Trois voies officielles s'offrent à ceux qui rêvent de créativité en Fédération Wallonie-Bruxelles: l'enseignement secondaire artistique, les écoles supérieures des arts et les académies. Rencontres avec des acteurs et actrices de ces trois filières.
«Devenir artiste, ça ne veut rien dire. C’est quelque chose qui n’est jamais définitivement acquis, que l’on doit toujours continuer à produire.» C’est ainsi que répond la plasticienne Amélie Scotta à une question posée en toute naïveté: comment devient-on artiste? Bien que candide, cette interrogation trouve trois chemins de réponses en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB): l'enseignement secondaire artistique, les écoles supérieures des arts et les académies. Nous vous proposons de les parcourir en compagnie d’acteurs et d’actrices qui, depuis leur établissement d’enseignement, répondent à cette question: qu’impliquent les études d’art?
L'OPTION ARTS PLASTIQUES EN SECONDAIRE
Commençons chronologiquement notre parcours. Après les douze années du tronc commun, l’élève peut décider, dès la quatrième secondaire, de s’orienter en section de transition ou dans le qualifiant. Pour le général de transition, trois options artistiques lui sont proposées: arts-sciences, audiovisuel, danse et arts du cirque. Huit heures par semaine sont consacrées à des matières artistiques. Les études se concluent par l’obtention du Certificat d’enseignement secondaire supérieur, le CESS, qui donne accès aux études supérieures.
Celles et ceux qui se dirigent dans l’option arts plastiques du qualifiant pratiqueront pendant 16 heures par semaine, et leurs études s’achèveront par l’obtention du CESS et du Certificat de Qualification (CQ). Pour nous décrire en quoi consiste une option qualifiante en arts plastiques, la sculptrice et enseignante à l’Athénée royal de Ganshoren Fleur Alexandre nous accueille dans son atelier partagé, dans un îlot situé en plein cœur du quartier européen: «Notre mission pédagogique, c’est de sensibiliser nos élèves à l’art, pas nécessairement qu’ils deviennent des artistes.» Une ambition qu’elle transmet dans toute l’amplitude qu’implique la sensibilisation: rendre sensible autant que rendre compréhensible.
«Étudier l’art, c’est une expérience d’ouverture au monde. Cette expérience fabrique un espace où peuvent s’exprimer des points de vue.»
Une expérience d’ouverture au monde
Contrairement aux académies et aux écoles supérieures d’art, l’option qualifiante accueille des élèves qui ne sont pas toujours volontaires. Si certain·es s’y inscrivent par passion, d’autres s’y trouvent par réorientation à la suite d’une restriction de l’enseignement général. Selon l’enseignante, les trois-quarts de ses élèves suivraient ses cours davantage par obligation que par amour de l’art: «Beaucoup n'avaient jamais mis les pieds dans un musée et n’étaient pas familiers avec cet univers.»
Un constat qui pousse notre question de départ à se retourner sur elle-même: que devient l’élève en étudiant l’art? Et si cette discipline ne mène pas systématiquement à une carrière professionnelle, alors à quoi prépare-t-elle ceux qui s’y consacrent? «Étudier l’art, c’est une expérience d’ouverture au monde, répond avec passion Fleur Alexandre. Cette expérience fabrique un espace où peuvent s’exprimer des points de vue. À travers une œuvre, les élèves parlent d’eux, de leur rapport à leur corps, aux autres ou à ce qui les entoure. Une œuvre cristallise ce qu’ils peuvent traverser, sans néanmoins s’en faire l’ambassadrice. Une fois accouchée, l’œuvre se détache de son auteur. Et ce détachement est essentiel, surtout avec les adolescents.»
En parallèle de la formation commune, sur les trois années d’option arts plastiques à l’Athénée royal de Ganshoren, les élèves auront assisté à différents cours alternant des approches pratiques et théoriques: technologie des matières et du matériel, création graphique, photographie, histoire de l'art et analyse esthétique, dessin d'après nature, infographie, rhétorique de l'image, structuration de l'image, typographie et techniques d'expression.
«Il faut vraiment inventer des manières originales de les accrocher, pour éveiller en eux l'envie d'expérimenter. Transmettre la joie de la matière, le plaisir d'explorer le sensible et le désir de déplacer les frontières du visible». Une passion que l’artiste-enseignante s’applique à échanger avec ses élèves en organisant de nombreuses sorties, pour rencontrer les œuvres in situ. «Et ça marche vraiment bien, surtout depuis que j’ai abandonné l’idée de devoir absolument en faire des artistes. Finalement, notre mission est avant tout de les guider pour qu’ils trouvent leur propre épanouissement dans le processus créatif», résume Fleur Alexandre.
LES ÉCOLES SUPÉRIEURES DES ARTS
Poursuivons notre parcours en nous dirigeant vers l’Académie royale des Beaux-arts (ArBA), l’une des 16 écoles supérieures des arts en FWB. Ouvertes aux titulaires du CESS, elles proposent une formation artistique de type bachelier (trois ans) et master (cinq ans). À l’ombre d’une statue, dans un coin de cette académie vieille de 300 ans, nous attend Dirk Dehouck, professeur à l’agrégation à l’ArBA.
Également fondateur et éditeur de la revue Art, enseignement & médiation, il nous décrit les différentes conceptions qui se côtoient dans l’enseignement supérieur des arts: «Certains affirment former des artistes alors que d’autres continuent à défendre l'idée que l'art ne s'enseigne pas. Une position paradoxale pour des personnes dont c’est le métier. Bien que les écoles supérieures des arts proposent un cadre qui s’y prête, l’ambition n’est pas toujours de former des artistes. Nous sommes conscients des difficultés professionnelles de la vie après l’école. Notre intention est plutôt de permettre aux étudiants de développer des savoirs théoriques et critiques, une culture large et des savoir-faire… sans nécessairement les désigner comme artistes.»
Une visée non moins modeste que corrobore une étude de l’Observatoire des politiques culturelles1
. À l’inverse du tableau fin de siècle de l’artiste crève-la-faim, celle-ci indique qu’après les trois années qui suivent leurs études d’art, 83% des étudiant·es «déclarent exercer une ou plusieurs activités professionnelles rémunérées». Bien que l’étendue de cette insertion soit à relativiser, le chiffre est presque similaire à celui des diplômé·es de l’enseignement supérieur (84%). Ajoutons que parmi ce pourcentage, «77% déclarent l’exercer (au moins en partie) dans le domaine artistique». Ainsi, dans les marges d’une pratique personnelle à visée esthétique, ce sont également des compétences professionnelles que cultivent des études d’art.
Deux sensibilités semblent gouverner l’enseignement supérieur de l’art, comme nous l’explique le docteur en histoire de l'art et archéologie de l'Université libre de Bruxelles Denis Laoureux, en opposant «l’approche pragmatique, plutôt anglo-saxonne − avec des cours d’économie, de droit ou de fiscalité − à la nôtre, plus portée sur la pratique artistique». Ainsi, de notre côté de la Manche, une certaine «tradition romantique» pousserait les écoles à éloigner les phalanges des artistes en herbe des tableaux Excel.
Un tel constat, s’il est observable, mérite toutefois d’être considérablement nuancé, ainsi que le suggère Dirk Dehouck: « Ces dernières années, les écoles supérieures des arts ont intégré, et parfois renforcé, des cours de pratique sociale et professionnelle, l’organisation de journées professionnelles, la préparation aux enjeux liée aux expositions, aux résidences et statuts d’artiste. Ce nouveau focus sur l'accompagnement professionnel est un axe important, bien que son développement à long terme reste à confirmer.»
«Une des différences fondamentales de l’apprentissage en école supérieure des arts réside dans l’immersion. Les formations s’appuient sur une implication intense et continue des étudiants dans leur pratique.»
Rendre compte de son travail
Dans un texte où il s’interroge sur l’institutionnalisation de l’apprentissage de l’art, le sociologue Pierre Bourdieu décrit un «effet de légitimation»2
. Plutôt que des compétences artistiques, les écoles d’art transmettraient la légitimité sociale de l’artiste. Sans dénier ce versant sociologique, Dirk Dehouck développe un aspect central de ces études: la capacité à l’explicitation. «Ce qui est en jeu, c'est l’aptitude à rendre perceptible la manière dont se construisent des liens entre les éléments. Parfois, l’enseignant demande: “Peux-tu expliquer comment cela tient ensemble?”. C'est cette cohérence, cette façon dont les éléments s’articulent, qui est essentielle.»
La capacité à rendre compte de son travail fait partie d’un ensemble de référentiels qui cadrent l’enseignement supérieur des arts. Ceux-ci sont respectés avec une certaine latitude, qui s’explique par le profil particulier des professeur·es. Contrairement à leurs collègues de l'enseignement secondaire, ils ne doivent pas détenir l'agrégation ni avoir de formation didactique. Le système repose sur la reconnaissance de l'expérience professionnelle de l'artiste.
Lors de sa candidature, l'enseignant·e démontre son expertise à travers son œuvre et soumet un projet pédagogique. Une structure particulière pour un apprentissage particulier, que Dirk Dehouck distingue notamment du secondaire par le nombre d’heures dispensées: «Une des différences fondamentales de l’apprentissage en école supérieure des arts réside dans l’immersion. Les formations proposées s’appuient sur une implication intense et continue des étudiants dans leur pratique.»
«Système assez rare à l’échelle mondiale, les académies dispensent à prix démocratiques quatre disciplines: les arts plastiques, visuels et de l’espace, la musique, les arts de la parole et du théâtre, et la danse.»
LES ACADÉMIES
La troisième voie pour devenir artiste en FWB consiste à suivre des cours en enseignement secondaire artistique à horaire réduit (ESAHR), connu sous le nom d’académies. Chaque année, près de 95000 personnes franchissent les portes des 111 académies de la FWB. Elles s’adressent à un public diversifié et de tous âges: enfants dès 5 ans, adolescents et adultes. Système assez rare à l’échelle mondiale, ces académies dispensent à prix démocratiques quatre disciplines: les arts plastiques, visuels et de l’espace, la musique, les arts de la parole et du théâtre, et la danse.
Le directeur de l’académie des arts visuels de Molenbeek-Saint-Jean, Axel Pleeck, nous donne rendez-vous dans la bibliothèque de l’école créée en 1879. En s’appuyant sur les échanges qu’il a pu avoir avec ses étudiant·es, ce philosophe de formation nous éclaire sur la finalité de cet enseignement: «La dimension première des académies n’est pas spécifiquement de former des artistes.» Au sein de son établissement, le directeur a constaté trois catégories d’élèves. Ceux qui viennent pour pratiquer par plaisir, sans réelle prétention. Ceux qui ont déjà un pied dans l’art et cherchent à parfaire leur pratique ou à expérimenter un nouveau médium. Et finalement ceux qui la fréquentent pour se préparer à l’entrée dans une école supérieure des arts.
Sur le plan purement quantitatif, une des particularités de cette formation est la plage horaire. Plus réduite que dans les deux autres présentées ci-dessus, la fréquentation hebdomadaire s’étend à quatre périodes de 50 minutes. Ayant pris fonction pendant la pandémie, le directeur insiste sur l’aspect relationnel, une caractéristique qualitative qui singularise les académies: «La dimension sociale est ici essentielle. Certes, des contacts se nouent en filigrane de l’effervescence des écoles supérieures, mais dans les académies, les liens sont, pour certains participants, la première finalité.»
Un panaché sociologique
Avec de gros guillemets, Axel Pleeck caricature le «panaché sociologique» qui anime tous les soirs les couloirs du 2a rue Mommaerts: du bobo flamand à la famille ukrainienne, en passant par les habitants historiques de la commune. Un gros tiers des élèves serait molenbeekois. Le tarif annuel s’adapte à ces différentes situations. Plafonné à 225€, il est dégressif selon l’âge et gratuit pour les moins de 12 ans. Des exemptions sont également prévues pour les bénéficiaires du statut BIM, les personnes à charge du CPAS et les personnes en situation de chômage. La formation se découpe trois cycles: formation en trois ans, qualification en trois ans et transition en six ans. Pour la qualification, six ans suffisent, mais pour le diplôme de transition, c'est neuf ou onze ans. Notons également que tous les niveaux sont répartis dans la même classe.
Également enseignant à l’agrégation, Axel Pleeck prend très à cœur la dimension didactique: «À l’académie, les professeurs sont artistes-pédagogues. Ils cherchent à induire des bifurcations dans les trajectoires des élèves, les emmenant vers des chemins qu’ils n’auraient pas parcourus par eux-mêmes.» Et c’est ici que se termine le nôtre. Les trois rencontres le démontrent chacune à leur manière: le chemin de l’artiste, plutôt qu’une route balisée vers une essence à atteindre, est un devenir à cartographier dans ses œuvres.
- 1VAN CAMPENHOUDT M. «Insertion professionnelle des diplômées et diplômés de l'enseignement supérieur artistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles», Études n°12, Observatoire des politiques culturelles, 2023.
- 2BOURDIEU P. et PASSERON J.-C. Les héritiers: Les étudiants et la culture, Éditions de Minuit, 1964.