L’alimentation végétarienne se taille petit à petit une belle place dans les cantines scolaires, dans la foulée des réflexions et initiatives en faveur d’une alimentation «durable». Mais la viande reste reine. Et quand on parle de menu veggie, mieux vaut ne pas le dire trop fort.
«Idéologie scandaleuse», «insulte inacceptable» (aux bouchers et aux fermiers, ndlr). Ces réactions sont celles de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur français, suite à la décision prise fin février par la mairie écologiste de Lyon de proposer des menus sans viande - donc non végétariens puisqu’ils comportent encore du poisson - aux enfants d’école primaire fin février. Ce recours temporaire au menu unique non carné - prise dans un contexte de crise sanitaire et de réduction des places en cantine - a provoqué la colère de certains parents, syndicats agricoles et élus locaux, et membres du gouvernement. Qu’en est-il en Belgique - où, précisons-le, la cantine scolaire est plus une option qu’une institution comme elle l’est en France (un enfant sur cinq va à la cantine le midi contre un enfant sur deux en France)? Les assiettes des marmots à la cantine se débarrassent-elles peu à peu des produits carnés? Et ces changements passent-ils crème?
Feu vert pour le végé
«Il existe de plus en plus d’alternatives veggie dans les écoles. Si c’est difficile à mesurer, les choses bougent vraiment», explique Fanny Colot, coordinatrice de projets alimentation à l’école pour la stratégie Good Food à Bruxelles Environnement. Le label cantine Good Food a été lancé en 2016 pour promouvoir les cantines (et restaurants) proposant des menus sains et durables, et qui luttent contre le gaspillage alimentaire. À ce jour, 11 écoles bruxelloises ont obtenu ce label organisé en 3 fourchettes selon les critères remplis. Le végétarien y figure dès la première fourchette. «Si l’offre comprend 3 repas ou plus par jour, une alternative entièrement végétarienne est proposée quotidiennement. Si l’offre comprend 1 ou 2 repas par jour, une alternative entièrement végétarienne est proposée hebdomadairement», peut-on lire dans le règlement. On retrouve des critères vegan pour la 3e fourchette, soit la plus haute marche du podium. En Wallonie aussi, un label de ce type existe, mis en place dans le cadre du «Green Deal cantines durables» lancé il y a 2 ans qui vise à une alimentation plus durable autour de 6 axes de travail: des produits locaux et de saison, des produits respectueux de l’environnement et des animaux, des produits équitables, des repas sains, équilibrés et savoureux, la réduction du gaspillage alimentaire et des déchets, et l’inclusion sociale. Les plats végétariens doivent figurer au menu selon les mêmes modalités que le label Good Food. Quant aux sandwichs, une offre végétarienne quotidienne est obligatoire, et même végétalienne. 220 cantines ont déjà signé ce Green Deal, ce qui équivaut à 120.000 repas chauds sur un total de 200.000. Depuis plusieurs années, la sauce végé prend. C’est aussi le constat de Céline Ernst, responsable environnement chez TCO Service, entreprise wallonne de cuisine de collectivité durable qui promeut le bio et fournit, en temps normal, 17.000 repas par jour. «Jusqu’il y a deux ans, on en était à un repas végétarien toutes les deux semaines. Désormais, tous nos clients demandent un repas par semaine. Et pas mal de communes ont tous les jours une alternative végétarienne au menu», observe-t-elle. Autre indice que les cantines virent au vert: Les Cuisines bruxelloises, qui livrent près de 8000 repas dans plus d’une centaine d’écoles bruxelloises se sont aussi mises au végétarien depuis bientôt trois ans, une fois par semaine, et proposent des menus sans viande. Les raisons de ce succès? Une prise de conscience des enjeux environnementaux, sans aucun doute. Mais aussi «un choix philosophique et religieux», souligne Céline Ernst, un repas végétarien étant de facto halal. Dans ce débat - souvent crispé - le menu végétarien, sorte de plus petit dénominateur commun entre toutes les bouches, est d’ailleurs régulièrement privilégié par les écoles et leurs pouvoirs organisateurs, au repas halal.
Impulsions politiques
L’offre alimentaire dans les cantines scolaires n’est pas uniformisée en Belgique. Les établissements, dans leur grande majorité, ont recours à un prestataire extérieur pour la confection et la livraison des repas, les autres gèrent leur cantine en interne avec un personnel issu des écoles de cuisine, mais pas toujours. Cantine industrielle chez l’un, soupes collectives réalisées par des parents motivés chez l’autre, un repas végé par semaine, un repas bio tous les jours… Un coup de sonde auprès de quelques parents nous fait vite comprendre que chaque école - mais surtout pouvoir organisateur – n’en fait qu’à sa tête. Et que les leviers pour changer les recettes des cantines sont multiples. Les pouvoirs publics émettent des recommandations. Et en matière d’alimentation, cela fait quelques années que le tournant durable est amorcé. En 2012, la Fédération Wallonie-Bruxelles publiait un cahier spécial des charges à destination des directeur·trice·s d’école (et, plus largement, de collectivités accueillant un public entre 3 et 18 ans) et de leurs partenaires/fournisseurs éventuels pour promouvoir une «alimentation saine et durable»[1] . L’accent est mis sur une perspective durable (fruits et légumes de saison, recours à des circuits courts) mais des alternatives végétariennes sont aussi évoquées. Bruxelles Environnement a aussi élaboré un cahier des charges qui préconise une alternative végétarienne par semaine. En Wallonie, Manger Demain, qui coordonne le Green Deal en Wallonie, vient de sortir un guide pour aider les cantines à rédiger leurs cahiers des charges, y inclure des clauses de durabilité et mettre en réseau les cuisines de collectivité et les filières agricoles wallonnes. Une nouvelle impulsion est donnée en 2017 lorsque Barbara Trachte et Christos Doulkeridis déposent une proposition de résolution au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles «visant à inscrire la Fédération Wallonie-Bruxelles dans une transition écologique de l’alimentation afin d’offrir dans l’ensemble des cantines scolaires des repas biologiques et abordables issus de circuits courts ainsi qu’une alternative quotidienne végétarienne». Parmi leurs arguments pour le végé: une question de santé - le Belge mange trop de viande «entre 770 et 980 grammes de viande, soit 2 à 2,5 fois plus que les recommandations officielles», selon un rapport Greenpeace de 2018 - ce qui augmente les risques de maladies cardio-vasculaires, d’obésité, ou de diabète; une solution aux questions éthiques et confessionnelles, mais aussi une réduction de l’empreinte environnementale. «La production d’un kilo de protéines animales peut nécessiter jusqu’à 100 fois plus d’eau que la production d’un kilo de protéines végétales (un kilo de viande consommant 20 à 50 litres d’eau)», avançaient-ils. La proposition - non contraignante, signée par l’ensemble des partis en Fédération Wallonie-Bruxelles en novembre 2018 - avait fait réagir la Fédération wallonne des agriculteurs. «Si les consommateurs se détournent totalement de notre viande wallonne, avec quoi seront fertilisées nos productions végétales? Si la volonté d’insérer exclusivement des produits Bio semble claire, pourquoi ne pas soutenir également la filière bovine Bio, qui permet entre autres de fertiliser naturellement les fruits et légumes bio, produits privilégiés par les cantines pour «passer le cap» du Bio?»[2] . Ces réticences font écho sur le terrain. «On le voit par exemple dans les communes où le bourgmestre est éleveur de bêtes», confie Céline Ernst. «Ca dépend aussi des goûts de celui qui élabore les menus ou est derrière les fourneaux», constate Fanny Colot. Et les formations à la cuisine de collectivité ne sont pas toujours au point au niveau de l’alimentation végétarienne, à en croire nos interlocutrices. «On se rend compte que certains qui sortent des écoles ne connaissent pas les calendriers de légumes de saison», rapporte Céline Ernst, dont l’entreprise donne des formations de base à ses équipes. Des formations cantines «Good Food» sont aussi dispensées par Bruxelles Environnement. L’une d’entre elle est consacrée à l’alimentation végétarienne dans les collectivités. Manger Demain fait de même en Wallonie.
Lasagnes du soleil
Si les légumes, lentilles, pois chiches et autres mets végétaux gagnent les assiettes des cantines, le mot «végétarien» reste encore tabou. Autant dire que le véganisme est lui complètement banni du vocabulaire alimentaire scolaire. Alors, on use de stratagèmes pour faire passer la chose. «Au lieu de dire lasagne de légumes, on dit lasagne du soleil. Ou curry à l’indienne pour curry de légumes», explique Fanny Colot. Chez TCO Service, on «camoufle» les légumes. Un panais se retrouvera par exemple dans une bonne ratatouille ou un potage, car les enfants mangent d’abord avec leurs yeux. Cuisiner végé requiert de la créativité. «Si on voulait se simplifier la vie, on mettrait du bolo au menu tous les jours», plaisante Céline Ernst. «On a choisi de ne pas parler de végétarien. Le mot fait peur», confirme Laurence Leduc. Elle fait partie du Collectif Développement cantines durables, qui travaille avec plus de 100 écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles afin de rendre accessible une offre bio locale et de saison à tous les jeunes du fondamental au supérieur, dans laquelle le végétal occupe une grande place. Le Collectif coordonne un tout récent projet pilote visant à distribuer gratuitement un potage/collation - végétarien, bio et le plus local possible - deux fois par semaine dans 20 écoles maternelles et primaires situées dans des zones à indices socio-économiques faibles dans le courant de l’année 2021. Une initiative qui nous rappelle que l’alimentation à l’école est aussi une question sociale. Et si l’heure est à la réflexion sur la qualité de l’alimentation, l’enjeu des écoles est aussi de pouvoir nourrir des petits estomacs parfois fort vides. Question préoccupante à l’heure où les cantines sont fermées pour cause de Covid.
Et le budget?
Les repas à la cantine ne sont aujourd’hui pas gratuits. Le prix des repas fluctue d’une école à l’autre. Il varie, pour le primaire, de 1€ à 4.80€, et, pour le secondaire, de 1.50€ à 6.70€. Certains CPAS et communes interviennent dans les frais, partiellement ou totalement. Quand on parle d’alimentation durable, la question du budget pointe vite le bout de son nez. Et pour les cuisinier·e·s, la préoccupation de maintenir un prix bas dépasse souvent celle du goût. «Les repas végétariens permettent de dégager de la marge financière pour développer le bio, proposer, quand il y a de la viande, de la viande locale et biologique», répond Céline Ernst, visiblement habituée à la question. «On relève le défi de ne pas modifier le prix que les parents payent à la base», témoigne Laurence Leduc, insistant sur la dimension sociale et économique du «durable». Cela passe par le choix de légumes locaux, une alimentation simple, des soupe-repas qui combinent légumes et féculents. Le collectif accompagne les cuisinier·e·s dans la confection du budget, qui «ne se rendent pas toujours compte de combien ils dépensent». La réflexion budgétaire ne peut pas faire l’impasse sur la question du gaspillage alimentaire. Tous les acteurs de l’alimentation durable le confirment. Et y travaillent. Aujourd’hui, les cantines travaillent dans leur majorité avec des prestataires de services bien connus - et concurrentiels - orientés alimentation agro-industrielle plus que durable. «Les choses bougent aussi de ce côté-là car les grosses entreprises sont bien obligées de se plier aux exigences du marché», note Fanny Colot. «On n’a pas les mêmes armes que les grosses entreprises, explique la coordinatrice de TCO Service. Et les clients ont du mal à faire la part des choses entre le bio et le greenwashing. Parfois, les soumissionnaires considèrent qu’un produit européen, c’est du local…». Mais positive, de conclure: «Tout le monde est obligé de faire quelque chose aujourd’hui». Manon Legrand, journaliste
Sommaire du dossier: Demain des écoles végé?
- Quand le végétarisme touche à l’identité
- Changement climatique et notre assiette: osons mettre les pieds dans le plat
- L’exploitation des animaux n’a plus aucune justification valable
- Des cantines scolaires moins carnées?
- Regards d’enfants végé
- Le saviez-vous?
[1] Fédération Wallonie-Bruxelles, Cahier Spécial des Charges – «Confection et livraison de repas dans des collectivités», 2012. [2] www.fwa.be/bio/ des-cantines-bientot-toutes-bio