Dernière chronique (inter)culturelle avant la prochaine: Critères d’accession au paradis et autres concours de vertus
Mardi 28 mars 2023
Discutant métaphysique sous Orval avec un ami récemment, il me demanda en riant si j’étais vraiment sûre de pouvoir un jour rejoindre le paradis. Longue interrogation, léger doute quand même… Ça passera peut-être de justesse en délibération. Quoique…
Mais après tout, quels sont les critères d’accession au paradis? Il serait plus simple de les connaitre maintenant, histoire de savoir ce qu’il en est pour la suite. Enfin, savoir ce qu’il en est… Est-ce que le paradis ressemble vraiment à une espèce de showroom Ikea immaculé de nuages? Un espace où tu pourrais te vautrer dans un énorme fluffy édredon très doux? Avec des fontaines de limonade et des cupcakes géants?
Et l’enfer, est-ce vraiment une espèce de cœur de volcan avec des brasiers partout? Il parait qu’il y fait chaud, mais chaud comment? Chaud… chaud? Comme le fond du bus 71 un été de canicule? Ou chaud-bon? Et, critère non négligeable à mon avis: où seront les amis? Faudrait qu’on s’organise pour pas diviser le groupe, surtout si on prend perpète!
La semaine suivante, je soumets la question à mes apprenants, ils sont sans doute mieux placés que moi pour en parler. S. défend qu’il faut être musulman pour accéder au paradis, A. soutient que c’est sa chrétienté qui la sauvera du grand four. Oui, mais est-ce obligatoire d’être croyant pour rejoindre le paradis? Si je suis quelqu’un de sympa toute ma vie, n’y aurait-il pas moyen de négocier avec le grand barbu? A. me rassure: Dieu reconnait la pureté des cœurs, quel que soit ton bord politique ou religieux.
Dans ce cas, qu’est-ce qu’un cœur pur? Ne pas faire du tort, respecter les autres. Quand j’interroge sur l’image du paradis, A. m’explique que c’est merveilleux: chacun possède sa petite maison avec jardin et il suffit de fantasmer une situation pour qu’elle existe. C’est un peu comme la vie sur Terre, mais avec un bon salaire en fait…?
O., de culture musulmane mais profondément athée, relève tous les paradoxes des théories religieuses: si Dieu est bon, il a sans doute des critères plus objectifs que la pratique d’une religion. Qu’en est-il des enfants qui naissent au Paradis, tel que le relate le Coran, en quoi sont-ils davantage vertueux que ceux qui naissent sur Terre? Avec le nombre de subdivisions religieuses où chacun pense détenir la vérité, si l’une d’elle exclusivement détient cette vérité, seule une infime minorité accèderait donc au Paradis?
M., musulman, conclut par une petite histoire légendaire, que l’on retiendra parce qu’elle finit par mettre le groupe d’accord. Un samouraï cherche un maître, il va vers celui qu’on lui conseille, un ermite dans une grotte. «Maître, enseigne-moi le paradis et l’enfer». En réponse, le maître lui dit: « Qui est celui qui me pose la question sinon un vulgaire manant, pourquoi lui répondrais-je, il n’est digne d’être enseigné». Sur ce, le samouraï piqué dans sa fierté, dégaine son sabre et s’apprête à attaquer. «Voici que s’ouvrent pour toi les portes de l’enfer», lui dit le sage. Alors le samouraï s’arrête, rengaine son sabre et s’apaise. «Voici que s’ouvrent à toi les portes du paradis».
Photo de Johannes Plenio sur Unsplash