Phobie scolaire: Les Ados de Robert Dubois, l’école de la transition
Lundi 4 novembre 2024
Comment assurer la scolarité des jeunes en situation de phobie scolaire quand se rendre à l’école est devenu pétrifiant pour eux? Afin de garantir un continuum pédagogique et de les soutenir vers une réintégration dans leur école d’origine, quelques rares écoles de l’enseignement spécialisé de type 51 accueillent des élèves en situation de refus scolaire anxieux. Rencontre avec Charlotte Mirzahosseinkhan, coordinatrice de la section Les Ados de Robert Dubois à Bruxelles.
Les Ados de Robert Dubois est une école qui accueille des élèves en situation de phobie scolaire. Rattachée à l'école Robert Dubois, école spécialisée de type 5 de la Ville de Bruxelles, elle est née en 2015 d'une initiative conjointe entre le pouvoir organisateur de la Ville de Bruxelles et l'Hôpital des Enfants, l'HUDERF2 .
Éduquer: Quelle est la particularité de votre école?
Charlotte Mirzahosseinkhan: «Les Ados de Robert Dubois» est une école spécialisée de type 5 qui accueille un maximum de 20 jeunes en situation de phobie scolaire, de la première secondaire à la rhéto. L’école compte une équipe pédagogique d’une quinzaine d’enseignants, ainsi qu’une équipe médicale composée d’une psychologue, d’un médecin assistant pédopsychiatre détaché par l’HUDERF, et de moi-même, la coordinatrice de l’école. Nous bénéficions aussi de la supervision de notre directeur, M. Tallane, qui dirige les différentes implantations de notre école.
Éduquer: Comment entre-t-on à l'école «Les Ados de Robert Dubois»?
C.M.: Les jeunes qui sont accueillis ici sont suivis par un pédopsychiatre extérieur et pour qui un diagnostic de phobie scolaire a été établi. Pour qu’un jeune intègre notre école, il faut avant tout que le projet soit porté par le psychiatre qui nous l’envoie. Les parents passent une préadmission à l'Hôpital des Enfants avec notre pédopsychiatre et notre psychologue, qui vont valider ou non le projet. Cela permet d'obtenir une expertise médicale et de vérifier la prise en charge médicale du jeune. Cette transversalité entre le secteur médical et scolaire est primordiale si on veut que cela fonctionne.
Éduquer: Pourquoi un travail conjoint entre les jeunes, l'école et les soins?
C.M.: L’objectif de notre école est de permettre à ces jeunes de remettre le pied à l'étrier, de pouvoir réintégrer une école ordinaire. C'est la raison de notre accompagnement par une pédopsychiatre et une psychologue. Pour nous, cette triangulation est vraiment importante, c'est là le cœur même de notre travail. En effet, les jeunes arrivent idéalement ici en fin de parcours: après leur prise en charge médicale et hospitalière, nous assurons la transition car le retour à l'école ordinaire serait trop brutal.
Éduquer: Cette double prise en charge, thérapeutique et scolaire, est-elle primordiale?
C.M.: Oui! Chez nous, les médecins sont vraiment des alliés précieux car en tant qu'enseignants, nous n'avons pas leur expertise. En parallèle de l'aspect scolaire que nous assurons, ils vont pouvoir répondre à d'autres besoins. J'aime dire aux jeunes qui arrivent chez nous qu'il y a deux chemins: celui de l'école et celui du soin. Idéalement les deux vont avancer conjointement. On ne peut pas courir sur le chemin de l'école si le soin est laissé de côté.
Éduquer: Est-il possible d'établir un profil de vos élèves?
C.M.: Il est très difficile de définir un profil type des élèves de l'école car les causes de la phobie scolaire sont multiples. La phobie scolaire touche tous les milieux, tous les genres, tous les âges. Il n’y a pas de recettes classiques de la phobie scolaire. En revanche, on se rend compte qu'il y a des tendances, on sait que le harcèlement, par exemple, peut être un facteur aggravant, mais chaque cas est différent, singulier. Quand on travaille en santé mentale, il n'y a pas de canevas très précis, les jeunes peuvent être fragilisés par quantité de facteurs. Ils arrivent chez nous pour diverses raisons mais avec un point commun: à un moment, aller à l'école est devenu trop compliqué.
Éduquer: L’envie d’apprendre, est-ce ce qui différencie la phobie scolaire du décrochage?
C.M.: Oui, mais le terme « décrochage scolaire » est parfois un mot fourre-tout qui peut cacher bien d'autres choses! L'absentéisme peut masquer des problèmes d’ordre psychologique. Un élève présentant un certificat médical ne sera pas source d'inquiétude immédiate, contrairement à un élève sans justificatif qui alertera certainement plus rapidement l'équipe pédagogique. Dans le cas d'une phobie scolaire, le facteur médical entre en compte.
Éduquer: Comment une école peut-elle faire la différence entre refus scolaire anxieux et absentéisme «classique»?
C.M.: Il n'appartient pas à l'établissement scolaire de déceler une phobie scolaire. Les PMS peuvent intervenir, en première ligne, auprès des familles et des médecins. L'école doit être attentive aux décrochages scolaires et interpeller les équipes adéquates, mais ce n'est pas à elle d'établir des diagnostics car elle n'est pas équipée pour cela.
Éduquer: Concrètement, comment se passe une journée type chez vous?
C.M.: Aux Ados de Robert Dubois, l'horaire est plus léger que dans une école ordinaire. Les cours commencent plus tard. Globalement, les cours «classiques» se donnent le matin; l'après-midi est consacrée à des ateliers, notamment d'arts plastiques ou de philo. Des moments sont aussi dédiés à des temps plus thérapeutiques, notamment via des groupes de parole. On mène également des activités de retour vers l'extérieur, de type culturel, mais aussi, simplement, de plaisir à être ensemble. Cela peut paraître anodin mais cela reste un réapprentissage assez lourd pour ces jeunes pour qui, parfois, le fait de prendre les transports en commun peut être très angoissant. L'enjeu ne réside pas seulement dans la matière scolaire, mais réellement dans le tissage du lien, la reprise de la confiance en soi, dans l'école, dans l'autre.
Éduquer: Comment se déroule la scolarité des jeunes dans votre école?
C.M.: D'ici, le jeune doit pouvoir suivre en parallèle le chemin de son école, c'est-à-dire avoir accès à ses cours, être en contact avec ses profs, qui peuvent être rassurés sur sa prise en charge et sa progression scolaire. Chaque élève a un référent qui fait des feedbacks pédagogiques réguliers à l'école ordinaire lors de conseils de classe. On vise à retrouver une temporalité assez proche de l'école à réintégrer. Et cela n’est possible que si notre école est en contact avec l'école d’origine.
«La collaboration entre l'école d'origine, d'un côté, et le secteur psy et médical, de l'autre, est fondamentale pour envisager une réintégration.»
Éduquer: Comment les jeunes réintègrent-ils leur école?
C.M.: Cela se passe de manière très progressive et il faut l’aval du médecin notamment. C'est pour cette raison que notre pédopsychiatre collabore en permanence avec les pédopsychiatres des jeunes. Cette collaboration entre l'école d'origine, d'un côté, et le secteur psy et médical, de l'autre, est fondamentale pour envisager une réintégration. Une fois que le jeune est apte à retourner à l'école, on le remet en lien avec son école, on l’y accompagne pour qu'il puisse retrouver des repères. Une fois ce contact rétabli, le jeune pourra reprendre le chemin de son école en assistant, par exemple, à une petite heure de cours par semaine, puis deux, en augmentant progressivement, tout en instaurant des temps thérapeutiques entre les moments de reprise.
Éduquer: Avez-vous une temporalité précise pour la réintégration?
C.M.: L'école accueille un jeune environ 10 mois par an, soit une année calendrier. Nous visons une amorce de réintégration après la moitié de cette période environ, mais nous procédons au cas par cas. La réintégration dépend de l'état du jeune, pas d'un calendrier, et elle se fait de manière progressive.
Éduquer: Les écoles d'origine se montrent-elle coopérantes?
C.M.: Oui, la plupart! Les enfants hospitalisés ont des droits et les écoles ne peuvent pas refuser cette collaboration. Elles sont souvent soulagées d'avoir ce soutien, même si dégager du temps pour accueillir les élèves en réintégration peut être parfois compliqué pour une école de 1000 élèves. Mais le travail que les écoles d’origine fournissent dans ce cadre est réellement important et à saluer! Elles font de leur mieux et ça se passe très bien car nous voulons tous le bien de nos élèves.
Éduquer: Des aménagements sont-ils prévus pour les élèves qui retrouvent leur école?
C.M.: La réintégration nécessite des aménagements, au même titre que pour les enfants à besoins spécifiques. Il faut pouvoir répondre à leurs besoins jeunes et les remettre au centre des préoccupations. Le jeune existe à travers son individualité, ses spécificités, qui doivent être prises en considération dans le système scolaire.
Éduquer: Tous les jeunes parviennent-ils à réintégrer leur école d'origine?
C.M.: Généralement, oui. Certains sont cependant trop dégradés pour un projet scolaire et on les réoriente vers un milieu hospitalier. En fréquentant notre école, les jeunes disposent d’un an pour se poser, pour apprivoiser à nouveau ce qu'est une école, les profs, l'apprentissage, les examens.
Éduquer: La phobie scolaire est-elle un sujet dont on parle depuis longtemps?
C.M.: Une prise de conscience émerge, semble-t-il. C’est sans doute encore lent. Je pense que c’est lié au fait que les questions de santé mentale des jeunes sont encore souvent sous-évaluées. Depuis le COVID, il est devenu impossible de nier la détresse mentale des jeunes, tout comme il est aujourd’hui impossible de nier le besoin d’aménagements à instaurer pour les jeunes à l’école.
«La phobie scolaire est multifactorielle, elle vient nous questionner en tant qu'adulte, en tant que société mais aussi en tant que milieu scolaire.»
Éduquer: Le refus scolaire interroge-t-il notre système scolaire?
C.M.: La phobie scolaire vient nous interroger au niveau sociétal avant tout. La phobie scolaire est multifactorielle, elle vient nous questionner en tant qu'adulte, en tant que société mais aussi en tant que milieu scolaire. Je ne pense pas que les écoles soient responsables de la phobie scolaire, loin de là, mais qu'il y a une série de jeunes qui se retrouvent mis à mal par plusieurs facteurs qui peuvent être liés ou non à l'école. Dans tous les cas, le résultat se manifeste par rapport à l'école: à un moment, il y aura impossibilité de s’y rendre. Si le problème n'était que l'école, on changerait l’enfant d'établissement scolaire et ce serait réglé! Or cela ne fonctionne pas comme ça. D’où l'importance du travail thérapeutique qui fait émerger les problèmes sous-jacents de la phobie scolaire.
Éduquer: En amont, que peuvent faire les écoles pour prévenir la phobie scolaire?
C.M.: C’est presque au niveau sociétal qu’un travail de sensibilisation à la santé mentale doit être mené. Les centres PMS sont sur-sollicités et pas assez outillés pour suivre tous les jeunes. Dans un centre PMS, le ou la psychologue consulte une ou deux matinées par semaine à l'école. C'est peu! Les PMS ont une charge de travail assez importante et ne sont pas suffisamment présents dans les écoles. Or, ce sont eux qui peuvent intervenir en première ligne face à des situations de décrochage. Donc d’abord sensibiliser à la santé mentale des jeunes, puis donner des moyens supplémentaires aux écoles qui sont démunies face à la situation.
Éduquer: Selon vous, la santé mentale des jeunes est-elle taboue dans notre société?
C.M.: Je pense qu'il y a effectivement un tabou général autour de la santé mentale. Ce n’est pas un sentiment partagé par tout le monde, heureusement! Le milieu hospitalier souffre, tout simplement. C'est un milieu sous-financé, manquant de moyens. Pour qu'un jeune puisse être correctement pris en charge, cela prend parfois beaucoup de temps. Pourtant, les équipes médicales et paramédicales font de leur mieux pour les accompagner mais elles sont complètement surmenées. La santé mentale reste à mes yeux sous-estimée, sous-évaluée en termes de besoins.
Éduquer: Trois écoles spécialisées accueillent les enfants en situation de phobie scolaire à Bruxelles et en Wallonie3
. Est-ce suffisant?
C.M.: Effectivement, actuellement il n’y en a que deux à Bruxelles et une à Liège. C'est très peu! Il y a un vrai besoin de création d'écoles accueillant des enfants en situation de phobie scolaire mais malheureusement, l'enseignement spécialisé de type 5 reste sous-financé. Une école telle que la nôtre est une initiative exceptionnelle de la part de notre pouvoir organisateur (NDLR: la Ville de Bruxelles) et cela mérite vraiment d'être souligné car c'est trop peu investi.
«Si on veut que les jeunes aillent bien, il faut pouvoir leur offrir un cadre dans lequel ils peuvent s'épanouir. À l'heure actuelle, l'école est mise en danger parce qu'elle est sous-financée, dévalorisée.»
Éduquer: Pensez-vous que l’enseignement spécialisé soit malmené?
C.M.: Au-delà de la question de la phobie scolaire, je pense que l'enseignement est dévalorisé et sous-financé de manière générale. Nous sommes tous concernés en tant qu'acteurs de l'enseignement, il n'y a pas de scission à faire entre le général et le spécialisé. Si on veut que les jeunes aillent bien, il faut pouvoir leur offrir un cadre dans lequel ils peuvent s'épanouir. À l'heure actuelle, l'école, au sens large du terme, est mise en danger parce qu'elle est sous-financée, parce qu'elle est dévalorisée. Si l'école ordinaire ne va pas bien, le spécialisé n'ira pas bien non plus. C'est bien là que le bât blesse: si on veut une école qui prend soin de ses élèves, il faut d'abord prendre soin de l'école.
- 1L'enseignement spécialisé de type 5 accueille des enfants malades ou en convalescence. Le type 5 est destiné aux élèves qui, atteints d’une affection corporelle et/ou souffrant d’un trouble psychique ou psychiatrique, sont pris en charge sur le plan de leur santé par une clinique, un hôpital ou une institution médico-sociale reconnue par les pouvoirs publics. Ce type d’enseignement peut être dispensé quel que soit le lieu où séjourne l’élève durant sa maladie ou sa convalescence (Décret du 3mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé).
- 2Hôpital universitaire des Enfants Reine Fabiola.
- 3Les Ados de Robert Dubois et l’École Escale à Bruxelles, et l’école Léopold Mottet à Liège.