L’intelligence collective, une réponse aux enjeux sociétaux

Mardi 3 décembre 2024

Bertrand Willems, formateur, facilitateur et coach en intelligence collective

Vous avez probablement entendu parler de techniques participatives comme le World Café, le Forum ouvert, la sociocratie, la prise de décision par consentement ou encore l’holacratie, toutes des méthodes issues de l’intelligence collective. Mais que recouvrent ces termes? À quoi l’intelligence collective peut-elle réellement servir? Quelles en sont les origines et les applications concrètes?

L'intelligence collective désigne la capacité d'un groupe d'individus à collaborer, partager des connaissances et résoudre des problèmes de manière plus efficace que s'ils agissaient individuellement. Elle repose sur la synergie créée par les interactions entre les membres du groupe, quand les compétences, les idées et les expériences de chacun·e sont mises en commun pour atteindre un objectif commun. Dans ce cadre, la diversité est source de richesse. Mais en réalité, ce potentiel existe dans tout groupe humain, et il peut être activé en créant de la sécurité dans la façon d’être et de travailler ensemble, par des processus précis et rigoureux. Le résultat obtenu forme, ainsi, plus que la somme des idées individuelles (1+1=3).
Notre époque est marquée par des crises multiples et interconnectées: burn-out et mal-être au travail, individualisme croissant, démocratie en tension, crise environnementale et climatique, montée des extrémismes, etc. Ces défis soulignent un besoin urgent de repenser nos modes de fonctionnement, tant à l’échelle individuelle que collective.
En Belgique comme ailleurs, les taux de burn-out continuent de croître, mettant en lumière un manque de sens et de lien dans le monde professionnel. Parallèlement, les citoyen·nes demandent davantage de participation et de transparence dans la vie politique. La crise environnementale et climatique, quant à elle, nous rappelle l’interdépendance entre l’humain et la nature, et la nécessité de solutions collectives pour assurer notre survie.

Un retour à la coopération

Dans la préhistoire, la survie dépendait de la coopération. Chasser le mammouth nécessitait une synergie de compétences et une confiance mutuelle. Cette interdépendance a perduré à travers les âges, car vivre ensemble était essentiel, que ce soit par la suite pour cultiver les champs ou pour faire face à des épreuves collectives. Mais avec la maîtrise grandissante de la nature et l’apparition de nouvelles technologies, un changement majeur s’est opéré. Les progrès techniques ont favorisé un confort accru et une diminution des dangers immédiats. Ce contexte a permis l’essor de l’individualisme: autonomie personnelle et droits individuels ont pris le pas sur les logiques communautaires.
Comme l’explique la facilitatrice en intelligence collective et gouvernance participative Marine Simon, notre société – et notre culture – occidentale est devenue linéaire, compétitive et cloisonnée. Aujourd’hui, face aux crises systémiques, les méthodes d’intelligence collective représentent des moyens salvateurs pour recréer des liens et transformer notre culture. Elles nous apprennent à travailler ensemble, à redonner du sens à nos actions et à innover collectivement. Il est donc essentiel de les réapprendre depuis la plus tendre enfance.

Reconnaître notre connexion au vivant

Dans son ouvrage Tout tourne rond sur cette Terre, Marine Simon établit des ponts passionnants entre les principes de l’intelligence collective et ceux de la permaculture. Cette discipline, inspirée par les écosystèmes naturels, repose sur trois principes éthiques fondamentaux: prendre soin des êtres humains, prendre soin de la Terre et partager équitablement. Ces piliers, ainsi que les 12 principes opérationnels de la permaculture, résonnent fortement avec les fondements de l’intelligence collective.
L’être humain, en tant qu’organisme, est intrinsèquement connecté au vivant. Tout comme les écosystèmes prospèrent grâce à l’interdépendance, les groupes humains peuvent atteindre des résultats durables en prenant soin les uns des autres et du collectif. Ce «cercle vertueux», décrit par Marine Simon, montre que le soin porté aux relations humaines et à l’environnement produit des fruits qui nourrissent, à leur tour, le système.
Les fonctionnements des peuples racines illustrent parfaitement cette philosophie. Dépendant de la nature et les uns des autres, ces communautés ont, depuis les origines, appliqué des principes similaires à ceux de la permaculture et de l’intelligence collective. Ces sociétés vivent en harmonie avec leur écosystème, valorisant l’entraide et la sagesse collective pour garantir leur survie.

Une philosophie de vie aux applications concrètes

Ainsi, l’intelligence collective est intrinsèque à nos racines et à nos instincts. Il s’agit d’un fonctionnement que nous devons réapprendre. Plus qu’un outil, elle représente une véritable philosophie de vie. Elle invite à réintégrer les notions de soin, de reliance et d’interdépendance, tant avec les autres qu’avec notre environnement. Ses applications multiples se retrouvent dans des contextes variés. En effet, l’intelligence collective s’adresse à toutes les échelles: des petites équipes aux organisations entières, ainsi qu’à toutes sortes de collectifs.
Dans les organisations, ses méthodes transforment la manière dont les équipes collaborent. Elles favorisent des échanges horizontaux où chacun·e peut s’exprimer. Ces approches sont au cœur des «entreprises libérées» et du management horizontal, qui visent à responsabiliser les membres du personnel et à stimuler l’innovation. On peut ainsi projeter concrètement ces méthodes à l’échelle d’un travail en équipe, d’une réunion de travail interne ou externe, ou encore au niveau d’un département ou de l’ensemble d’une organisation.
Dans la société civile, les collectifs citoyens peuvent utiliser ces outils pour coconstruire des solutions à des problématiques locales ou globales. Les débats participatifs, les assemblées citoyennes et les groupes de travail citoyens illustrent cette dynamique. Ces fonctionnements peuvent ainsi se réaliser avec tous les publics cibles (jeunes, monde agricole, comités de quartier, habitats groupés, séniors, publics précarisés, etc.). Ces initiatives renforcent le sentiment d’appartenance et offrent des solutions innovantes et pérennes (grâce à l’adhésion) ancrées dans les réalités.

Une transformation personnelle et collective

Pour les individus, l’intelligence collective peut être profondément transformatrice. Elle développe l’écoute, l’empathie, la créativité et la capacité à résoudre des conflits. Les groupes, quant à eux, gagnent en cohésion, en efficacité et en résilience. Car tout au long de notre vie, nous sommes amenés à devoir collaborer, aussi en dehors du travail, comme au club sportif, dans le cadre d’activités culturelles, d’associations, de projets ou de relations de voisinage. Le proverbe «Tout seul, on va plus vite; ensemble, on va plus loin» résume parfaitement cet équilibre entre efficacité individuelle et vision collective. Les deux doivent pouvoir coexister.

 

Formation à la Ligue
Intelligence collective et management participatif

 

La formation proposée à la Ligue vise à faire vivre aux participant·es des outils et techniques pour mobiliser l’intelligence collective (learning by doing). L’objectif est de créer ensemble de la cohésion, de l’entraide, de l’innovation, de l’envie de travailler de concert. L’intérêt est de prendre du recul sur sa propre compréhension et culture des dynamiques de groupe et de la faire évoluer et grandir, principalement par des phases d’expérimentation et de métacommunication.
L’objectif est aussi d’intégrer les fondamentaux de ces méthodes pour être capable de travailler de façon autonome avec n’importe quel outil ou d’en créer de nouveaux, voire de transformer son équipe ou son collectif et ainsi, petit à petit, transformer notre culture.
Formation de trois jours, les 3 et 4 avril et le 5 juin 2025.

Plus d’infos: https://ligue-enseignement.be/formations/intelligence-collective-et-man…

 

Pour aller plus loin

  • SIMON Marine. Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer, Éd. Yves Michel, 2021.
  • CORREA Pedro. Le Mythe de l'individualisme, Éd. XYZ, 2015.
  • LALOUX Frédéric. Reinventing Organizations, Nelson Parker, 2014.
  • CHAPELLE Gauthier et SERVIGNE Pablo. L'Entraide, l'autre loi de la jungle, Les liens qui libèrent, 2017.
  • CHAPELLE G., GÉRARD T., SIMON M., MARSAN Ch., LAVENS J., SAINT GIRONS S., JULIEN E. L'Intelligence Collective. Cocréons en conscience le monde de demain, Éd. Yves Michel, 2014.
  • CHAREST Gilles. La démocratie se meurt, vive la sociocratie!, Éd. Esserci, Italie, 2007.

déc 2024

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