Prévenir le harcèlement et améliorer le climat scolaire

Lundi 13 mai 2024

©Olya Kuzovkia - unsplash.com
Marie-Francoise Holemans, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Un enfant sur trois serait touché par le harcèlement scolaire en Belgique francophone, mais il n’existe pas de réel suivi de ces données. Le phénomène, toutefois, est sur toutes les lèvres. Les recherches se multiplient afin d’en comprendre les fondements et d’évaluer les dispositifs de lutte contre le harcèlement. Les politiques s’en emparent et dégagent désormais des budgets conséquents pour professionnaliser les écoles.

L’ampleur du harcèlement entre élèves repose sur très peu de données, mais une enquête du GIRSEF1 de 2014 révélait qu’un élève de la FWB sur trois avait été touché par le harcèlement scolaire dans l'année écoulée: 16% se disaient régulièrement victimes de harcèlement, 14% se déclaraient régulièrement auteurs, alors que 5% affirmaient être à la fois régulièrement auteurs et victimes.
Paradoxalement, une enquête plus récente, l’enquête HBSC 2022 «Comportements, bien-être et santé des élèves» menée par le Sipes-ULB auprès de 13.000 élèves scolarisés en Wallonie et à Bruxelles2 , indiquait que 8 élèves sur 10 disaient n’avoir jamais été harcelés à l’école durant les deux mois précédant l’enquête. Par ailleurs, 11,4% des élèves rapportaient avoir été harcelés une ou deux fois durant cette période, 2,6 % deux ou trois fois par mois, 1,3% à peu près une fois par semaine, et 2,2% plusieurs fois par semaine.

Intention, répétition et déséquilibre

Mais qu’entend-on précisément par harcèlement scolaire? Le pédopsychiatre Emmanuel de Becker3 explique qu’à la suite des travaux du psychologue Dan Olweus, la plupart des équipes cliniciennes et de recherche s'accordent sur trois éléments déterminants: une volonté délibérée de faire du tort, de nuire, voire de détruire de la part de l’individu agresseur; parallèlement, l’inscription et la répétition des faits d’agression dans la durée; et enfin, un déséquilibre de pouvoir ou une relation d’emprise entre la personne harceleuse et la victime.
«On pourrait comprendre le harcèlement scolaire comme des comportements négatifs délibérés répétés à l'égard d'un individu, souvent isolé, percevant péniblement une issue à sa situation. Le harcèlement s’exerce de manière physique (coups, attouchements), verbale (insultes, intimidations), relationnelle (rejet, rumeur), matérielle (vol, dégradation) ou encore via les technologies de l'information et de la communication (internet, portable)», détaille Emmanuel de Becker. «Si la violence physique constitue une des formes fréquentes de harcèlement scolaire avec son cortège de menaces et de tensions relationnelles, nous constatons l’émergence récente d’une maltraitance de type psychologique à travers les réseaux sociaux et les médias de communication, le cyberharcèlement. Précisons également que le harcèlement scolaire se différencie des autres formes de maltraitance par le fait qu’il s’étaye habituellement sur un phénomène de groupe. En effet, la jouissance de faire mal s’amplifie par l’intérêt suscité dans le regard des autres.»

Un problème majeur de santé publique

Le professeur de psychologie Roger Fontaine décrit le phénomène sous un autre angle: «Le harcèlement, ou bullying, est une forme particulièrement pernicieuse et insidieuse de comportements et de stratégies agressives qui s’introduisent dans les pores de la vie sociale de la maternelle jusqu’à la maison de retraite, en passant par toutes les structures institutionnelles. Comportements parfois si familiers et si fréquents que tout un groupe de personnes peut les percevoir comme normatifs d’une culture communautaire, c’est-à-dire banals jusqu’à devenir la norme comportementale de tous les membres d’un groupe. Les problèmes posés par le harcèlement n’ont rien d’anodin. L’OMS les a classés de par leurs conséquences physiques et psychologiques sur les victimes, comme “problèmes majeurs de santé publique”.4 »
Mais c’est la relation triangulaire qui caractérise particulièrement le harcèlement scolaire, selon la sociologue Annick Faniel, responsable du Centre d'Expertise et de Ressources pour l'Enfance (CERE), car il implique différents acteurs: l’individu harceleur, le harcelé et le groupe de pairs. «Chacun a un rôle relatif à sa position dans le groupe. Les pairs ont la possibilité de renforcer le harcèlement ou de l'arrêter. En effet, si le harcèlement puise une partie de son origine dans les personnalités respectives du harceleur et de la victime, il ne se maintient dans la durée que parce que des pairs le soutiennent, l’encouragent ou feignent de l’ignorer. Un travail sur le climat scolaire, compris dans le sens de “qualité de vie à l’école”, prenant en compte non pas l’individu mais l’ensemble des membres de la communauté scolaire ainsi que les parents, permet d’offrir un cadre clair et serein dans lequel peuvent évoluer et s’exprimer les enfants, de façon à favoriser le développement de leur empathie pour autrui.5 »

La lutte s’organise

En France, le harcèlement scolaire est une priorité du gouvernement qui a mis en place un plan global de prévention et de traitement des situations de harcèlement depuis 2021. Généralisé aux écoles et collèges à la rentrée 2022, puis étendu aux lycées à la rentrée 2023, il touche ainsi l’ensemble des établissements français. De janvier à juin 2024, une phase d’expérimentation de séances d'empathie est menée dans plus de 1000 écoles. À la rentrée de septembre 2024, des «cours d’empathie» seront organisés dans toutes les écoles maternelles et primaires grâce à un Kit d’empathie6 mis à la disposition les professeur·es pour les accompagner dans leur mise en œuvre.
En Belgique francophone, un premier appel à candidatures invitait les écoles à postuler au «programme-cadre» de prévention du harcèlement et d’amélioration du climat scolaire pour l’année scolaire 2023-2024. Quelque 118 écoles y avaient répondu. Visant l’objectif de 280 nouvelles écoles de primaire et secondaire à la prochaine rentrée, le deuxième appel s’est clôturé le 15 mars. Un budget annuel de 2,6 millions d’euros permettra l’accompagnement rapproché des établissements sélectionnés pour une durée de quatre ans. «L’accompagnement se fait via un opérateur externe agréé et financé par la Fédération afin d’homogénéiser les pratiques, expliquait au Soir la ministre de l’Éducation, Caroline Désir, en février dernier. Le but est qu’un jour, les 2500 écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles aient fait de la lutte contre le harcèlement une priorité.7 » Parmi ses initiatives, la ministre s’est rendue en Finlande pour acquérir la licence du programme KiVa pour nos écoles primaires. «Il n’y a pas de programme miracle, confiait-elle à la RTBF en décembre 2023, mais ce qui est intéressant c’est de pouvoir combiner plusieurs approches et que les écoles se sentent à l’aise avec les outils qu’on leur propose. Ce qui nous importe, c’est que les écoles se mettent en mouvement pour lutter contre le harcèlement scolaire et qu’elles le fassent toutes.8 »
Une nouvelle circulaire publiée le 29 mars 2024, «Climat scolaire et prévention du harcèlement et du cyberharcèlement scolaires»9 , prévoit une procédure de signalement obligatoire qui devra être intégrée au règlement d’ordre intérieur de l’école (ROI) au plus tard pour le 26 août 2024. Le plan de lutte contre le harcèlement de la ministre Désir repose aussi sur la création d’un Observatoire du climat scolaire10 chargé d’assurer une veille scientifique permanente, d’alimenter les écoles avec des références et des outils pédagogiques de qualité et de mettre les acteurs concernés en réseau.

mai 2024

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