Formation des formatrices et des formateurs - Pour le plaisir d’apprendre ensemble

Mercredi 29 mars 2023

formation formateurs et de formatrices 1
Ligue de l'Enseignement
Patrick Hullebroeck, Directeur

Assurer des formations destinées à des adultes est un métier. C’est aussi une vocation. Mais comment faire quand cette nouvelle voie s’offre à nous et que nous ressentons l’envie de partager avec les autres ce que la vie, les belles rencontres, un trajet personnel ou une expérience professionnelle, la maturation, les lectures, une formation nous ont appris?

Comment devient-on formatrice ou formateur? C’est à cette difficile tâche que s’attelle la formation de formatrices et formateurs que j’anime à la Ligue. Qu’il s’agisse d’un choix personnel, d’une opportunité d’emploi ou d’une réorientation professionnelle, la Formation de formatrices et de formateurs propose les jalons nécessaires pour faire évoluer son projet de formation et aider à sa concrétisation dans le secteur non-marchand. Pour ce faire, nous parcourons un processus de formation en groupe et nous découvrons tous les ingrédients qui font le plaisir d’apprendre ensemble: interactions, réflexion personnelle et questionnement, jeux, apprentissages, mises en commun, évaluation, techniques pour apprendre, prises de conscience. Peu à peu, chaque participant·e découvre son style propre, le public à qui s’adresser, les compétences à partager, son projet personnel en tant que formatrice ou formateur.

Des objectifs d’apprentissage

Notre formation vise plusieurs objectifs qui sont autant de fils conducteurs qui la traversent. Le premier objectif consiste avant tout à clarifier son projet personnel en tant que formatrice ou formateur et ensuite à développer une réflexion sur les enjeux et les objectifs du métier. La formation permet bien sûr de découvrir les différentes facettes de l’activité, pour ensuite élaborer un trajet de formation, de la demande à l’évaluation en passant par l’offre, le séquençage et l’animation. La formation vise aussi à partager des dispositifs de formation, des exercices et des jeux participatifs, et à développer une réflexion méthodologique sur leur utilisation. Elle invite à explorer les lois de la communication et de l’évolution des groupes en formation et enfin à expérimenter et développer les attitudes de base qui facilitent les apprentissages.

formation formateurs et de formatrices

Six week-ends thématiques

La formation est organisée en six week-ends portant chacun sur un thème privilégié. Durant le premier week-end, après avoir vécu le moment inaugural de la formation d’un groupe d’adultes centré sur les apprentissages, les participant·es découvrent les spécificités du projet de formation, sa vocation spécifique – par opposition à un projet de consultance ou de coaching – et ce qui distingue le rôle de la formatrice ou du formateur des autres métiers qui s’intéressent à l’éducation. Très vite, le groupe s’attèle à la tâche de concevoir et de rédiger une offre de formation à partir d’une analyse de la demande. Au final, il s’agit de comprendre ce qui caractérise une bonne offre de formation et d’identifier les critères d’appréciation d’un·e commanditaire.

Le deuxième week-end est davantage centré sur le projet personnel des participant·es et sur la définition de la fonction de formatrice et de formateur, telle qu’elle apparaît dans la commission paritaire n°329 du secteur socioculturel et de l’insertion socioprofessionnelle. On y étudie les compétences requises pour exercer le métier, mais aussi les étapes significatives qui conduisent les participant·es à se tourner vers lui. A travers cette prise de conscience des moments importants d’un parcours personnel, il s’agit aussi de reconnaître sa manière préférée d’apprendre et d’interroger la conception de l’acte d’apprendre qui en découle et que chaque personne tend à privilégier. Apprendre en imitant un modèle? par l’expérience individuelle ou collective? par la pratique? par une démarche intellectuelle? Autant de façons d’apprendre qui inspireront les grandes méthodes d’apprentissage utilisées en formation avec les adultes.

Une connaissance authentique est plus facilement acquise quand elle est liée à des situations qui sont perçues comme des problèmes.

Un climat relationnel de qualité

Les conditions de l’apprentissage chez l’adulte ont sans doute des points communs avec celles de l’enfant, mais elles en diffèrent aussi profondément. Un chercheur comme Carl Rogers (1902-1987), par exemple, a beaucoup insisté sur l’importance, chez l’adulte, de la qualité du climat relationnel dans lequel s’effectuent les apprentissages. Ce chercheur est l’un des représentants importants du courant humaniste en psychologie. Il a étudié de très près les conditions de l’apprentissage dans la relation thérapeutique. Il en tire quelques enseignements qui s’appliquent directement à la relation pédagogique.

Il observe d’abord qu’une connaissance authentique est plus facilement acquise quand elle est liée à des situations qui sont perçues comme des problèmes. «Ainsi, la première application à l’éducation pourrait être de permettre à celui qui étudie d’être, à chaque niveau, en contact réel avec les problèmes qui concernent son existence, de telle sorte qu’il distingue ceux qu’il désire résoudre1

A la différence de la thérapie où les principales ressources de la connaissance sont à trouver en la personne, il existe dans l’éducation de nombreuses sources d’informations extérieures qui doivent être mises à la disposition des apprenants.

Être effectivement présent

Il constate ensuite que l’apprentissage authentique est facilité par un·e enseignant·e «congruent·e». «Parce qu’il accepte ses sentiments comme étant vraiment les siens, il n’a pas besoin de les imposer aux étudiants ou d’insister pour qu’ils réagissent de la même façon que lui. Il est une personne et non l’incarnation abstraite d’une exigence scolaire ou bien un conduit stérile au travers duquel le savoir est transmis d’une génération à l’autre. (…) Quand je repense aux professeurs qui ont facilité mes progrès dans la connaissance, il me semble que chacun a eu cette propriété d’être une personne effectivement présente.»2

Une autre conséquence est l’importance de l’acceptation, par l’enseignant·e, de la personne qui étudie telle qu’elle est et de la compréhension empathique des sentiments qu’elle éprouve. «A-t-on le droit de laisser se manifester de pareils sentiments dans le cadre de l’école ? Selon ma thèse, certainement. Ils sont liés à l’évolution de la personne, à l’efficacité de sa connaissance et de son équilibre pratique; et le fait de traiter de tels sentiments avec compréhension et acceptation a un lien certain avec celui d’apprendre la géographie du Pakistan ou de savoir faire une longue division.»3

A la différence de la thérapie où les principales ressources de la connaissance sont à trouver en la personne, il existe dans l’éducation de nombreuses sources d’informations extérieures qui doivent être mises à la disposition des apprenant·es. En cohérence avec ce qui précède, l’enseignant·e pourra partager avec ses élèves l’expérience personnelle qu’il/elle a de ces connaissances et communiquer sa propre façon de penser les choses et de les organiser. Il/elle pourra mettre les connaissances qui sont les siennes à la disposition des apprenant·es sans vouloir en faire «des choses attendues, ordonnées, imposées ou exigées. Il se mettra en personne à leur disposition, avec tous les moyens qu’il peut fournir4

La personne adulte n’apprend jamais mieux que quand ses apprentissages ont un sens pour elle et une utilité, valorisable dans la vie personnelle ou l’activité professionnelle.

Développer une relation personnelle

La conviction fondamentale de Rogers est que l’enseignement est basé dans la tendance des étudiant·es à s’affirmer. Il repose sur l’idée que les étudiant·es «qui sont en contact effectif avec la vie désirent apprendre, veulent mûrir, cherchent à trouver, espèrent maîtriser, désirent créer » et que la fonction de l’enseignant·e consiste dès lors surtout à « développer une relation personnelle avec ses étudiants et un climat dans sa classe tels que ces tendances naturelles arrivent à leur pleine maturité ».5

C’est dire que le métier de la formation n’implique pas seulement de transmettre des contenus. Il s’agit de répondre aux besoins fondamentaux des personnes qui participent à la formation, en accordant une égale attention à la satisfaction des besoins physiologiques (les temps de repos, par exemple) qu’à la sécurisation et à la bonne intégration des individus dans le groupe. Mais il y a plus. La personne adulte qui apprend s’expose au changement. Elle expérimente le doute et se confronte à ses zones d’incompétence. Elle doit donc être encouragée, soutenue en permanence dans son effort vers le dépassement de soi et l’accomplissement des objectifs personnels qu’elle poursuit à travers la formation. En effet, l’adulte n’apprend jamais mieux que quand ses apprentissages ont un sens pour lui/elle et une utilité, valorisable dans la vie personnelle ou l’activité professionnelle.

Les méthodes pour apprendre

Tous ces facteurs qui motivent les apprentissages chez l’adulte expliquent que les méthodes utilisées en formation pour adultes diffèrent, pour une part, des méthodes pédagogiques utilisées avec les enfants. C’est l’objet du troisième week-end. Découvrir les techniques, s’exercer à les utiliser, adapter et choisir les méthodes en fonction des objectifs d’apprentissage poursuivis, formuler dans une conduite le déroulement d’une séquence, évaluer le temps nécessaire, préparer les supports ou le matériel adéquat sont autant de facettes du métier qui constituent le quotidien de la formatrice et du formateur. Durant ce week-end, nous apprenons à identifier les grands types de techniques: la méthode interrogative, démonstrative, de la découverte, de l’exploitation d’une situation-problème ou d’une étude de cas en sont quelques exemples. Mais nous utilisons également des méthodes que connaissent bien les professionnel·les de l’animation: les jeux de communication, les dispositifs de discussion, les photos-langages, etc.

Naturellement, il ne s’agit pas seulement de concevoir les dispositifs pour apprendre. Il faut aussi les animer avec un groupe. J’aime bien définir une formation d’adultes comme étant «un groupe d’adultes qui prend plaisir à apprendre ensemble». Tous les mots comptent dans cette définition. Mais je voudrais insister ici sur la dimension collective de l’apprentissage. Il s’agit bien d’apprendre ensemble, même si, ultimement, l’apprentissage est sous la responsabilité de chaque individu. Comment dès lors communiquer en groupe, «faire faire» sans commander ni manipuler, susciter l’intérêt ou entretenir la motivation et le plaisir d’apprendre?

Former en groupe passe toujours par l’animation d’activités menées en groupe. Comment dès lors susciter la coopération et la participation, s’appuyer sur l’esprit de compétition sans nuire à la cohésion du groupe, jouer pour le plaisir mais aussi pour apprendre? Une connaissance de base de la communication en groupe et de la dynamique de groupe permettent de mieux comprendre ce qui se joue dans la relation éducative avec un groupe d’adultes qui prend part à des activités. Ces aspects font l’objet du quatrième week-end de la formation.

Animer une séquence dont je suis l’auteur ou l’autrice

Animer une séquence d’apprentissage de sa propre conception est l’objet du sixième et dernier week-end de la formation. Chaque personne conçoit et anime une séquence de formation. C’est une façon de récapituler les acquis de la formation et, pour celles et ceux qui démarrent dans le métier, un premier pas dans la concrétisation du projet personnel. Durant ce dernier week-end, la question de l’évaluation en formation est abordée sous différents angles. S’agit-il d’évaluer les dispositifs, les apprentissages ou la participation? Pourquoi évalue-t-on? Dans quel but: contrôler, motiver, apprendre encore?

Enfin, la présentation des séquences par les participant·es suppose de s’appuyer sur des panneaux et des supports efficaces d’un point de vue graphique et communicationnel. A cette fin, le week-end qui précède (le cinquième) est consacré à la facilitation visuelle. Je confie cette tâche que je considère comme importante à Christelle Messiant, qui est formatrice à la Ligue et qui développe, à partir de sa longue expérience professionnelle dans la communication et la formation en tant que graphiste, une série de modules de formation sur la facilitation visuelle. C’est un apport non négligeable à la formation car des supports de qualité aident aux apprentissages, en complétant le dire et le faire par le visuel. Pour ne rien gâcher, la facilitation visuelle nous aide ainsi à mobiliser les différents lobes cérébraux qui interviennent dans les apprentissages, tout en ajoutant une dimension esthétique à l’acte d’apprendre.

  • 1ROGERS, Carl Ransom. Le développement de la personne, Paris, Dunod InterEditions, 2005, p.188-202
  • 2Idem
  • 3Idem
  • 4Idem
  • 5Idem
Eduquer 177 alimentation durable

Avr 2023

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