Changement climatique et notre assiette: osons mettre les pieds dans le plat

Mardi 4 mai 2021

Selon les calculs de Greenpeace, il faudrait réduire de 50% la production et la consommation mondiale de protéines animales d’ici à 2050.

C’est l’heure du repas de midi. Je suis invité par mon patron, après une longue réunion, à partager un déjeuner au restaurant. Il commence le repas en me contant une anecdote: «Tu sais, Sébastien, il y a quelques années une entreprise étrangère a voulu racheter la nôtre. Lors de la première réunion de négociation, après de longues discussions, ils m’ont servi le déjeuner: des tartines de pain blanc au fromage avec un verre lait. À ce moment précis, je me suis dit: je ne pourrais jamais travailler au quotidien avec des gens qui mangent ça! C’était clair, on allait refuser le deal». C’était il y a quelques années et cela me parut très drôle, mais aussi assez excessif: comment est-ce que ces fades tartines avaient-elles pu l’emporter sur les rigoureuses analyses financières? Pas trop le temps d’y réfléchir: l’entrée arrivait, suivie du plat, avec bien sûr du vin, pour terminer par un dessert maison, avec son immanquable café. Cette discussion et ce repas qui eurent lieu quand je travaillais pour un autre employeur, m’ont rappelé à quel point j’aimais manger et prendre le temps de le faire, à quelle point ma vie sociale et familiale était intimement liée à la table, aux rituels qui accompagnent le partage de chaque aliment, aux émotions et aux souvenirs générés par ces moments simples, souvent précieux. Quand j’ai commencé à travailler au quotidien pour la protection de la nature, cela n’a pas été simple pour moi d’apprendre, au fil de mes lectures, que notre système alimentaire a un impact décisif sur le réchauffement global et que ma manière de m’alimenter n’était pas neutre.

«Mais, de quoi tu te mêles?!»

Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (2014), le système alimentaire mondial est responsable de près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre. Comment est-ce possible? Le GIEC tient compte, d’une part, des émissions directes du secteur. Il s’agit principalement de la production de méthane lors de la digestion des ruminants, des émissions liées à la fertilisation des sols (production et application des engrais chimiques, gestion et épandage des effluents d’élevage) et de l’utilisation de combustibles fossiles. D’autre part, le GIEC tient également compte des émissions indirectes produites notamment par la déforestation au profit de l’expansion agricole, par exemple pour produire du soja qui sera ensuite intégré dans les aliments pour animaux. Il en ressort que l’empreinte de l’élevage est prépondérante: près de 80% des terres agricoles dans le monde sont utilisées directement ou indirectement pour produire des protéines animales[1]. En Belgique, l’industrie et le transport sont les principaux secteurs émetteurs. Les émissions du secteur agricole stagnent autour de 10% (13% en Wallonie). Si on devait tenir compte des émissions liées à l’importation d’aliments pour animaux (par ex. le soja), ces émissions seraient multipliées par deux[2]. Si elles ont baissé depuis 1990, les émissions stagnent ces dernières années, ce qui constitue un défi pour atteindre l’objectif européen de -55% d’ici à 2030 (par rapport à 1990). Afin de maintenir l’augmentation de la température de la terre dans des limites acceptables pour l’ensemble de la vie sur terre (maximum 1,5° d’augmentation[3]), les scientifiques nous disent clairement qu’il faut agir sur trois fronts en ce qui concerne l’alimentation: améliorer les méthodes de production, réduire le gaspillage alimentaire et réduire la production et consommation de protéines animales[4]. Selon les calculs de Greenpeace, il faudrait réduire de 50% la production et la consommation mondiale d’ici à 2050, ce qui implique une réduction plus forte dans les pays où la consommation est élevée, comme en Belgique[5].

Moins et mieux. Manger en conscience

Faut-il stopper toute consommation de viande? N’est-ce pas dangereux? Si le véganisme et le végétarisme sont des manières de contribuer à réduire son impact sur le climat, ce ne sont pas les seules. Le flexitarisme, qui consiste à donner plus de place aux protéines végétales tout en consommant encore un peu de viande, a le vent en poupe. C’est une autre manière de réduire son impact. En outre, les ruminants valorisent les prairies, importantes en Wallonie, et produisent des effluents utiles à la fertilisation naturelle des sols agricoles. Ils font donc partie de l’équation agro-écologique. Selon l’étude de consommation alimentaire menée par Sciensano, les Belges consomment encore trop de viande par rapport aux recommandations nutritionnelles[6]. Nous pouvons donc réduire notre consommation (en particulier de viande transformée) au bénéfice de notre santé. Moins et mieux, cela passe par réduire la quantité au profit de la qualité, choisir une viande respectueuse de l’environnement et vendue dans un circuit qui permet à l’éleveur de dégager une marge juste.

Et la nature dans tout ça?

À considérer seulement l’impact climatique au kilo, la viande de bœuf et le lait sont les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre. L’élevage de poulet intensif est donc préconisé par certains, car ses émissions directes au kilo sont les plus faibles. Le “hic”, c’est que l’élevage intensif de volailles est totalement déconnecté du territoire, dépendant de nourriture importée, en particulier le soja, dont l’impact sur la destruction d’écosystèmes en Amérique latine est considérable et dont les émissions pour le produire ne sont pas prises en compte dans ce calcul. Le soja est principalement consommé par les porcs (53 %) et les volailles (23 %), devant les bovins laitiers (18%) et les bovins de boucherie (7 %)[7]. L’élevage hors sol est aussi scandaleux du point de vue du bien-être animal et un véritable piège financier pour les éleveurs qui s’endettent à long terme, sans maîtriser ni leurs coûts ni leurs prix. En Belgique 62 % des céréales sont consommées par des animaux d’élevage[8], ce qui est un usage très inefficace. L’élevage bovin extensif à l’herbe, pour sa part, est totalement lié au territoire, crucial pour le maintien des prairies permanentes très importantes pour la biodiversité dans certaines zones, et assure la production d’engrais organique. Il présente donc des avantages dont il faut tenir compte, surtout en cas d’autonomie fourragère.

Le ras-le-bol des éleveurs. Les crises multiples du monde agricole belge.

Le secteur agricole wallon est très dépendant de plusieurs secteurs, surtout celui de la production de lait et de viande bovine. Les éleveurs bovins sont ceux qui gagnent le moins. Ils ont été durement touchés par la baisse de la consommation de bœuf ces dernières années et les difficultés de trouver des marchés à l’export. Ils sont également touchés par la libéralisation des échanges (ex. MERCOSUR) et les sécheresses à répétition, aggravées par le réchauffement global. Les anciens ont du mal à trouver de jeunes repreneurs; en Belgique, chaque jour, trois fermes mettent la clé sous le paillasson. Dans ce contexte, nous devons recréer de la valeur autour de nos productions nobles, respectueuses des animaux, de l’homme et de la nature. Les subsides de la politique agricole commune, en cours de révision, doivent permettre d’encourager ces productions. En tant que citoyen·ne·s et “consom’acteurs” nous pouvons également, en conscience et avec plaisir, soutenir ces producteurs, à chacun de nos repas. Afin de continuer de profiter de ces moments simples, souvent précieux. Bon appétit. Sébastien Snoeck, expert Agriculture durable à Greenpeace Belgique


Sommaire du dossier: Demain des écoles végé?

     


[1] Foley et al. (2011) [2] SYTRA (2019). [3] Accord de Paris sur le climat, COP21 (2015). [4] Springmann et al. (2018). [5] Greenpeace Research Laboratories (2018). [6] Enquête de consommation alimentaire 2014-2015. [7] SYTRA (2019). [8] SYTRA (2019).    

Avr 2021

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