Droit de vote à 16 ans: un vent de jeunesse démocratique?
Jeudi 18 janvier 2024
À partir du 9 juin 2024, les jeunes Belges âgés de 16 et 17 ans pourront participer aux élections européennes. Cet élargissement de l’électorat suscite des questions essentielles sur l’avenir de la démocratie: est-il susceptible de raviver l'intérêt politique des jeunes et comment encadrer cette mesure pour en optimiser l'efficacité? À côté de cette volonté politique, l’enseignement a un rôle majeur à jouer.
Le dimanche 9 juin 2024 sera une date clé pour la population belge. En une journée, les Belges se prononceront aux élections fédérales, régionales et européennes. Et pour la première fois de l’histoire du pays, le scrutin des élections européennes s’ouvrira également aux jeunes de 16 et 17 ans, posant la Belgique en quatrième pays de l’Union européenne à accorder ce droit aux mineur·es.
Une volonté politique
L'amorce de cet élargissement trouve ses racines en septembre 2020, dans l’accord de gouvernement de la Vivaldi. Le gouvernement De Croo y exprimait l’ambition de «renforcer la confiance des citoyens dans la politique en tant que force positive, en faisant du renouveau démocratique une priorité»1 . L’un des aspects concrets de cette revitalisation démocratique était l'intention d'abaisser l'âge du droit de vote à 16 ans pour les élections européennes. Initialement, les jeunes de 16 et 17 ans devaient s'inscrire pour participer au scrutin européen de 2024. Cependant, la Cour constitutionnelle a considéré cette condition comme discriminatoire envers les personnes majeures. Depuis la mi-novembre 2023, les modalités sont définitivement établies: les mineur·es de 16 et 17 ans peuvent désormais participer au scrutin européen sans inscription préalable ni obligation.
Vers un renouveau démocratique
Historiquement porté par les revendications citoyennes, l'élargissement du droit de vote connaît aujourd'hui un changement de dynamique, avec une volonté davantage impulsée par les acteurs politiques. En effet, pratiquement la moitié des jeunes interrogés par le Forum des Jeunes estiment que voter à 16 ans n’a pas d’importance significative2
. Une enquête de la même association révélait même que 79% des jeunes sondés étaient contre cet abaissement.
Cette volonté de renouveau démocratique s'inscrit dans le sillage des dernières élections fédérales de 2019, quand 5% de la population avait exprimé son choix en votant blanc ou nul, tandis que 12% des citoyens et citoyennes s’étaient abstenus malgré l'obligation3
. Au total,1,4 million de Belges n’avaient pas désigné de parti, ce qui correspond à 17% de l’électorat. L’essoufflement de la démocratie représentative n’est pas qu’un phénomène belge. A l'échelle européenne, le taux de participation de l'ensemble des citoyen·nes aux dernières élections européennes de 2019 s’élevait seulement à 50,6%4
.
Le constat d'un désintérêt grandissant pour la politique s'étend-il également aux jeunes générations? «La question de la politique n’intéresse pas fondamentalement les jeunes», nous explique Robin Lebrun, chercheur au Centre d’Etude de la Vie Politique (CEVIPOL). «En revanche, nous observons que les jeunes sont intéressés par les enjeux. Ils ont une compréhension différente des adultes de ce qu’est le mot “politique”. Si l’intérêt politique des jeunes est légèrement plus faible que celui de leurs aînés, il n’y a pas de désintérêt total par rapport aux enjeux de société. Par ailleurs, les pratiques politiques – rejoindre un parti, prendre part à une manifestation ou signer une pétition – sont plus élevées chez les jeunes que chez les adultes. »
La reconnaissance d’un statut
Le 9 juin prochain, ils seront plus de 260.000 jeunes Belges à avoir l'opportunité de voter pour la première fois, soit 2,9% du corps électoral belge. Même en supposant une participation élevée de ce nouvel électorat, elle ne devrait pas exercer un impact significatif sur les résultats, en raison de la dilution dans les circonscriptions belges. Les effets de l’ouverture au droit de vote des jeunes sont à chercher dans leurs pratiques politiques et leur implication citoyenne. Des exemples observés dans d'autres pays européens (Écosse, Autriche, Grèce) confirment que l'extension du droit de vote a le potentiel d'accroître l'engagement politique.
«Un des intérêts de donner le droit de vote à 16 ans, précise Robin Lebrun, est qu’il puisse être, en tant que tel, une activité d’éducation à la citoyenneté. Les aptitudes politiques se forment dès l’enfance. A l’âge adulte, elles perdent de leur malléabilité.» Accorder le droit de vote aux jeunes représente une reconnaissance de leur statut de citoyens et citoyennes à part entière, aptes à influencer leur propre avenir. «La politique opère des choix dont les impacts s’étendent sur plusieurs années. A la fin du mandat, nous serons adultes. C’est également notre futur.», nous partage Amélie, une nouvelle électrice liégeoise de 16 ans et membre du Comité des Elèves francophones (CEF).
Le risque d’une montée des populismes?
Cependant, en dépit de l’adoption de pratiques citoyennes, des voix s'interrogent sur la maturité politique des adolescents et adolescentes et expriment des inquiétudes quant à leur capacité à prendre des décisions éclairées. A l’ère du populisme 2.0, leur ouvrir ce droit de vote ne pourrait-il pas s’avérer dangereux? L’extrême-droite investit massivement dans des campagnes de communication sur les réseaux sociaux, l’un des principaux moyens d’information de ce futur électorat. De plus, les jeunes sont-ils égaux en matière de choix politiques? Non, selon Robin Lebrun: «La propension à exercer son vote est liée au statut économique des individus. La socialisation politique se joue essentiellement dans la cellule familiale.»
Pour une éducation à la politique des jeunes
Ainsi, cette démarche d’ouverture implique de créer des conditions propices, pour que les jeunes puissent exercer leur droit de vote en étant informés et conscients des enjeux. Plus de deux tiers des jeunes interrogés par le Forum des Jeunes estiment qu’une meilleure éducation scolaire sur les questions de citoyenneté serait l’un des leviers les plus importants pour les rendre capables d’agir politiquement5
.
Une envie que confie Julie, membre du CEF également, qui votera pour la première fois en 2024 : «Nous avons besoin de plus d’information pour être prêt·es à voter. La politique est un sujet qui paraît complexe. Quand nous prenons le temps de l’étudier, elle devient plus accessible que nous l’imaginons. Les jeunes ne s’y intéressent pas parce qu’ils n’en comprennent pas les fondements. C’est cette incompréhension qui les empêche d’avoir envie d’aller plus loin.»
L’associatif, un levier citoyen
L’élargissement au jeune électorat doit se coupler d’un accompagnement pédagogique, pour réellement l’autonomiser. Des initiatives comme le Parcours citoyen, coordonné par le Forum des Jeunes et la Fédération Infor Jeunes, permettent d’informer et d’armer conceptuellement les primo-votant·es. Entièrement gratuit, le Parcours citoyen dispense à une trentaine de jeunes des animations et des débats, leur offrant l’opportunité d’une éducation politique active. Mais comme ces démarches volontaristes ne peuvent pas toucher pas la totalité des futurs votant·es, il revient à l’enseignement obligatoire d’assumer ce rôle d’information et d’éducation.
En mai 2021, répondant aux jeunes préoccupés par l’accès aux informations politiques à l’école, le Premier ministre Alexander De Croo exprimait sa vision de l’éducation à la politique, décrivant celle-ci «comme un axe qui traverse l’ensemble des matières»6
. C’est une éducation qui associe sciences et valeurs, savoir théorique et savoir pratique. Au-delà d’un axe transversal, l'exploration de sujets aussi délicats nécessite une démarche dédiée, justifiant la conception d'un cours spécifique, avec une méthodologie particulière. Le cours d'éducation à la philosophie et à la citoyenneté (CPC) se pose en réponse à cette nécessité.
En octobre 2023 dans nos colonnes7
, la formatrice d’enseignement au CPC Claudine Leleux distinguait ces deux approches: «Alors que la plupart des disciplines relèvent de l’approche scientifique, qui décrit des faits fondés sur l’observation ou l’expérimentation, voire sur des théories validées par la communauté des savants, le cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté a pour objectif de former les jeunes d’une part à l’épistémologie (interroger ce qui est vrai, ce qui fait science et savoir) et d’autre part, de les former au savoir pratique.»
Ce cours, en donnant une structure commune à l’ensemble des élèves, est une solution au problème de l’inégalité des jeunes face aux questions politiques, souvent condamnés à ne penser qu’à partir de leur cellule familiale. En parallèle de l’apprentissage des grands principes de la philosophie, le CPC a pour mission d’œuvrer à «l’éducation au fonctionnement démocratique»8
, en respectant le principe de neutralité afin de garantir la «liberté de conscience des élèves», sans pour autant exclure «l'étude d'aucun champ du savoir».
L’éducation pour revitaliser la démocratie
Depuis la rentrée 2020, le CPC est dispensé dans l’ensemble de l’enseignement officiel, de la maternelle à la rhétorique. La continuité de la formation se construit à travers quatre rubriques transversales: construire une pensée autonome et critique, se connaître soi-même et s’ouvrir à l’autre, construire la citoyenneté dans l’égalité et la dignité en droit, s’engager dans la vie sociale et l’espace démocratique. Bien qu’intégrant l’ensemble du tronc commun, l'enseignement d'une heure par semaine s’avère insuffisant pour faire face à l’importance du sujet, compte tenu de la complexité du système belge.
Les liens entre l’éducation et la crise de la démocratie représentative peuvent s’éclairer à la lumière du concept de «cens caché» forgé par Daniel Gaxie9
, pointant la transformation de facto du système de suffrage universel en suffrage censitaire, par l’auto-exclusion des catégories pauvres en capital culturel. Face aux inégalités de choix politique qui réplique les origines sociales, l’éducation, par son caractère obligatoire et donc universellement partagé, est le ciment d’égalité à partir duquel peut se bâtir la liberté de choix politique. Accroître l’implication politique des jeunes se traduit avant tout par le renforcement de l'éducation. Sans celui-ci, l’ouverture du droit de vote non obligatoire aux jeunes âgés de 16 et 17 ans risquerait de renforcer la reproduction des socialisations politiques.
- 1Accord de gouvernement du 30 septembre 2020.
- 2https://www.dialoguejeunesse.be/wp-content/uploads/2022/03/Avis-partici….
- 3https://www.lesoir.be/227237/article/2019-05-27/elections-2019-14-milli….
- 4https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20191029IPR65301/chif…
- 5https://forumdesjeunes.be/avis-officiels-positions-cat/le-forum-est-pou….
- 6https://www.dialoguejeunesse.be/des-jeunes-ont-rencontre-monsieur-le-pr…
- 7«Vers quels acquis d’apprentissages?», in
Éduquer n°180, p. 20. https://ligue-enseignement.be/education-enseignement/articles/dossier/v… - 8Art. 60bis, §3 du décret du 22 octobre 2015 – MB 9 décembre 2015. Code de l’enseignement: Article 1.7.6-3.
- 9GAXIE D. Le Cens caché: Inégalités culturelles et
ségrégation politique, Le Seuil, 1978.
Quel est l’impact du vote européen?
Le Parlement européen, en collaboration avec le Conseil de l’Union européenne, examine et adopte la législation de l'Union proposée par la Commission européenne. Il émet des avis sur les accords internationaux et les élargissements, tout en jouant un rôle majeur dans l'élaboration et la surveillance du budget annuel de l'Union. Le Parlement exerce également une fonction de contrôle en élisant le président de la Commission, tout en ayant le pouvoir d'interpeller le Conseil et la Commission et de voter une motion de censure pour forcer la démission de la Commission.
Depuis 1979, les élections européennes jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement démocratique de l’Union européenne. Organisées tous les cinq ans, elles permettent d’assurer la représentativité des 450 millions de citoyen·nes des 27 pays au sein du Parlement européen, unique institution de l'Union à être élue au suffrage universel direct.
Le Parlement européen est actuellement composé de 705 député·es, assemblé·es dans des groupes selon les couleurs politiques. La représentativité européenne est assurée selon le principe de proportionnalité dégressive: plus un État est peuplé, plus il dispose de député·es. Le plancher est fixé à 6 sièges et le plafond à 96.
En Belgique, ce système électoral repose sur le vote préférentiel, par lequel les électeurs et électrices choisissent à la fois un parti et des candidat·es. À la différence de la plupart des pays européens, la Belgique opère selon des circonscriptions électorales: parmi les 21 député·es belges, 12 seront néerlandophones, 8 francophones et 1 germanophone.
Composition actuelle du Parlement européen:
(Source: Parlement européen)