En Fédération Wallonie-Bruxelles, les initiatives spécifiquement consacrées à la phobie scolaire sont plutôt rares. Et quand il s’agit d’en trouver une qui s’adresse aux parents, nous n’en trouvons effectivement… qu’une seule: L’Anatole. Rencontre avec Saskia Claes et Fabienne Ellenbecker, cofondatrices de L’Anatole, une association qui offre bénévolement son écoute et son soutien.
Éduquer: L’histoire de L’Anatole, en quelques mots, commence quand et comment?
Fabienne Ellenbecker: C’est l’histoire de deux mamans, dont les enfants connaissent, à peu près au même moment, des épisodes de phobie scolaire. Et ces deux mamans se soutiennent, elles en parlent ensemble et se comprennent. Ensuite, elles ont envie de créer une structure pour apporter du soutien à d’autres parents concernés, parce qu’elles-mêmes se retrouvent démunies et en manque de ressources, mais aussi de reconnaissance. La phobie scolaire est une vraie problématique, ce n’est pas une négligence parentale.
Saskia Claes: Tout est parti de là. On a ressenti surtout de la solitude, et on était toutes deux perdues face à la phobie scolaire de notre enfant. Pourtant, professionnellement, on a déjà un pied dans le secteur de la santé mentale. Mais malgré cela, on a vraiment rencontré des difficultés à trouver du soutien, aussi bien pour notre enfant que pour nous, en tant que famille et parents.
F.E.: Ce qui nous a paru le plus simple, c’était de proposer des groupes de partage d’expériences. Dans un premier temps, cela ne nous demandait pas trop de moyens et d’énergie. On a lancé l’idée fin 2019, et le tout premier groupe s’est tenu pendant le premier mois du confinement, en 2020.
Éduquer: En créant cette structure à destination des parents touchés par le refus scolaire anxieux d’un enfant, à quels besoins entendiez-vous répondre?
S.C.: Au besoin de sortir de la solitude, au besoin de reconnaissance, de recevoir des informations. Au besoin de partage, de pouvoir déposer ce qu’on vit, d’être reconnu dans sa difficulté en tant que parent, parce qu’il y a beaucoup de culpabilité et de jugements. Et au besoin de pistes, de conseils pratiques.
F.E.: En plus de nos propres lectures, recherches et prospections, on a aussi été beaucoup nourries par les parents qui sont venus participer aux groupes, par exemple au sujet des pistes de soutien qu’ils ont trouvées. Ça nous a vraiment permis de faire du passage d’informations entre parents, au sein des groupes ou en dehors.
Éduquer: Au-delà des groupes de partage d’expériences, proposez-vous d’autres types de soutien aux parents?
S.C.: Au départ, on a proposé des groupes, et puis on a reçu énormément d’appels en dehors de ces moments de rencontre. On ne s’attendait pas à ce que les parents nous appellent pour «vider leur sac» et obtenir des informations et des conseils par téléphone. C’est un besoin qui s’est manifesté et auquel on tente de répondre. Actuellement, on n’a pas la possibilité de proposer des permanences. En revanche, on propose des rendez-vous téléphoniques pour des demandes plus spécifiques. Tout le monde n’a pas forcément l’envie ou le besoin de participer à un groupe de parole. Cela nous a donné l’idée d’organiser des rencontres plus informelles, une fois par trimestre, dès la fin de cette année. Ce sera le dimanche matin, autour d’un petit-déjeuner ou d’une balade, des moments où les parents pourront se rencontrer et où nous serons présentes pour faire le lien et répondre aux questions.
Éduquer: Remarquez-vous des points communs chez les parents qui entrent en contact avec L’Anatole ?
S.C.: Je suis assez étonnée que les parents qui nous appellent ont finalement trouvé le «bon chemin». On a très peu de demandes de personnes pour d’autres types de décrochage scolaire. Souvent, les parents ont déjà entrepris une série de démarches et ils n’ont rien trouvé d’autre que notre association… On rencontre les parents à différents moments de leur histoire de phobie scolaire: soit au tout début, soit plus loin dans leur parcours. Ceux qui s’adressent à nous dans les premiers temps espèrent qu’il ne s’agit pas de phobie scolaire, ils nous demandent quand cela va s’arrêter et comment faire pour que tout revienne à la normale. Les parents qui sont déjà plus loin ont déjà beaucoup essayé, et ils réalisent qu’il ne sert à rien de pousser leur enfant à aller à l’école. Mais ils restent avec cette question: que fait-on maintenant?
F.E.: En écoutant les parents, on reconnaît des schémas assez typiques des situations, des profils des jeunes. Bien sûr, on n’est pas habilitées à poser un diagnostic, mais on retrouve de nombreux points communs dans les différents témoignages. Par exemple le volet de l’anxiété, qui est complètement démesurée par rapport au fait d’aller à l’école, alors que l’enfant ou le jeune y allait à peu près normalement jusqu’alors. Régulièrement, ce sont des jeunes qui aiment apprendre, qui étaient de bons élèves, avec une sensibilité importante, un grand sens de la justice. Ou ce sont des jeunes avec des troubles d’apprentissage présents dès le début de la scolarité, mais qui n’avaient jamais posé de problème jusque-là. On retrouve aussi des problématiques de harcèlement, qui sont des éléments déclencheurs fréquents de la phobie scolaire. Ces témoignages confirment tout ce qu’on a pu lire ou entendre au sujet du refus scolaire anxieux.
«À un moment, si ça ne va plus, il ne sert à rien de continuer à vous battre avec votre enfant, prenez une pause! Prenez le temps nécessaire, en commençant par consulter un médecin.»
Éduquer: Est-il possible de dégager «une» solution à la phobie scolaire?
S.C.: Il n’existe malheureusement pas de solution unique ou «magique». Chaque situation étant différente, elle nécessite toujours une approche individualisée. Mais ce qu’on peut parfois apporter d’«apaisant» aux parents qui arrivent dans l’urgence et cherchent une solution, c’est leur dire: «À un moment, si ça ne va plus, il ne sert à rien de continuer à vous battre avec votre enfant, prenez une pause! Prenez le temps nécessaire, en commençant par consulter un médecin. Votre enfant n’est pas qu’un élève, essayez de maintenir des liens de qualité avec lui et… accrochez-vous!»
F.E.: La phobie scolaire est un processus complexe, difficile, qui doit se vivre. Parfois, le jeune peut dépasser la difficulté assez rapidement, mais c’est rarement le cas. Ça prend souvent du temps. Au départ, quand une telle situation fait irruption, on ne peut pas imaginer ou accepter que cela puisse durer.
S.C.: On entend aussi des parents qui sont en souffrance parce qu’ils se sont sentis lâchés par l’école: ils ont pris contact, ils ont essayé d’expliquer ce que vivait leur enfant, mais ils ne se sont pas sentis entendus ni reconnus.
«La phobie scolaire n’est la faute ni du jeune, ni des parents, ni de l’école. C’est une problématique anxieuse multifactorielle.»
Éduquer: Cela traduirait-il un manque d’information et de compréhension du côté de l’école?
S.C.: Oui, je pense, à la fois un manque d’information et de compréhension de la problématique mais aussi un sentiment d’impuissance que peuvent ressentir les acteurs scolaires. Parce que, parfois, l’école essaie de mettre des choses en place, mais malheureusement ça ne fonctionne pas toujours ou pas assez rapidement. Ce qui l’amène parfois à estimer que le problème ne vient pas d’elle, et qu’il y a forcément une problématique qu’il faut chercher et solutionner du côté de la famille.
F.E.: On recherche un «coupable», en quelque sorte… Pourtant, il ne faut pas qu’il y ait méprise: la phobie scolaire n’est la faute ni du jeune, ni des parents, ni de l’école. C’est une problématique anxieuse multifactorielle.
S.C.: En outre, il est difficile de mettre en place de la prévention, parce que les signes avant-coureurs ne sont pas toujours faciles à détecter, ni pour les parents ni pour les enseignants. Parfois, elle commence de manière «perlée», avec des absences régulières ou d’autres symptômes physiques, donc on ne fait pas directement le lien avec une angoisse massive. Parfois, elle survient brusquement, et il est juste impossible pour le jeune de retourner à l’école dès ce moment. Dans d’autres cas, il continue à fréquenter l’école mais avec une grande souffrance émotionnelle qui lui fait éviter la situation de classe: par exemple en traînant dans les couloirs, en allant à l’infirmerie ou aux toilettes, en arrivant régulièrement en retard.
«La phobie scolaire prend tellement de place dans la famille qu’il est important de maintenir des moments de qualité et de retrouver des activités de plaisir partagé!»
Éduquer: Partagez-vous des recommandations aux parents? Si oui, quelles sont-elles ?
F.E.: Effectivement, nous pouvons formuler certaines recommandations: essayer de garder un lien qualitatif avec l’école, même si le jeune n’assiste pas à tous les cours, tenter de mettre en place des adaptations raisonnables en discutant avec l’école. Chercher un médecin spécialiste qui peut accompagner le jeune ou une thérapie qui soit un lieu de confiance et qui puisse l’aider, trouver du soutien dans l’entourage auquel faire appel au quotidien quand l’enfant ne va pas à l’école. Globalement, plus tôt on intervient, plus on a de chances d’arriver à réintégrer l’enfant ou le jeune à l’école ou de maintenir un lien avec les apprentissages. Mais souvent, quand on constate le problème, c’est déjà un peu tard.
S.C.: Il y a aussi des conseils plus généraux: maintenir une bonne hygiène de vie et un rythme veille-sommeil équilibré, et tenter de réguler le temps d'écrans. Et, surtout, maintenir une relation de qualité avec son enfant. La phobie scolaire prend tellement de place dans la famille qu’il est important de maintenir des moments de qualité et de retrouver des activités de plaisir partagé!
Éduquer: En quoi partager ses difficultés avec d’autres parents peut-il être soutenant?
S.C.: Rien que le fait de pouvoir se dire qu’on n’est pas tout seuls, qu’on n’est pas cinglés, que ce qui nous arrive est tellement énorme, c’est très soutenant. On se remet beaucoup en question dans cette situation: suis-je un mauvais parent? qu’ai-je fait de travers? On est aussi confronté à des préjugés dans son entourage, y compris dans la famille: s’entendre dire «un peu plus de fermeté et ça ira mieux!», c’est lourd, quand même. Pour certains parents qui se retrouvent seuls ou qui connaissent des difficultés de couple, parce qu’ils ne sont pas forcément sur la même longueur d’ondes, le groupe permet de venir les déposer.
F.E.: Sentir qu’on est avec d’autres parents que l’on estime compétents, bienveillants et qui vivent des choses semblables, c’est positif. Dans les groupes, on est vraiment attentives à la qualité de l’écoute réciproque, au respect entre les personnes: c’est un socle important pour que cela se passe toujours bien.
«L’enfant a besoin de sentir que ses parents sont de son côté, par rapport à l’école, face au reste du monde. Même si, socialement, l’école a un poids énorme, la relation enfant-parent reste primordiale.»
Éduquer: À votre avis, de quoi l’enfant ou le jeune en souffrance a-t-il besoin de la part de ses parents?
S.C.: Au début, il a besoin de soutien car lui non plus ne comprend pas ce qui lui arrive. Au départ, on «se bat» avec son enfant. D’un côté, il y a le parent qui dit: « Tu dois aller à l’école, c’est l’obligation scolaire, c’est comme ça et pas autrement, il faut mordre sur ta chique». Et de l’autre, il y a l’enfant qui ne va pas bien, qui va parfois jusqu’à des tentatives de suicide (chez les ados). Il a surtout besoin d’amour et de soutien. Il a besoin de sentir que ses parents sont de son côté, par rapport à l’école, face au «reste du monde». Même si, socialement, l’école a un poids énorme, la relation enfant-parent reste primordiale.
F.E.: Il a sans doute besoin d’être rassuré, car le jeune lui-même est totalement dépassé par ce qui lui arrive. Si l’angoisse du parent se surajoute à la sienne, c’est compliqué. Le parent doit pouvoir rassurer son enfant, pour qu’il sente que tout ne va pas s’effondrer, que ce n’est pas une prédiction pour l’avenir. La situation peut être très angoissante pour tout le monde, donc si le parent garde la tête froide, ça aide.
Éduquer: Votre association s’adresse-t-elle à d’autres personnes qu’aux parents? Avec quelles actions?
S.C.: Oui, nous donnons des conférences ou des sensibilisations sur mesure, que ce soit pour le grand public ou les professionnels. On remarque qu’il y a une vraie demande de ce côté-là. On aimerait pouvoir atteindre aussi les écoles, les centres PMS et le monde enseignant, parce qu’il y a vraiment un chaînon manquant à ce niveau-là. Or ce sont des partenaires essentiels dans la prise en charge de la phobie scolaire, qui ont aussi des bonnes pratiques à rassembler et partager. On essaie également d’atteindre le monde médical, même si ce n’est pas facile de trouver les bonnes portes pour y arriver.
F.E.: Nous sommes convaincues qu’il faut informer sur la phobie scolaire: c’est un phénomène qui existe, pas juste un manque de motivation d’un enfant!
Éduquer: Qu’auriez-vous envie de dire aux professionnels qui nous lisent?
F.E.: Informez-vous, contactez-nous, restez ouverts à ce qui vient de l’extérieur. Et faites confiance aux parents et aux jeunes.
S.C.: Travaillons ensemble! La phobie scolaire est une problématique complexe qui nécessite de travailler le plus possible en partenariat avec les différentes parties concernées: l’école, les soins, les parents et le jeune.
Éduquer: Et enfin, pour les parents, un mot de la fin?
S.C.: Ne restez pas seuls. Parlez-en.
F.E.: N’ayez pas honte de ce qui se passe, de ce qui arrive à vous et à votre enfant. Croyez en vos compétences.
L’asbl L’Anatole: information, sensibilisation et soutien
L’asbl L’Anatole a pour mission d’offrir un soutien et de mener des actions de sensibilisation et d’information autour de la phobie scolaire (ou refus scolaire anxieux). Elle propose un lieu d’écoute, d’échange et d’information aux parents et à l’entourage de jeunes touchés par la phobie scolaire, en organisant et coordonnant des groupes de partage d'expériences et des rencontres conviviales. Elle propose également des séances d'information et de sensibilisation sur mesure, autour de cette problématique.
L’Anatole ne bénéficie actuellement d’aucun subside et fonctionne sur base entièrement bénévole. Ainsi, l’association est toujours à la recherche de forces vives afin de soutenir ses actions, projets et activités. Si vous êtes intéressé·e d’offrir votre soutien, votre temps ou vos idées, vous pouvez prendre contact par mail ou par téléphone : contact@lanatole.be – 0473 / 751 954.
Plus d’infos: www.lanatole.be
Des parents témoignent du soutien vécu
«Ces échanges entre des parents qui ont comme point commun cette problématique de la phobie scolaire font un sens énorme. Sur de nombreux points: un enfant qui décroche, c'est une famille qui décroche en quelque sorte. Donc, tout comme eux souffrent parfois d'un sentiment d'isolement, je crois que beaucoup de parents ressentent la même chose. Ce groupe est alors un excellent outil de rencontre. Il est par là une plateforme d'inspiration: comment font les autres ? existe-t-il des pistes que je n'ai pas encore explorées? Nous, parents, portons l'entière responsabilité d'une situation face à laquelle nous sommes tout aussi entièrement impuissants. Deux sentiments qui font parfois cohabitation houleuse... Raconter, réfléchir ensemble et partager autour d'une telle difficulté me permet d'évacuer quelque chose de pesant et de me rééquilibrer émotionnellement. Or, des interactions qui équilibrent un adulte sont un apport direct à l'enfant en souffrance, qui doit pouvoir absolument compter sur un parent debout, malgré les doutes qui le traversent.»
Ariane, maman d’une enfant en phobie scolaire
«C'était très chouette de participer au groupe de partage de L'Anatole. D'abord parce que j'ai été touché par les témoignages des autres participants et que je me suis senti moins seul face à la problématique en question: constater que d'autres personnes vivent les mêmes choses que nous, traversent les mêmes épreuves et interrogations, m'a rassuré et encouragé dans le parcours d'obstacles qu'il nous faut affronter. Ensuite parce que des idées intéressantes ont émergé au cours des échanges, qu'elles ont nourri notre réflexion de parents et qu'elles nous ont confortés dans les choix que nous avons faits. Je suis reparti souriant et confiant, ce qui est déjà beaucoup!»
David, papa d’une ado en phobie scolaire