Phobie scolaire: comprendre et accompagner les enfants en difficulté
Lundi 4 novembre 2024
En collaboration avec l’association Phobie Scolaire, la pédopsychiatre et chercheuse Laelia Benoit a réalisé pour l’Inserm la première étude française majeure sur le thème de la phobie scolaire, afin d'évaluer le parcours de soins et le parcours scolaire des familles concernées. La spécialiste nous partage ici son expertise sur ce phénomène de plus en plus répandu.
La phobie scolaire, également appelée refus scolaire anxieux (RSA), est un trouble complexe qui touche environ 1 à 5% des enfants et adolescents. Elle se manifeste par une incapacité à fréquenter l’école, souvent accompagnée de détresse émotionnelle, voire de symptômes physiques tels que des maux de tête ou des douleurs abdominales. Contrairement à l’absentéisme volontaire, la phobie scolaire résulte d'une anxiété profonde face à l'environnement scolaire, ce qui en fait un défi majeur pour les familles et les professionnel·les de santé.
La phobie scolaire est souvent liée à des troubles anxieux, des phobies spécifiques ou des troubles dépressifs. Elle peut également résulter d’un harcèlement scolaire. Elle s’inscrit dans une catégorie plus large de problèmes d'assiduité scolaire (School Attendance Problems - SAP), incluant l’école buissonnière, le retrait scolaire et l’exclusion scolaire. Il est essentiel de distinguer la phobie scolaire de la simple déscolarisation, car l’anxiété y joue un rôle central (Kearney et al., 2022).
Facteurs de risque et symptômes associés
Une étude récente menée par notre équipe a analysé les réponses de 1328 parents dont l’enfant avait été concerné par un refus scolaire anxieux (Benoit et al., 2024). L’âge moyen de début du RSA était de 13 ans. Au cours des deux années précédant son apparition, 24% des enfants avaient vécu une maladie grave ou la perte d'un être cher, 23% un changement d'école, 16% un déménagement et 12% une modification de la structure familiale (comme un divorce). De plus, 62% avaient subi une forme de pression scolaire venant de l'école, des parents et/ou d'eux-mêmes, 48% avaient été victimes de harcèlement, d'insultes ou de menaces et 16% avaient subi des violences physiques.
Les symptômes précurseurs tels que les comportements oppositionnels, dépressifs, anxieux ou somatiques étaient présents, en moyenne dès l'âge de 8 ans. Sur les 56% d’enfants ayant passé un test de QI, 44% étaient considérés comme «précoces» (quotient intellectuel égal ou supérieur à 130). Une utilisation à risque des écrans avait été signalée par 52% des parents participant à l’étude. Le RSA était associé à au moins un autre diagnostic chez 88% des enfants, au premier rang desquels la dépression (33% des enfants) et la phobie sociale (28%) (Benoit et al., 2024).
Les symptômes physiques associés à la phobie scolaire, tels que les maux de ventre, les migraines ou les troubles du sommeil, sont fréquents et souvent le reflet d’une détresse émotionnelle profonde. Les parents, ainsi que les enseignant·es, peuvent parfois interpréter ces signes comme une maladie physique, retardant ainsi la prise en charge psychologique appropriée (Li et al., 2021). Pendant la pandémie de COVID-19, les enfants et adolescents souffrant de phobie scolaire ont exprimé une intensification de leurs symptômes somatiques liées à l’anxiété, exacerbée par l’isolement social et les perturbations de la routine scolaire (Li et al., 2024).
Par ailleurs, les adolescents issus de minorités ethniques et de familles migrantes confrontés à la phobie scolaire peuvent vivre des difficultés particulières, liées à des malentendus culturels ou à des incompréhensions de la part du personnel éducatif, ce qui aggrave leur angoisse face à l’école (Benoit et al., 2015; Brault et al., 2022).
Les cinq trajectoires du refus scolaire anxieux
L’étude menée par notre équipe nous a permis d’identifier cinq trajectoires types de RSA fondées sur des rapports rétrospectifs des parents: deux profils pour les enfants (absences ponctuelles et récupération rapide) et trois pour les adolescents (récupération prolongée, déclin progressif et déclin rapide) (Benoit et al., 2024).
Chez les jeunes enfants, l’âge moyen de début pour les enfants des profils 1 et 2 se situait entre 9 et 10 ans. Ces enfants étaient plus susceptibles d'avoir un diagnostic de trouble de l'apprentissage que ceux des profils d’adolescents. Ils étaient moins susceptibles de faire l’objet d'un suivi psychiatrique, de prendre des antidépresseurs et de recevoir plusieurs médicaments psychotropes, que les adolescents des profils 3, 4 et 5.
Le profil 1, «Absences ponctuelles», décrit une trajectoire modérée et stable au cours des trois premières années, avec des jeunes enfants présentant seulement des absences de court terme (moins d’un mois d’absence par an). Presque tous les enfants du profil 1 présentaient au moins un symptôme somatique. Ils étaient plus susceptibles de souffrir de maux de ventre et de maux de tête que les quatre autres profils.
Le profil 2, «Récupération rapide», comprend une proportion élevée d'enfants ayant des problèmes médicaux préexistants (comme l’asthme ou le diabète), qui avaient tendance à retourner à l'école dès la deuxième année de suivi. Dans ce profil, le RSA était plus fréquemment associé à une aggravation des conditions médicales préexistantes.
Hospitalisations plus fréquentes chez les ados
Les participant·es des profils 3, 4 et 5 étaient plus âgé·es, avec un début du RSA entre 11 et 12 ans. Ces adolescents étaient plus susceptibles de recevoir un suivi psychiatrique, un diagnostic de phobie sociale et de prendre des médicaments.
Le profil 3, «Rétablissement prolongé», correspond à des adolescents moins susceptibles de présenter un comportement oppositionnel que les autres profils, mais davantage susceptibles de remettre en question leur identité de genre. Ces participants avaient bénéficié d'une prise en charge intensive: ils avaient obtenu un diagnostic formel de RSA plus souvent que dans les autres profils, et 35% d'entre eux avaient au moins un rendez-vous de soins par semaine. Ils étaient moins susceptibles de renoncer aux soins pour des raisons financières ou organisationnelles et plus susceptibles de percevoir les médicaments comme efficaces.
Le profil 4, «Déclin progressif», correspond à des adolescents ayant maintenu une fréquentation partielle de l'école pendant les deux premières années du RSA, suivie d'une cessation complète lors de la troisième année. En comparaison avec les quatre autres profils, ces adolescents étaient plus souvent en colère à l'idée d'aller à l'école et plus susceptibles de présenter un comportement oppositionnel.
Le profil 5, «Déclin rapide», correspond à un absentéisme scolaire d’emblée massif, qui persiste malgré de multiples aménagements scolaires et des interventions médicales d’intensité croissante. Ces adolescents étaient plus susceptibles d’avoir reçu un diagnostic de phobie sociale associé au RSA, d’avoir bénéficié de plusieurs psychothérapies, d'avoir été hospitalisés en psychiatrie ou en unité pédiatrique et de recevoir des prescriptions d'antipsychotiques. Ce profil présentait la plus forte fréquence de scolarisation à domicile, pour 38% des participant·es. Pour ces adolescents, une séparation d'avec les parents (en internat par exemple) avait été plus souvent suggérée que pour les autres profils.
«L’étude souligne l’importance d’une identification précoce des signaux de la phobie scolaire et de la mise en place d’interventions adaptées, pour limiter l’impact négatif sur le développement social et scolaire des jeunes.»
Une diversité d’évolutions
Ces cinq trajectoires montrent la diversité des évolutions du RSA. Les profils d'enfants plus jeunes semblent associés à une comorbidité médicale ou un trouble des apprentissages (comme la dyslexie) et les profils d'adolescents apparaissent associés à une comorbidité psychiatrique. Le profil de «récupération prolongée», avec des taux élevés de diagnostic par un professionnel de santé, des rendez-vous fréquents et une satisfaction élevée vis-à-vis des médicaments, montre qu’un soutien intensif est associé à davantage de reprise scolaire.
Il est à noter que si les hospitalisations psychiatriques étaient plus fréquentes chez les adolescents, elles n'étaient pas associées à un bénéfice clair pour la résolution du RSA. L’hospitalisation apparaît ainsi comme un marqueur de la sévérité du RSA, car elle est le plus souvent proposée après de multiples interventions infructueuses. Ces résultats soulignent l’importance d’une identification précoce des signaux de la phobie scolaire afin de mettre en place des interventions adaptées pour limiter l’impact négatif sur le développement social et scolaire des jeunes (Benoit et al., 2024).
Des incidences à long terme
Les conséquences à long terme du refus scolaire incluent un risque accru de décrochage scolaire, de dépression et d’isolement social. Pour certains jeunes, l’usage des jeux vidéo, initialement source de réconfort et de distraction, peut devenir une addiction et contribuer à pérenniser la phobie scolaire (Boussand, 2021). Il est donc essentiel de mettre en place des interventions précoces pour éviter ces effets négatifs sur la santé mentale et le parcours scolaire des enfants et adolescents concernés. Il est à noter que les parents migrants d'adolescents souffrant de phobie scolaire sont souvent confrontés à des barrières culturelles et à des difficultés d’accès aux soins, ce qui accentue leur isolement et leur vécu de stigmatisation (Rosenthal et al., 2020).
La phobie scolaire entraîne également des conséquences pour les familles: dans notre étude auprès de 1328 parents, la moitié des familles dépensait plus de 150 euros par mois en soins non remboursés, et 69% des parents avaient vu leur activité professionnelle bouleversée par le RSA de leur enfant (passage à temps partiel, perte d’emploi, etc.) (Benoit et al., 2024).
Approches thérapeutiques
Une première étape consiste à vérifier que l’élève n’a pas de maladie physique qui pourrait expliquer son épuisement (anémie, déséquilibre des hormones de la thyroïde, par exemple) et à s’assurer qu’il n’est pas victime de violences dans l’immédiat (harcèlement sur le trajet de l’école ou dans l’établissement) (Benoit & Moro, 2017). Lorsqu’un trouble mental, comme une dépression, est associé à la phobie scolaire, il est important de le traiter avant d’envisager une reprise scolaire. Dans notre étude, la moitié des enfants (54%) avaient reçu au moins un traitement pharmacologique, et pour 44% des participant·es, le premier professionnel de santé consulté était leur médecin de famille (Benoit et al., 2024).
Le traitement de la phobie scolaire repose principalement sur des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), qui ont prouvé leur efficacité, notamment à travers des techniques d'exposition progressive à l'environnement scolaire. Une étude a mis en lumière l'intérêt des thérapies multifamiliales, qui permettent aux familles de partager leurs expériences et de s’entraider. Ces interactions sont bénéfiques aussi bien pour les adolescents, qui retrouvent confiance en eux, que pour les parents qui se sentent moins seuls dans leur gestion de la situation (Roué et al., 2021). Lorsque les tensions entre la culture familiale et scolaire exacerbent la phobie scolaire, une approche transculturelle peut être un atout dans la prise en charge (Benoit et al., 2015; Brault, 2022).
Les symptômes somatiques sont à prendre en charge avec une approche multidisciplinaire, combinant des soins médicaux et psychologiques, notamment axés sur le lien corps-esprit (par la relaxation, la méditation, etc.), afin de soulager les symptômes physiques suscités par l’anxiété scolaire (Li et al., 2024).
«L’école en tant que telle n’est que rarement la cause du problème. Cependant, elle joue un rôle central dans la détection et la gestion de la phobie scolaire.»
Le rôle central de l’école
Même si on parle de «phobie scolaire», l’école en tant que telle n’est que rarement la cause du problème. Cependant, elle joue un rôle central dans la détection et la gestion de la phobie scolaire. La collaboration – confiance mutuelle et communication régulière – entre les familles, les personnels de l’école et les professionnel·les de santé est cruciale pour maximiser les chances de succès (Benoit, 2018).
Dans notre étude menée auprès de 1328 parents, seuls 61% des enfants avaient bénéficié d’aménagements scolaires (avec un emploi du temps allégé ou un plan d’accompagnement personnalisé) et 27% des parents s’étaient sentis rejetés ou critiqués par les équipes scolaires (Benoit et al., 2024).
Les professionnel·les de santé peuvent soutenir les parents et les écoles en adaptant leur approche selon le sous-type de RSA. Les ajustements scolaires, tels que des emplois du temps adaptés ou des espaces de répit, peuvent également aider ces jeunes à retrouver progressivement confiance en eux et à revenir à l'école. La reprise se fait lentement et par étapes. Il est essentiel que les écoles bénéficient d’une formation appropriée pour comprendre et gérer les situations de phobie scolaire, en particulier dans un contexte multiculturel (Brault et al., 2022; Rosenthal et al., 2020).
Une approche précoce, globale et collaborative
La phobie scolaire est un trouble complexe qui nécessite une prise en charge précoce et adaptée. L’identification de différents sous-types de refus scolaire anxieux montre que cette présentation clinique courante regroupe en réalité des problématiques distinctes. Les trajectoires variées des jeunes concernés montrent qu’il n’existe pas de solution unique. Néanmoins, une approche globale et collaborative, incluant la prise en compte des symptômes divers, de possibles troubles des apprentissages (Stone et al., 2023), des comorbidités psychiatriques et du contexte social et culturel de chaque élève peut grandement améliorer la qualité de vie des enfants souffrant de phobie scolaire et leur permettre de se réintégrer dans le système scolaire.
La compréhension de la phobie scolaire, par les parents, les professionnel·les de l’école et de la santé permet d’élaborer des stratégies efficaces qui, à long terme, aideront ces jeunes à surmonter leurs peurs et à s’épanouir pleinement dans leur parcours éducatif et personnel.
Références
- Benoit, L., Chan Sock Peng, E., Flouriot, J., DiGiovanni, M., Bonifas, N., Rouquette, A., Martin, A., & Falissard, B. (2024). Trajectories of school refusal: Sequence analysis using retrospective parent reports. *European Child & Adolescent Psychiatry*. https://doi.org/10.1007/s00787-024-02419-5
- Benoit, L. (2018). Du refus scolaire au suivi psychiatrique. Trajectoires d’adolescents déscolarisés (Doctoral dissertation, Université Paris-Saclay (ComUE)).
- Benoit, L., Barreteau, S., & Moro, M. R. (2015). «Phobie scolaire chez l’adolescent migrant», la construction identitaire dans une approche transculturelle. Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, 63 (2), 84-90.
- Benoit, L., & Moro, M. R. (2017). Refus scolaire anxieux. Rev Prat, 31 (989), 752-3.
- Boussand, E., Phan, O., & Benoit, L. (2021). Refus scolaire anxieux et addiction aux jeux vidéo chez les adolescents: Une revue narrative de la littérature. Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, 69 (5), 241-252.
- Brault, C., Thomas, I., Moro, M. R., & Benoit, L. (2022). School refusal in immigrants and ethnic minority groups: A qualitative study of adolescents' and young adults' experiences. *Frontiers in Psychiatry*, *13*, 803517. https://doi.org/10.3389/fpsyt.2022.803517
- Kearney, C. A., Benoit, L., Gonzálvez, C., & Keppens, G. (2022). A primer for the past, present, and theory of change for the future of school attendance and absenteeism. *Frontiers in Psychiatry*, *12*, 103018. https://doi.org/10.3389/fpsyt.2022.103018
- Li, A., Guessoum, S. B., Ibrahim, N., Lefèvre, H., Moro, M. R., & Benoit, L. (2021). A systematic review of somatic symptoms in school refusal. *Psychosomatic Medicine*, *83*(7), 715-723. https://doi.org/10.1097/PSY.0000000000000946
- Li, A., Yang, D. D., Beauquesne, A., Moro, M. R., Falissard, B., & Benoit, L. (2024). Somatic symptoms in school refusal: A qualitative study among children, adolescents, and their parents during the COVID-19 pandemic. *European Child & Adolescent Psychiatry*, *33*(7), 2243-2251. https://doi.org/10.1007/s00787-024-02422-8
- Rosenthal, L., Moro, M. R., & Benoit, L. (2020). Migrant parents of adolescents with school refusal: A qualitative study of parental distress and cultural barriers in access to care. *Frontiers in Psychiatry*, *10*, 942. https://doi.org/10.3389/fpsyt.2020.00942
- Roué, A., Harf, A., Benoit, L., Sibeoni, J., & Moro, M. R. (2021). Multifamily therapy for adolescents with school refusal: Perspectives of the adolescents and their parents. *Frontiers in Psychiatry*, *12*, 624841. https://doi.org/10.338
- Stone, L. A., Benoit, L., Martin, A., & Hafler, J. (2023). Barriers to identifying learning disabilities: a qualitative study of clinicians and educators. Academic Pediatrics, 23 (6), 1166-1174.