Baisse alarmante des inscriptions en filières pédagogiques
Mardi 4 février 2025

La mise en œuvre de la réforme de la formation initiale des enseignant·es de l’enseignement fondamental et secondaire inférieur s’est accompagnée d’une baisse significative des inscriptions à l’entrée de ces cursus d’études en Belgique francophone. Le constat est alarmant et il conduit à questionner l’impact de cette réforme sur une possible aggravation de la pénurie enseignante amorcée il y a plusieurs décennies, dans le contexte large d’une profession à revaloriser d’urgence.
Depuis la rentrée académique 2023-2024, les formations initiales conduisant à l’exercice de la profession enseignante au sein des niveaux maternel, primaire et secondaire inférieur1 font l’objet d’une réforme importante dans une visée d’unicité du métier. Jusqu’alors formés en trois ans (bachelier professionnalisant2 de 180 crédits) par les hautes écoles3 , les futur·es enseignant·es se destinant à exercer dans ces niveaux d’enseignement suivent désormais un master en enseignement d’un volume de 240 crédits (quatre années).
Ces crédits sont dispensés par deux opérateurs de formation à travers une codiplômation impliquant les hautes écoles et les universités dans le cadre de consortiums. Les futur·es enseignant·es qui se destinent à l’enseignement secondaire supérieur4 réaliseront à partir de septembre 2025, dans une formule impliquant également une codiplômation, soit un master en enseignement de 120 crédits (deux années) consécutif à un bachelier universitaire disciplinaire, soit un master en enseignement de 60 crédits (une année) consécutif à une formation disciplinaire de niveau master.
La réforme se donne aussi pour objectif de réduire l’étanchéité à l’origine d’une rupture pédagogique entre les niveaux d’enseignement maternel, primaire, secondaire inférieur et secondaire supérieur, au profit du principe de «tuilage». Ce dernier est une extension de l’empan d’années du parcours scolaire des élèves pour lesquelles la formation initiale prépare l’enseignant·e à professer et il lui offre la possibilité d’exercer au sein d’années jouxtant plusieurs niveaux5 . Dans ce contexte, les appellations des cursus d’études évoluent, l’ensemble des futur·es enseignant·es devenant titulaires d’un master en enseignement, auquel est adossé l’intitulé de «section» informant du niveau scolaire auquel il les prépare6 .
Un constat alarmant
La mise en œuvre de la réforme au sein des sections 1, 2 et 3 s’est accompagnée d’une baisse significative des inscriptions à l’entrée de ces cursus d’études, qui conduit à questionner son impact sur une possible aggravation de la pénurie observée depuis plusieurs décennies au sein d’un nombre croissant de fonctions enseignantes. Pour l’année académique 2023-2024, les données statistiques produites par l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES-COCOFIE, 2024) présentent en effet une chute des inscriptions de l’ordre de 15,7% sur l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Ainsi, le pourcentage de nouvelles inscriptions est passé de 5.146 étudiant·es à la rentrée académique 2022-2023 à 4.340 un an plus tard.
Une analyse plus fine, par section, permet de souligner que cette inflexion des inscriptions impacte plus particulièrement le master en enseignement section 2 (ancien bachelier instituteur primaire) qui est passé de 1.832 nouvelles inscriptions en 2022-2023 à 1.489 en 2023-2024 (-18,7%). Des baisses significatives s’observent aussi dans le master en enseignement section 1 (ancien bachelier instituteur maternel) et dans le master en enseignement section 3 (anciennes agrégations de l’enseignement secondaire inférieur, AESI) qui sont respectivement passés de 1.059 et 2.255 nouvelles inscriptions en 2022-2023 à 886 et 1.965 en 2023-2024 (-16,3% et -12,9%).
Ces pourcentages cachent toutefois des disparités importantes d’un point de vue géographique, certaines provinces connaissant une baisse très limitée voire une quasi-stabilité du nombre de nouvelles inscriptions au sein des formations. Notons qu’en ce qui concerne l’année académique 2024-2025, bien que les données relatives aux nouvelles inscriptions dans les cursus d’études pédagogiques ne soient à ce jour pas stabilisés − les étudiant·es disposant légalement de la possibilité de se réorienter jusqu’en février −, les premières informations disponibles indiquent que la chute des inscriptions se poursuit (ARES-COCOFIE, 2024).
«La question des inscriptions en formations initiales à l’enseignement constitue le symptôme visible d’un malaise nettement plus profond.»
Renforcer l’attractivité du métier
Ce constat est alarmant et ne peut être occulté. Néanmoins, il nous apparaît inopportun, voire risqué, de conclure à une baisse d’attractivité pérenne du métier et, plus encore, de l’imputer exclusivement aux modalités relatives à la mise en œuvre de la réforme des formations initiales à l’enseignement. La problématique est effectivement éminemment plus complexe et fait apparaître que la question des inscriptions en formations initiales à l’enseignement constitue le symptôme visible d’un malaise nettement plus profond. Elle souligne la nécessité et l’urgence de contribuer tant à la revalorisation qu’au renforcement de l’attractivité du métier.
Le paradoxe du phénomène réside sans doute dans le fait que le gouvernement Degryse (MR-Les Engagés), institué en juillet 2024, n’est pas aveugle au phénomène − puisqu’il consacre un point complet de la Déclaration de Politique Communautaire (DPC) 2024-2029 à «la revalorisation du métier d’enseignant et la modernisation du statut pour renforcer l’attractivité du métier» − mais que les propositions qu’il avance se posent en totale contradiction avec l’intention poursuivie (Lothaire, Derobertmasure, Marseille, Demeuse, 2024).
Nous formulons l’hypothèse que ces intentions politiques impactent négativement les inscriptions dans les cursus pédagogiques. En effet, parmi les mesures les plus significatives, le gouvernement associe cette revalorisation à la mort annoncée du régime statutaire, fruit d’acquis sociaux successifs, au profit de contrats à durée indéterminée dont on ignore encore l’ensemble des caractéristiques (salaire, pension, régime des congés, protection sociale, etc.).
De plus, si les projets politiques avancés sont dommageables à l’attractivité du métier, l’absence d’avancée (de courage?) politique sur d’autres dimensions l’est autant: les étudiant·es en formation initiale, de même que les jeunes à l’aube de leur choix d’études supérieures, ne disposent actuellement d’aucune information officielle quant au barème qui leur sera octroyé au terme de leurs quatre années (minimum) de formation de niveau universitaire.
Aussi, le gouvernement soutient la volonté du basculement d’une véritable quatrième année de formation, accordant un poids central aux stages encadrés par des maitres et maitresses de stage formé·es, vers une quatrième année de formation en alternance, avec une supervision limitée et un niveau de rétribution encore inconnu… C’est-à-dire une gestion de la pénurie de la pire des manières qui soit: en envoyant au front les jeunes recrues encore en formation.
Mais, rassurons-nous, car comme s’écrie avec joie François Pignon obtenant les droits d’adaptation d’une œuvre tout en ne réalisant pas passer à côté de l’objectif, cela se réalisera «pour pas cher»! Gageons qu’à la lecture de l’article, le politique, lui aussi, prenne conscience, comme le personnage cher à Francis Veber, qu’il a commis une «boulette»7 !
«Outre la formation au métier, le début de la carrière enseignante constitue également une période charnière impactant significativement le fonctionnement des marchés du travail des enseignant·es.»
Des stages efficacement encadrés?
Revenons à un peu de sérieux: la préparation au métier, par l’intermédiaire de stages, constitue un levier significatif permettant de réduire le choc de la réalité vécu par les jeunes recrues (Sembel, Léonard, Teruel and Gesson, 2008). Mais à nouveau, le bât blesse… Encore faut-il disposer d’enseignant·es formé·es afin de pouvoir encadrer efficacement ces stagiaires! En effet, malgré le travail réalisé par les opérateurs de formation et leurs sollicitations, le gouvernement n’a, à ce jour, pas proposé de solution permettant de financer la formation des maitres et maitresses de stage ni leur rétribution lorsqu’ils et elles accueillent des stagiaires.
Cet état de fait discrédite l’idée de stages longs réellement formateurs et conduit à considérer que le gouvernement assimile plutôt les futur·es enseignant·es à une main-d’œuvre bon marché permettant de lutter contre la pénurie malgré le risque, à terme, de générer l’effet inverse et un abandon encore plus précoce de la profession, y compris avant leur premier recrutement.
Outre la formation au métier, le début de la carrière enseignante constitue également une période charnière impactant significativement le fonctionnement des marchés du travail des enseignant·es. Car parmi celles et ceux entrés dans la carrière en 2018-2019, 33,7%, soit plus d’un tiers d’entre eux, ont quitté le métier endéans leurs cinq premières années d’exercice (ministère de la FWB, 2024). Davantage qu’une «crise des vocations», ce sont donc ces départs précoces qui constituent le principal facteur à l’origine du déficit d’enseignant·es qualifié·es se manifestant dans de nombreuses fonctions (Delvaux et al., 2013; Dupriez et al., 2016).
Précarité du début de carrière
Au-delà des chiffres, l’abandon, durant les premières années d’exercice, est bien plus dramatique qu’une diminution du recrutement à l’entrée de la formation puisqu’elle s’accompagne d’un coût à la fois financier (celui de la formation) et humain (celui lié au temps passé par les candidat·es dans une formation spécialisée). Cette problématique s’explique largement par un report institutionnalisé de la précarité professionnelle sur les dernières recrues (multiplication des établissements/pouvoirs organisateurs, succession de contrats de remplacement, horaires inconfortables, etc.) (Lothaire, 2021; Lothaire et al., 2022) dont le gouvernement indique explicitement avoir conscience.
Cependant, l’angle d’approche qu’il préconise pour y travailler ne nous semble pas représenter une piste crédible de solution. Ainsi, les contrats à durée indéterminée tels qu’envisagés prendraient la forme − compte tenu du contexte organisationnel actuel des marchés du travail des enseignant·es − de contrats à durée «très» déterminée et potentiellement très courte (ce qui, jusqu’ici, sans être nullement satisfaisant, s’appelait un contrat de remplacement). Bref, une dangereuse poudre aux yeux qui risque encore d’accroître la déception de celles et ceux qui y accorderaient du crédit.
De plus, cette «solution» se révèlera rapidement impayable si le gouvernement souhaite véritablement améliorer la situation de l’ensemble de la profession (notamment avec l’augmentation des charges salariales, la prise en compte d’un second pilier pour la retraite, etc.). En revanche, la réduction des concurrences entre établissements, la fusion des petits pouvoirs organisateurs, le développement de pôles de remplacement (il existe actuellement deux expériences pilotes qu’évoque bien le gouvernement et qui doivent être étendues et évaluées) ou encore le développement d’une gestion territorialisée constituent des pistes plus prometteuses.
Une profession à revaloriser d’urgence
La revalorisation du métier, impactant directement son attractivité dans le contexte actuel de chute des inscriptions dans les cursus pédagogiques, ne s’opèrera pas en saccageant le statut actuel des enseignant·es plus ancien·nes, en poursuivant le «prof bashing» ou encore en opposant les novices à leurs collègues chevronné·es et supposé·es couvert·es de privilèges8
. Il s’agit donc de soutenir l’hypothèse selon laquelle une formation au métier en adéquation avec la réalité du terrain, telle qu’envisagée par la réforme de la formation initiale des enseignant·es, conduit à une réduction des sorties du métier en début de carrière et compense, de manière corolaire, la baisse des inscriptions en formation initiale si celle-ci devait se maintenir.
Le facteur démographique est également à prendre en considération. En effet, les projections mettent en exergue que compte tenu du ralentissement de la natalité en FWB, une diminution de 2.383 équivalents temps plein (ETP) enseignants est à envisager à l’horizon 2029 (passage de 116.324 ETP en 2023 à 113.941 ETP en 2029), ce qui conduira mécaniquement et à politique constante à une réduction de la pénurie (Lecuivre, Paul et Bogaert, 2024).
Par conséquent, une remise en question de la pertinence de l’implémentation de la réforme de la formation initiale des enseignant·es exclusivement basée sur une chute des inscriptions dans les cursus pédagogiques apparaît inappropriée. Elle occulterait la nécessité d’une prise en considération de l’urgence liée à l’adoption de mesures adaptées, visant à revaloriser concrètement la complexe et ô combien indispensable profession enseignante. Un affaiblissement des exigences, lors du recrutement, au prétexte de la pénurie, conduirait lui aussi, vraisemblablement, à l’accroissement de la pénurie en donnant un signal négatif par rapport à l’engagement dans une formation requalifiée.
- 1Niveau équivalent à celui du «collège» en France.
- 2Le terme «bachelier professionnalisant» recouvre, en Belgique francophone, une formation de niveau 6 (Cadre européen de Certification), généralement en trois ans, après la fin des études d’enseignement secondaire. Cela correspond, en France, à trois années de licence.
- 3 Le décret fixant l'organisation générale de l'enseignement supérieur du 5 août 1995 définit une haute école comme étant une institution d'enseignement supérieur, organisée ou subventionnée par la Communauté française, dispensant, hors université, un enseignement supérieur de type court, de type long ou des deux types.
- 4Niveau équivalent à celui du «lycée» en France.
- 5Ainsi, par exemple, le master en enseignement section 1 couvre les trois années de maternelle et les deux premières années de l’enseignement primaire, alors que le master en enseignement section 2 couvre la dernière année de maternelle et les six années de l’enseignement primaire.
- 6Plus exactement, les bacheliers instituteur maternel, instituteur primaire et les agrégations de l’enseignement secondaire inférieur (AESI) deviennent respectivement des masters en enseignement sections 1, 2 et 3, les masters à finalité didactique sont qualifiés de masters en enseignement section 4 et les agrégations de l’enseignement secondaire supérieur sont appelées masters en enseignement section 5 (Lothaire et al., 2022). L’empan de chaque section est à présent le suivant: section 1, de l’accueil à la 2e primaire; section 2, de la 3e maternelle à la 6e primaire; section 3, de la 5e primaire à la 3e secondaire; sections 4 et 5, de la 4e à la 6e secondaire.
- 7L’effet «Pignon», en référence au film de Francis Veber Le dîner de cons (1998) et à la pièce de théâtre (1993) dont il est adapté, peut être décrit comme «l’évaluation positive d’un résultat sans rapport ou en opposition avec les objectifs initiaux, évaluation d’autant plus positive que ce résultat est obtenu au prix d’un effort bien plus limité que celui qui était anticipé, compte-tenu de la difficulté associée à ces objectifs initiaux».
- 8Les départs en fin de carrière semblent, en effet, bien mettre en évidence que la nomination ne règle pas tous les problèmes que rencontrent les enseignant·es, tels que l’augmentation de la pénibilité de certaines tâches en fonction de l’âge. Ainsi, en 2022, 5.112 membres du personnel bénéficiaient d’une disposition précédent la pension de retraite (DPPR), soit 2.704 ETP. Cet effectif représente respectivement 23,4% des membres du personnel et 13,2% des ETP définitifs âgés de plus de 55 ans. Parallèlement, la même année, 2.220 ETP bénéficiaient d’une mise en disponibilité pour maladie (ministère de la FWB, 2024).
Pour aller plus loin
- Statistiques concernant les inscriptions dans les masters en enseignement des sections 1 à 3, ARES-COCOFIE, 2024.
- DELVAUX B., DESMAREZ P., DUPRIEZ V., LOTHAIRE S. & VEINSTEIN, M. «Les enseignants débutants en Belgique francophone : trajectoires, conditions d’emploi et positions sur le marché du travail», Les Cahiers de Recherche du GIRSEF, 92, 2013.
- DUPRIEZ V., DELVAUX B. & LOTHAIRE S. «Teacher shortage and attrition: why do they leave», British Educational Research Journal, 42(1), 21-39, 2016.
- LECUIVRE E., PAUL J.-M. & BOGAERT H. «MaSala : Simulateur de la masse salariale dans l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles : Méthodologie, perspectives et scénarios», Centre de Recherches en Economie Régionale et Politique Economique (CERPE) - Cahiers de recherche - Série Politique Economique, 118(2024/06), 2024.
- LOTHAIRE S. Le groupe professionnel enseignant et ses marchés de travail en Fédération Wallonie-Bruxelles, thèse de doctorat, Université catholique de Louvain, 2021. Archives ouvertes: https://cutt.ly/IeDBkM5S
- LOTHAIRE S., DEMEUSE M. & DEROBERTMASURE A. «Histoire de la formation initiale des enseignants en Belgique francophone»,Courrier hebdomadaire du CRISP, 2564-2565, 2022.
- LOTHAIRE S., DEROBERTMASURE A., MARSEILLE A., & DEMEUSE M. «RFIE: les premiers temps…», La Revue Nouvelle, 8/2024, 23-34, 2024.
- Les indicateurs de l’enseignement 2023, ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique, 18e édition, 2024.
- SEMBEL N., LÉONARD F., TERUEL B. & GESSON B. « L’entrée dans la carrière d’une cohorte de professeurs des écoles débutants en Gironde. Pratiques professionnelles, représentations, retours sur la formation», communication présentée au colloque Les parcours de formation des enseignants débutants, Clermont-Ferrand, France, 2008.