À l’école Plein Air, KiVa fait intervenir les pairs

Lundi 13 mai 2024

Marie-Francoise Holemans, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Une vingtaine d’écoles appliquent le programme KiVa dans leur établissement en Wallonie et à Bruxelles. À l’école Plein Air, la direction et l’équipe encadrante sont ravies: en trois ans, les enfants harceleurs ont changé de comportement, les conflits ont reculé et le climat de l’école et des classes s’est nettement amélioré. Rencontre avec une enseignante convaincue.

À la suite de difficultés récurrentes à la cour de récréation, l’ancien directeur de l’école Plein Air, une école à pédagogie active à Bruxelles, avait choisi la mise en place du programme KiVa pour la rentrée 2021-2022, soit bien avant que la ministre Désir ne se rende en Finlande pour y acquérir le programme. Enseignante en 2e primaire, Marie-Line Waerts fait partie de la vingtaine de professeur·es qui encadrent les quelque 300 enfants de l’établissement et qui ont toutes et tous bénéficié de la formation KiVa. Après trois ans d’implantation, enchantée par le fonctionnement et les résultats du programme, elle nous livre son témoignage afin d’attirer l’attention, à la fois sur la problématique du harcèlement scolaire mais aussi sur la richesse de cette méthode. Dans la lutte contre le harcèlement, elle est convaincue de la nécessité d’un travail de prévention qui outille les enfants.

Éduquer: Dans quel contexte le programme KiVa a-t-il été implanté à l’école Plein Air?
Marie-Line Waerts:
Il y a six ans, notre plan de pilotage prévoyait quatre axes d’amélioration, parmi lesquels le bien-être des enfants à l’école. Cet axe concernait lesrelations entre les enfants ainsi que l’adaptation des infrastructures.

La cour de récréation vient de faire l’objet d’un profond remaniement: elle est devenue une «cour régulée et stimulante», selon les principes du psychopédagogue Bruno Humbeeck. Auparavant, c’était un lieu de défoulement dont étaient exclus les enfants calmes et qui générait de nombreux conflits. Aujourd’hui, la cour offre plusieurs possibilités de se divertir en fonction de zones d’activités dessinées au sol: la zone calme, la zone de mouvement et la zone de jeux de ballon, qui font l’objet d’une surveillance constante de l’équipe éducative. Chaque espace est lui-même régulé et s’appuie sur les compétences des élèves à vivre ensemble. Outre la création d’espaces différenciés dans la cour, nous voulions aussi travailler la dimension relationnelle dans les groupes d’enfants pour réguler les tensions, d’où notre choix du programme KiVa-Objectif Groupe.

Éduquer: Comment l’école développe-t-elle le vivre-ensemble?
M.-L.W.:
Même si notre école est située dans un quartier plutôt favorisé, sa volonté a toujours été de privilégier la mixité des niveaux socioéconomiques. Pour favoriser le mieux-être des enfants, on apprend dès la maternelle, et ce de manière très ludique par des ateliers et des mimes, à reconnaître les émotions, à s’exprimer, à coopérer et à respecter les différences. Depuis 20 ans déjà, en 3e maternelle, une animation EVRAS leur apprend à exprimer leurs idées et leurs ressentis, et à la manière de les dire. En primaire, on s’ouvre à la triangulation: moi et les autres, les autres entre eux, l’enfant et l’adulte, etc. On apprend à délivrer un message clair en «je», à clarifier la différence entre les faits et les ressentis, à observer, analyser, s’exprimer et respecter les expressions de l’autre (ses erreurs aussi).

«La force du programme KiVa est de travailler sur le levier que représente le groupe de témoins. Par leur nombre, leur poids et leur recul, ce sont les témoins qui peuvent faire basculer la dynamique de harcèlement ou au contraire la cristalliser.»

Éduquer: Malgré cette prévention, le harcèlement est-il présent à l’école?
M.-L.W.:
Le harcèlement est un phénomène de société, il ne concerne pas que les enfants! Il n’est pas nouveau mais, en revanche, il n’est plus tabou, les langues se sont déliées, à l’école comme dans les familles. Ce mécanisme peut se présenter à n’importe quel individu, qu’il soit harceleur, harcelé ou témoin. C’est grâce à ces trois pôles que la dynamique se met en place et c’est précisément sur le groupe que doit s’axer la prévention. La force du programme KiVa est de travailler sur le levier que représente le groupe de témoins. Par leur nombre, leur poids et leur recul, ce sont les témoins qui peuvent faire basculer la dynamique de harcèlement ou au contraire la cristalliser. Mais attention, ce n’est pas une baguette magique, le phénomène est sociétal.

Éduquer: Comment avez-vous été formée au programme?
M.-L.W.:
L’ensemble de l’équipe éducative a suivi la formation donnée par l’asbl Université de Paix, lors de journées pédagogiques, pour mener les activités KiVa dans chaque classe tout au long de l’année. Durant les deux premières années d’implantation, l’école bénéficie d’un encadrement de l’association. Après, ce qui est notre cas, nous menons nos activités de manière autonome mais nous bénéficions encore d’une intervision. Pour pérenniser le projet, il faudrait aussi que les nouveaux professeurs bénéficient de la formation.

Éduquer: En quoi consiste une activité KiVa en classe?
M.-L.W.:
Il s’agit de petites séquences de prévention de quelques minutes, qui se donnent soit ponctuellement au cours de la journée, soit groupées lors d’un moment choisi dans la semaine. Il est conseillé de réaliser une dizaine d’animations par an, en plus des traditionnels conseils de classe hebdomadaires et autres types d’animations. Ce sont de petits jeux, une soixantaine, classés par compétence (par exemple l’empathie, la communication, les préjugés, etc.). Pour chacun, l’enseignant·e dispose d’une fiche qui reprend le déroulement, le matériel, les objectifs, les pistes de réflexion, etc. Toutes ces activités visent à outiller les enfants en leur apprenant les règles de vie, à pratiquer l’écoute active, à mieux se connaître, à prendre conscience de nos similitudes et de nos différences, et à vivre la coopération. En quelques années, nous avons vu une belle amélioration des relations entre les enfants et nous pouvons reconnaître, quand ils grandissent, celles et ceux qui ont bénéficié des activités KiVa étant plus jeunes.

Éduquer: Vous faites aussi partie de l’équipe d’intervention. Quel est votre rôle?
M.-L.W.:
Quatre membres de l’équipe éducative ont reçu cette formation complémentaire qui nous permet d’intervenir si des faits de harcèlement sont constatés par l’équipe encadrante ou s’ils sont signalés, soit par les parents qui ont à leur disposition un guide pour reconnaître les situations de harcèlement, soit par les enfants qui disposent de deux «boîtes à cœurs» pour déposer leur mot ou leur dessin. La cellule EVRAS de l’école se charge des événements isolés – quels que soient les maux du cœur – mais c’est la cellule KiVa qui se charge des faits d’exclusion ou de méchanceté répétitifs. L’équipe a été formée à développer de l’empathie vis-à-vis de toutes les parties car, que l’on soit la personne harcelée, harceleuse ou témoin, chacune est victime de la situation. Notre rôle est donc de la reconnaître, de l’arrêter et de la dénouer pour éviter qu’elle ne se reproduise.

Éduquer: Combien de cas de harcèlement scolaire se présentent encore chaque année?
M.-L.W.:
Quatre à cinq cas nécessitent notre intervention, qui se déroule en sept phases: signalement, rencontre avec l’enfant victime, information de l’enseignant·e avec l’accord de l’enfant, observation par l’ensemble de l’équipe éducative, constatation, puis constitution d’un comité de vigilance composé d’enfants «super héros» aux profils variés (dominant, taiseux, amical, harceleur, etc.) pour venir en aide à l’enfant harcelé. Cette étape est très importante car souvent, l’enfant harceleur a plein d’idées pour modifier son propre comportement et ce sont les enfants qui, en toute légitimité, résolvent le problème sous la responsabilité, la vigilance et le soutien des adultes. À la septième étape, l’affaire est résolue et on revoit l’enfant, l’enseignant·e et les parents. Notre mot d’ordre est connu et souvent rappelé: «Tout le monde doit se sentir bien. Si ce n’est pas le cas, c’est un souci mais ce n’est pas grave, il y a une solution.»

 

Au cœur d’une animation KiVa

Se mettre dans la peau et la tête d’une enfant de 7 ans, c’est ce qui m’a été donné à vivre à l’école Plein Air dans une classe de 2e primaire. M’assoir en cercle avec les élèves au «coin rassemblement», croiser les bras, baisser la tête, écouter et ressentir: «Je suis un petit poisson. Que se passe-t-il dans mon poisson? Que se passe-t-il dans l’eau autour de moi? Ai-je chaud? Ai-je froid? Ai-je faim? Ai-je le sentiment d’être seule dans ma bulle?».
Ensuite, comme chaque enfant avant moi, recevoir une balle extensible, prendre le temps d’inspirer profondément en la déployant, d’expirer en conscience en la refermant, puis donner mon prénom et nommer mon activité favorite «discuter avec mes amies».
Puis vient le temps du partage des ressentis. Tout le monde a aimé la petite animation. L’une dit sa curiosité des activités préférées des copains et copines. L’autre exprime sa joie quand la classe a ri de son jeu favori. Alors qu’un troisième s’inquiète de la tristesse face à ce qu’on aurait pu prendre pour de la moquerie. À chaque occasion, la professeure rectifie ou recadre: «On parle de ce qu’on ressent personnellement et on parle en “je”. Si ça te gêne qu’on parle de toi, tu as le droit de dire “stop”. Si ce que tu veux nous dire est vrai, utile et gentil, tu peux le partager, sinon tu t’abstiens.»
La deuxième animation du jour est davantage axée sur la coopération: les enfants discutent en équipe autour d’une fiche montrant une situation (deux enfants se disputent une peluche, par exemple) accompagnée d’une phrase («tu es méchante, tu m’as volé mon lapin»). Que voit-on dans cette situation? Comment reformuler avec ces mots: «Quand tu dis ou fais… Cela me… Pourrais-tu…»? Chaque équipe est ensuite invitée à jouer sa scène avant-après devant le groupe. Cette activité permet aux enfants de parler de situations déjà vécues et de trouver des solutions en mode coopératif, avec une maturité émotionnelle exceptionnelle. Et de clôturer la séance, pour se faire plaisir, sur ce rituel: la chanson apprise en début d’année «Ensemble, ensemble, même si l’on est différent…»

mai 2024

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