Des lettres pour diffuser les travaux du GIEC / Entretien avec Jean-Pascal van Ypersele

Vendredi 7 juin 2024

Jean-Pascal van Ypersele
Timothé Fillon, secteur communication Ligue de l'Enseignement

À l’occasion de la publication de la 34e Lettre d’information de la Plateforme wallonne pour le GIEC, le climatologue Jean-Pascal van Ypersele, professeur émérite à l’UCLouvain, contextualise la mission de la Plateforme dont il a la responsabilité éditoriale.

L’ancien vice-président du GIEC – le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat – Jean-Pascal van Ypersele revient pour Éduquer sur les enjeux des Lettres précédentes, tout en adressant un message limpide aux destinataires de la toute dernière: le milieu de l’enseignement a un rôle à jouer dans la transition écologique.  

Éduquer: Quelle est la mission de la Plateforme wallonne pour le GIEC?
Jean-Pascal van Ypersele:
La Plateforme wallonne pour le GIEC a été créée en 2016 afin d’aider le gouvernement wallon à mettre en œuvre les différentes politiques climatiques développées à la suite de l’Accord de Paris et des efforts entrepris aux niveaux belge et européen. Elle s’est développée autour d’un objectif de facilitation de la participation des scientifiques wallons et francophones aux activités du GIEC. D’autre part, nous contribuons à la diffusion des travaux du GIEC auprès de toutes les personnes qui prennent des décisions: responsables politiques, acteurs économiques, citoyens et citoyennes. À chaque échelle, il y a des décisions à prendre.

Éduquer: En quoi consistent les Lettres d’information de la Plateforme ?
J-P.v.Y.:
Ce sont de précieuses ressources pour comprendre les publications du GIEC. Nous cherchons à rendre leur contenu accessible, tout en conservant l’approche rigoureuse qui caractérise le travail du GIEC. Elles sont distribuées gratuitement à plus de 3000 lecteurs et lectrices dans le monde francophone. De nombreux enseignants nous lisent et les mobilisent pour alimenter leur travail.

Éduquer: La 34e Lettre est également adressée aux enseignant·es et aux jeunes, pourquoi?
J-P.v.Y.:
L’écologie est une matière qui concerne tous les jeunes. Bien que certains soient déjà très conscientisés sur la problématique environnementale, approfondir le sujet en s’appuyant sur les bases développées par le GIEC permet de dépasser les préjugés éventuellement rencontrés via d’autres canaux d’information. Pour celles et ceux qui sont moins informés de l’importance de la question, la sensibilisation et la préparation à la vie dans un monde qui risque d’être perturbé par les changements climatiques est un enjeu de société. Pour agir efficacement, il est essentiel de comprendre les mécanismes à l’œuvre, afin de repérer les leviers à actionner.

Éduquer: Quel serait le programme scolaire du GIEC?
J-P.v.Y.:
Sans minimiser la place élémentaire des compétences et des disciplines enseignées, j’aurais tendance à mettre deux éléments formels en avant: l’esprit critique et l’interdisciplinarité. Pour arriver à transmettre une forme d’autonomie intellectuelle face à la pluralité des sources, il est capital de forger le regard critique des jeunes. L’interdisciplinarité est également très importante: le dialogue entre les matières élargit leur compréhension respective tout en cultivant leur mise en symbiose, fondamentale à l’appréhension complexe que requièrent les questions écologiques.

Éduquer: Auriez-vous un exemple concret?  
J-P.v.Y.:
Un outil très puissant, que j’utilise dans mes cours à l’université et qui peut être transposé à d’autres formes d’enseignement, est l’apprentissage par jeux de rôles. En exerçant les élèves à développer une perspective concrète autour d’un problème précis, nous observons une appropriation intime de la matière qui en intensifie les effets pédagogiques.


 

Éduquer aux enjeux planétaires : les comprendre pour mieux agir

La Lettre pour les enseignants·es et leurs élèves, rédigée par la Plateforme wallonne pour le GIEC, a été postée en juin 2024. Outil d’appropriation des enjeux climatiques pour les uns, alliée didactique pour les autres… faisons le point avec sa corédactrice Anouchka Lilot.

Corédactrice de la 34e Lettre de la Plateforme wallonne pour le GIEC consacrée aux enjeux pédagogiques de la transition écologique, Anouchka Lilot nous la présente en avant-première. Assistante de recherche à la Plateforme, physicienne et chercheuse en didactique de la physique, la scientifique tisse de précieux liens entre les décideurs, les scientifiques et le grand public. Avec cette nouvelle Lettre, c’est à la maille de l’enseignement que s’est attelée l’antenne wallonne. Elle s’inscrit dans le prolongement d’un premier courrier rédigé en 2019 à l’adresse des élèves qui marchaient tous les jeudis pour le climat. A l’orée des élections fédérales, régionales et européennes de 2024, cette Lettre est postée à cheval entre les urnes et les salles de profs.  

Éduquer: Comment évolue la situation depuis la première Lettre pour les enseignant·es et leurs élèves, publiée en 2019?  
Anouchka Lilot:
Le contexte climatique est toujours alarmant et les enjeux électoraux du 9 juin 2024 restent aussi décisifs qu’en 2019. Même si la mobilisation populaire est moins intense – les élèves n’organisent plus les grèves du climat – les jeunes continuent à se sentir préoccupés par la problématique écologique. Ils et elles cherchent des réponses à cet enjeu dont la complexité et les conséquences peuvent les angoisser. La dernière partie de cette Lettre met en avant des témoignages de jeunes: des messages d’espoir y côtoient des revendications concrètes. Adressés aux décideurs politiques, aux jeunes du passé, du présent ou du futur, une fois diffusés dans les classes, ces récits pourront résonner avec le ressenti de certains élèves. En parallèle à ce climat angoissant, les enseignants demandent à être plus outillés face à ces questions. Différentes initiatives émergent, comme la Charte pour un enseignement à la hauteur de l’urgence écologique, un collectif composé d’enseignants militant pour plus de considération des enjeux écologiques par le milieu scolaire. L’école est un levier de société important: les élèves assistent à un programme d’apprentissage commun qui peut véhiculer une compréhension du monde capable d’évoluer avec ses changements.

Éduquer: Pourquoi le milieu de l’enseignement doit-il lire cette Lettre?
A.L.:
Cette dernière Lettre est adressée aux enseignants, aux élèves et à notre lectorat habituel. La profession d’enseignant étant très chargée, nous avons cherché à faciliter l’accès à une source d'information de qualité sur des sujets essentiels à la compréhension des enjeux écologiques planétaires. La Lettre a également pour vocation d’être utilisée comme support de cours à aborder avec les élèves du secondaire supérieur. C’est une boite à outils compilant différentes thématiques centrées sur la problématique climat, appuyées par l'éclairage des travaux du GIEC et raccordées aux référentiels qui structurent l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Éduquer: Comment relier l’écologie aux programmes pédagogiques?
A.L.:
Les référentiels composent l’ensemble des savoirs et compétences à assimiler tout au long de la scolarité. Comme ils datent des années 1990, les questions écologiques y sont peu présentes explicitement. Néanmoins, il est possible de les mettre en lien, en connectant des exemples concrets à des apprentissages théoriques. Afin d'établir une série de points à aborder, nous avons repris les référentiels de connaissances terminales et les avons croisés avec les compétences écologiques essentielles à transmettre aux jeunes. Par exemple, en mathématiques, les élèves sont amenés à acquérir des savoir-faire dans l’analyse de données, de graphiques, comprenant notamment des courbes de croissance et des statistiques. Un enseignant peut très bien ancrer ces connaissances dans des situations concrètes issues de la réalité écologique. Dans la Lettre, vous lirez un sommaire présentant chacun des courriers déjà parus et listant les thématiques qui y sont développées, ainsi que les disciplines en rapport avec les programmes scolaires.

Éduquer: Dans cette 34e Lettre, quels thèmes propres à la problématique climatique avez-vous décidé de présenter?
A.L.:
Nous avons divisé la problématique en quatre chapitres: les limites planétaires, les scénarios d’émissions, l’adaptation et l’atténuation, les pertes et préjudices. Ainsi, les limites planétaires ouvrent à une appréhension globale de la crise environnementale, au-delà des problèmes climatiques, en traitant notamment de la perte de la biodiversité, de la pollution des eaux, etc. Les scénarios d’émissions sont des projections d'une multiplicité de futurs possibles: la traduction des décisions socioéconomiques en impacts écologiques. Nous présentons ensuite les thématiques de l'adaptation aux changements climatiques et de leur atténuation (réduction des émissions de gaz à effet de serre) au travers de l'exemple concret de l'alimentation. Et enfin, la dernière partie consacrée aux pertes et préjudices établit un bilan des dommages irréversibles et des conséquences qu’ils entraineraient sur la viabilité de certains territoires.

Éduquer: Comment se retrouve l'interdisciplinarité dans vos Lettres?
A.L.:
Pour vous répondre, il peut être intéressant de spécifier le fonctionnement du GIEC. D’une part, le GIEC est un organisme qui rédige une synthèse de l’avancée des recherches scientifiques sur le thème du réchauffement climatique. De l’autre, sa mission consiste en la mise en relation entre ces analyses et les décideurs. À l’instar de leurs ainés, la rencontre entre la science et la politique peut faire émerger des discussions entre les élèves. Nous veillons à émettre une approche factuelle de la réalité afin que la société puisse s’approprier ces sujets, dont certains aspects restent encore parfois mal connus et nécessitent un éclairage. Notre objectif est de fournir un contenu objectif à partir duquel peuvent se confronter différentes opinions.

Éduquer: Comment l’enseignement pourrait-il contribuer à la transition écologique?
A.L.:
La sensibilisation à l’écologie dans les établissements scolaires devient réellement un levier lorsqu'elle émane d’un choix de société, mandaté par les instances politiques. Les enseignants qui développent par eux-mêmes des projets écologiques changent les choses à leur échelle. Une fois pensé de manière systémique par les décideurs, l’impact de l’école pourra concerner des générations entières d’élèves.

Lettre à lire sur https://plateforme-wallonne-giec.be/lettre-34

 

juin 2024

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