Pollution du numérique: Vers une école en mode sobre?

Lundi 11 mars 2024

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Marie Versele, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Tablettes, ordinateurs et tableaux blancs interactifs sont devenus monnaie courante dans les classes. Ils font partie de l’environnement scolaire au même titre que les cahiers et les stylos, et la crise du Covid n’a fait qu’accélérer leur omniprésence dans la pratique enseignante, via les cours en ligne et l’utilisation de plateformes éducatives. Or cette pratique n’est pas sans incidence écologique...

Quel est l’impact du numérique sur notre environnement et comment adopter des pratiques à l’école visant une plus grande sobriété numérique? Au-delà de la question de l’efficacité pédagogique des outils numériques, l’utilisation d’internet à l’école (ou à la maison) pose des questions d’empreinte carbone non négligeable dont on ne prend pas toujours conscience.

En finir avec le mythe de la dématérialisation

Spontanément, nous imaginons que le numérique ne nécessite pas de support, qu’il est totalement volatile et donc totalement dématérialisé. Le seul mot virtuel suggère qu’un document numérisé n’existe pas! Prenons l’exemple de la photographie: la technologie argentique nécessite un film, du papier photosensible, etc. Dans l’imaginaire collectif, la photographie numérique ne se contenterait que d’un boîtier numérique, d’un affichage sur écran et serait téléchargeable via des ondes, comme par magie. Pourtant, aussi virtuelle soit-elle, cette photographie numérique nécessite un stockage, un lieu où elle existe réellement!
Contrairement au mythe de la dématérialisation1 , les données sur internet ne sont donc pas nulle part, elles sont bel et bien stockées sur des plaques de silicium, derrière de solides murs quelque part dans le monde, nécessitant une grande quantité d’eau et d’énergies provenant d’uranium ou de combustibles fossiles (pétrole, gaz ou charbon) rejetant des gaz à effet de serre. Le numérique n’est donc pas immatériel, il est constitué d’ordinateurs, de smartphones, de kilomètres de câbles, de centres de stockage, etc. Le numérique est bien matériel. Il n’existe aucun moyen physique de faire autrement2 .

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«Tous les appareils numériques émettent des gaz à effet de serre polluants, augmentant ainsi notre empreinte carbone et donc notre impact sur l’environnement.»

Un coût environnemental exorbitant

Comme pour tout appareil électrique, le numérique nécessite l’usage d’énergies en tous genres, qui ne sont pas toujours renouvelables. Consulter les informations sur son GSM, regarder une vidéo sur YouTube ou se connecter à une plateforme en ligne nécessitent une connexion, donc de l’électricité. Selon le rapport Clicking Clean3 publié en 2017, le secteur internet consommerait 7 à 10% de l’électricité mondiale. Une consommation électrique qui génère une pollution conséquente. On le voit, l’empreinte carbone de l’utilisation du numérique n’est donc pas nulle.
À travers chaque site internet consulté, une requête http transite d’un serveur vers un site internet, consommant ainsi une certaine quantité d’énergie, de l’électricité qui libère du dioxyde de carbone (CO₂) dans l’atmosphère4 . Tous les appareils numériques émettent des gaz à effet de serre polluants, augmentant ainsi notre empreinte carbone et donc notre impact sur l’environnement. On estime que le numérique engendrerait à lui seul près de 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, c’est une fois et demie plus important que le transport aérien mondial5 !
Tout clic sur un internet engendre donc une pollution, et celle-ci trouve son origine dans trois types de sources: les utilisateurs et leurs équipements et terminaux (ordinateurs, téléphones, etc.), les centres informatiques (data centers) hébergeant nos données, et les réseaux permettant de faire voyager nos informations en reliant les utilisateurs et les centres informatiques6 .

«L’empreinte environnementale de la production d’un équipement numérique est bien plus vaste que l’objet en lui-même: elle implique notamment l’extraction des ressources, les procédés de fabrication, le transport des matières et produits.»

Toujours plus d’utilisateurs et d’équipements

Selon l’étude Digital Report 20227 , sur 7,91 milliards d’individus peuplant le monde, on recense 4,95 milliards d’internautes. Parmi eux, 92,1% surfent sur le web à partir d’un téléphone mobile et passent 6h58 en moyenne sur internet. En 2019, les équipements les plus répandus étaient les smartphones (3,5 milliards), les autres téléphones (3,8 milliards), les dispositifs d’affichage tels que les télévisions, écrans d’ordinateur et vidéoprojecteurs (3,1 milliards). A cela s’ajoutent les objets connectés (enceinte Bluetooth, montre, thermostat, éclairage, etc.)8 .
Avant d’arriver dans nos boutiques, ces équipements numériques ont souvent parcouru des centaines de kilomètres et sont fabriqués dans des usines utilisant des énergies fossiles et des métaux rares nécessaires à leur fabrication. On y retrouve la notion de «sac à dos écologique» de Friedrich Schmidt-Bleek, qui considère l’ensemble des étapes de la production, des ressources nécessaires à la fabrication et à la vente d’un objet. Ce sac à dos écologique permet alors de saisir pleinement que l’empreinte environnementale de la production d’un équipement numérique est bien plus vaste que l’objet en lui-même: elle implique notamment l’extraction des ressources, les procédés de fabrication, le transport des matières et produits.
On estime que la fabrication d’un ordinateur portable de 2 kg émet 103 kg de CO2 et mobilise, entre autres, 22 kg de produits chimiques, 240 kg de combustible et 1,5 tonne d’eau claire9 . L’essentiel de la pollution d’un objet numérique ne se situe donc pas dans son utilisation mais bien lors de sa fabrication.

Une déferlante d’informations

Pour stocker les données et les distribuer à travers internet ou un réseau interne, les centres informatiques (ou data centers) sont des lieux physiques sécurisés où sont conservées et sauvegardées les données immatérielles sur des serveurs, des routeurs et des disques durs. Ces data centers permettent donc d’héberger des sites internet comme des services de cloud pour les organisations. En 2019, on dénombrait 67 millions de serveurs hébergés. En 2023, on comptait 5065 data centers répartis dans 133 pays10 .
Pour répondre à la déferlante d’informations publiée quotidiennement sur le Net, ces data centers stockent et gèrent cinq milliards de milliards d’octets de données par jour. En effet, en une seule minute sur la Toile, on comptabilise 5,9 millions de recherches effectuées sur Google, 1,7 million de contenus partagés sur Facebook, 66.000 photos partagées sur Instagram, 347.000 tweets postés sur Twitter, 2,4 millions de snaps envoyés sur Snapchat ou encore 500 heures de vidéos téléchargées sur YouTube, 16 millions de messages textes envoyés, 231 millions d’emails envoyés11 !
Afin d’assurer ce flux de données massif et préserver l’intégrité de leurs circuits électroniques, les data centers fonctionnent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, avec des ordinateurs chauffant en continu et nécessitant un système de refroidissement constant très énergivore en électricité. A ce titre, les data centers ont une empreinte carbone considérable: on estime qu’au niveau mondial, ils consomment 2% de l’électricité et sont responsables de 0,3% des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, deux tiers des data centers chinois utiliseraient des énergies fossiles (gaz ou charbon) pour fonctionner12 .
Enfin, entre les utilisateurs et les centres informatiques se situent bien sûr les réseaux, servant à connecter les ordinateurs entre eux. Ils sont composés de systèmes d’interconnexion de machines utilisant un ensemble standardisé de protocoles informatiques de transfert de données (LAN, MAN, WAN). Ils seraient au nombre de 1,3 milliard, dont plus de 1 milliard de modems ADSL/fibre, constitués des équipements permettant les connexions (box, antennes relais, réseau WAN et Lan, etc.).

Quel impact écologique?

Par ordre décroissant d’importance, les facteurs – interdépendants – de l’impact écologique du numérique sont la fabrication de l’équipement informatique des utilisateurs, la consommation électrique de leurs équipements, la consommation des réseaux et celle des centres informatiques. Viennent ensuite la fabrication des équipements réseau et la fabrication des équipements hébergés par les centres informatiques (serveurs, etc.).
La fabrication des équipements informatiques des utilisateurs reste donc le poste le plus énergivore en termes de pollution, représentant 30% du bilan énergétique global, 39% des émissions de gaz à effet de serre (GES), 74% de la consommation d’eau et 76% de la contribution à l’épuisement des ressources abiotiques (ressources naturelles non vivantes)13 .
Cette pollution digitale est vertigineuse et elle ne fait qu’augmenter. Selon l’organisation Kepios, le nombre d’internautes serait passé de 2,18 milliards en 2012 à 4,95 milliards en 2022. En termes de matériel, on estime que l’équipement numérique aura quintuplé entre 2010 et 2025, avec des impacts environnementaux deux à trois fois plus grands et se traduisant en émissions de gaz à effet de serre, passant de 2,2% en 2010 à 5,5% en 202514 . C’est énorme, affolant et sans précédent!

«Face à la déferlante numérique, il semble nécessaire de freiner l’hémorragie via des pratiques raisonnées et responsables.»

Vers plus de sobriété numérique à l’école?

Si les nouvelles technologies nous ont offert un accès intarissable à l’information, cette démocratisation de la culture et de la connaissance a cependant un lourd prix environnemental. Face à cette déferlante numérique, il semble nécessaire de freiner l’hémorragie via des pratiques raisonnées et responsables. Et s’il est utopique d’enlever toute trace du numérique à l’école, son usage peut être réfléchi et raisonnable.
Quelle que soit son utilisation dans l’éducation, la transition numérique implique aussi la nécessité de fournir une éducation au numérique. Par son omniprésence, les jeunes y sont inévitablement confrontés. Il convient donc de leur apprendre tant à manier les outils numériques qu’à éviter une utilisation incorrecte et à de mauvaises fins. Corollairement, la formation des enseignant·es doit emboîter aussi le pas, en intégrant dans ses fondamentaux une éducation par le numérique et une éducation aux médias.
Car l’enjeu est mondial autant qu’éducatif: il devient urgent de repenser notre utilisation du numérique par et pour les générations futures, en adoptant une attitude et des gestes visant une plus grande sobriété numérique et des pratiques écologiques porteuses d’avenir.

 

Changer nos pratiques numériques pour moins polluer

Face à la pollution du numérique, quelles pratiques pouvons-nous adopter au quotidien pour atteindre une plus grande sobriété? Au-delà de la question de nos besoins numériques (de quoi a-t-on réellement besoin? est-ce nécessaire?), voici quelques astuces simples à mettre en place.

Les emails:

  • L’envoi d’emails fait partie de notre quotidien mais n’est pas sans conséquences. En effet, envoyer, répondre ou transférer un fichier par mail génère un stockage de données énergivore. A ce titre, il est intéressant de réduire la taille des pièces-jointes (document compressé, image en basse résolution, par exemple) et de les supprimer quand elles ne sont plus nécessaires.
  • Par ailleurs, l’envoi d’un mail à plusieurs destinataires démultiplie l’énergie utile à son envoi. Selon l’ADEME, un mail envoyé à dix destinataires multiplie par quatre son impact environnemental. Inutile donc de répondre à tous les destinataires si ce n’est pas nécessaire!
  • Vous pouvez également faire du tri dans votre boîte mail: il est superflu de garder des mails désuets ou des spams qui restent stockés dans des data centers et donc continuent à consommer de l’énergie.

En navigation:

  • Taper directement une URL d’un site sans passer par un moteur de recherche permet de réduire par quatre les émissions de gaz à effet de serre selon l'ADEME. Il est donc intéressant de conserver dans vos favoris les URL que vous consultez régulièrement.
  • Fermez les onglets non utilisés dans un navigateur. En effet, les navigateurs internet réactualisent constamment les pages restées ouvertes, ce qui représente une consommation inutile.

Les vidéos:

  • Les vidéos en ligne représentent 60% du flux mondial de données et sont responsables de près de 1% des émissions mondiales de CO2! Réduire la qualité des vidéos peut diminuer considérablement l’impact sur l’environnement. La plupart du temps, les vidéos s’affichent en haute résolution sur nos écrans. Cette haute résolution consomme une grande quantité de bandes passantes qui ont un impact environnement considérable. Une résolution réduite est bien souvent suffisante pour visionner une vidéo.
  • Vous pouvez également désactiver le mode «lecture automatique» dans les paramètres de navigation.
  • Évitez également d’écouter de la musique en mode vidéo, préférez une lecture en mode streaming qui consomme nettement moins d’énergie.

Mar 2024

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