et empêcherait, finalement, la guerre… Mais je crois que je commençais à dire des bêtises… C’était une vague idée, fruit de mon cerveau trop fertile et, paradoxalement, pétri d’idées pacifistes. Vous savez, j’ai fini mes jours isolé dans ma chambre d’hôtel, avec mes manies et mes pigeons. C’était une vieillesse plutôt triste. J’ai pu un peu déraper.

Éduquer: Que pensez-vous d’internet? On dit que vous l’aviez, en quelque sorte, prophétisé?
N.T.: En effet, je caressais le rêve de mettre au point la circulation instantanée d’information et d’énergie, qui seraient alors accessibles facilement pour tout le monde. Un grand rêve de l’humaniste naïf que j’étais ! J’ai donc tenté de développer dans mon laboratoire de Long Island un procédé de distribution d’énergie électrique et d’information pour tous, via la Terre elle-même. Chacun aurait pu brancher des appareils à même le sol, vous voyez? Cela me rappelle votre réseau actuel, si ce n’est qu’internet utilise des câbles et des ondes, et non la Terre. Quand je vois les GSM, les mails, les podcasts, les fichiers partagés, etc., et la possibilité d’y accéder presque partout… cela correspond assez bien à mes idées futuristes de l’époque, même si, visiblement, les informations qui y circulent soient à considérer avec précaution.

Éduquer: En effet! Un dernier mot pour finir?
N.T.: Une phrase que j’ai dite de mon vivant. Vous la trouverez peut-être naïve, mais je pense qu’elle conserve un peu de pertinence à votre époque: «La science n’est rien de plus qu’une perversion d’elle-même, si son objectif final n’est pas d’œuvrer au bien de l’humanité.»

déc 2024

éduquer

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