La justice est-elle politique en ce sens qu’elle viserait des buts politiques? Question disputée de longue date et d’autant plus difficile que la justice, en principe indépendante, dépend du pouvoir législatif pour les lois qu’elle applique et du pouvoir exécutif pour l’exécution des sentences qu’elle prononce.
La justice a certes toujours une dimension politique en ce qu’elle reflète un système politique et le protège en appliquant les lois qui résultent du fonctionnement de ce même système politique. Mais une justice qui ne serait que cela, et qui ne se référerait en aucune façon au critère du juste, apparaîtrait aussitôt comme inique.
L’enjeu se présente avec plus d’acuité encore au niveau de la justice internationale. Car comment juger les actes commis par des gouvernant·es à l’aune des principes du droit, sans être aussitôt accusé par ces mêmes gouvernant·es d’exercer une justice politique?
Telle a été, en l’espèce, la réaction d’Israël à l’ordonnance de la Cour internationale de Justice qui siège à La Haye. Dans son ordonnance du 24 mai 2024, la CIJ ordonnait à Israël d’«arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle». À quoi répondirent, dans un communiqué commun, le ministère des Affaires étrangères et le Conseil de la sécurité nationale de l’État hébreu: «Israël n’a pas mené et ne mènera pas d’opérations militaires dans la zone de Rafah qui créent des conditions de vie susceptibles de conduire à la destruction de la population civile palestinienne, en totalité ou en partie ». (Le Monde, 25 mai 2024)
Chacun pourra juger si, et dans quelle mesure, la Cour internationale de Justice, en prononçant son ordonnance, exerça une justice politique – et à cet égard critiquable parce que partiale – ou si elle appliqua, avec la rigueur qui sied aux quinze juges élu·es par l’Assemblée générale et le Conseil de Sécurité de l’ONU qui la composent, les principes du droit et de la justice internationale.
Reste, sur un plan éducatif, qu’il semble difficile de développer l’esprit de justice sans éveiller la sensibilité au juste et à l’injuste. Les actualités nous y aident-t-elles vraiment?
Patrick Hullebroeck, directeur