Récit d’une 6e primaire en temps de pandémie
Mercredi 7 octobre 2020
La rentrée en 6e année primaire apporte déjà son lot de particularités. Mais que dire alors d’une telle rentrée dans un contexte d’épidémie mondiale?
Dans la scolarité de chaque élève, certaines expériences constituent des moments clés qui marquent les parcours. Il y a en effet des niveaux scolaires qui ne ressemblent à aucun autre tant ils représentent des étapes charnières dans la vie d’un·e écolier·e. Une rentrée en 6e année primaire, par exemple, raisonne déjà comme une rentrée particulière pour bien des élèves qui voient pendre au bout de leur nez la fin d’un cycle d’études. Cette fin est d’ailleurs toujours accompagnée de sa fidèle amie : l’épreuve du Certificat d’Études de Base (CEB). À l’heure où résonnent davantage les retours des enseignant·e·s et spécialistes de l’éducation sur la situation actuelle engendrée par le Coronavirus, et si nous accordions la parole aux élèves le temps de quelques lignes ? C’est l’exercice auquel s’est prêtée une classe de 6e primaire de la région bruxelloise. À travers des mots et des regards d’enfants sur une actualité déroutante, le présent article propose d’analyser les vécus et ressentis de ces élèves. Alors que le premier mois de cette rentrée scolaire vient de s’écouler, l’heure est au bilan pour la classe de Madame Christina.
Une rentrée qui rend majoritairement heureux... pour des motifs relationnels
Dans la classe de Madame Christina, institutrice en sixième primaire à l’école Maurice Carême, à Anderlecht, tous les élèves semblent globalement heureux de leur retour à l’école. Le motif le plus largement évoqué pour expliquer cette joie est avant tout d’ordre relationnel. Comme pour Malak qui estime se sentir enthousiaste «pour voir les amis», le retour à l’école rend heureux bon nombre d’entre eux pour ces mêmes raisons. D’autres ajoutent encore qu’en plus de revoir les ami·e·s, le retour à l’école permet de fuir l’ennui: «Je m’ennuyais sans école», nous dit Diana. Cet ennui sans école, ils sont nombreux à l’avoir vécu. Mirzama et Denisa témoignent toutes les deux isolément de ce même ressenti: «J’en avais marre de rester à la maison et ne rien faire.» Après les ami·e·s et l’ennui, certains élèves évoquent également l’idée de revoir leurs enseignant·e·s comme motif d’un retour joyeux à l’école: «Je suis contente d’être revenue pour revoir mes amis et découvrir ma nouvelle madame», exprime Ruth à ce sujet. Les élèves de cette classe semblent unanimes quant à la fonction sociale de l’école. Ils l’évoquent à de multiples reprises. Retourner à l’école, c’est permettre le lien avec les autres, la rencontre du collectif. Une autre fonction de l’école est quelques fois apparue chez ces élèves de sixième primaire: celle de l’apprentissage. Ranya s’explique: «Je suis contente de revenir pour revoir mes amis et pour apprendre de nouvelles choses.» Ouasim évoque les mêmes raisons: «Parce que je retrouve mes amis et j’aime apprendre». La fonction d’apprentissage de l’école est ainsi soulignée par quelques élèves (5/24) mais ne passe qu’en second plan comparativement à ses bienfaits relationnels et sociaux.
Une rentrée heureuse... mais masquée
Lorsqu’il s’agit de raconter son premier jour de rentrée, Yanis confie: «Quand je suis rentrée à l’école, tout avait changé. Tous les éducateurs, professeurs, surveillants, concierges, et même quelques élèves, dont moi, portaient un masque toute la journée. C’est très dur de porter un masque 8h d’affilée». Vlera le rejoint en affirmant: «Avec ce masque, c’est très bizarre, on ne reconnait même pas nos professeurs». Sofiane confirme cela en racontant comme il a été surpris quand, au bout de quelques semaines et à une distance de nombreux mètres, il a pu apercevoir pour la première fois le visage complet de sa nouvelle enseignante. Le temps d’un changement de masque, son institutrice a laissé apercevoir son sourire: «Quand j’ai vu le visage complet de Madame Christina, j’étais choqué. Je m’étais imaginé tout autre chose sous ce masque». La présence des masques à l’école semble marquer le retour au sein des classes et faire couler beaucoup d’encre et de salive chez ces jeunes élèves de 6e primaire. Les autres mesures sanitaires ne sont pas non plus en reste.
Des mesures sanitaires qui rythment les journées de classe et dictent une nouvelle norme de fonctionnement des activités
Pour Natalia, l’école a indiscutablement changé depuis l’arrivée du Coronavirus: «Là maintenant les profs et les élèves doivent se laver les mains avant chaque activité». Ses camarades de classe la rejoignent sur ce point. Pour eux, le grand changement de l’école après le confinement repose sur l’institution de nouvelles règles: «il y a plus de règles avec le COVID-19», exprime Diana, «On doit se désinfecter les mains avant et après chaque récréation», complète Amin, qui estime ne plus voir l’école de la même manière depuis l’arrivée du Coronavirus: «Je vois des règles strictes et des profs masqués». Ainsi, il s’agirait pour ces élèves des changements majeurs opérés au sein des écoles. Aucun de ces élèves ne semble évoquer de changements pédagogiques majeurs ou avoir l’impression que l’apprentissage et ses modalités aient fondamentalement été bousculés à ce stade. Ils s’alignent tous pour dire qu’ils apprennent toujours dans un climat positif, mais que ce sont les mesures sanitaires qui apportent un chamboulement à l’organisation générale des activités de la classe.
Enseignement en ligne, hybridation de l’apprentissage et travail à distance... des modalités et expériences qui font débat auprès des élèves
Impossible d’évoquer l’expérience des élèves en temps de pandémie sans atterrir sur un houleux sujet: celui de l’apprentissage en ligne/à distance. Sur ce sujet, rares sont les consensus entre élèves. Chacun y va de son commentaire. Plusieurs élèves estiment que l’apprentissage hybride comporte de nombreuses difficultés. «C’est plus dur d’apprendre et d’enseigner sur ordinateur ou téléphone», estime Sarah. Ce caractère «difficile» de l’apprentissage en ligne, Yanis le ressent également. Pour lui, des facteurs temporels sont en jeux: «C’est bien, mais je préfère l’enseignement normal. Celui sur PC, ce n’est pas le même temps. Sur PC c’est 1h30 alors qu’en temps normal c’est 8h». Kawthar se range à cet avis en qualifiant l’enseignement à distance d’étrange, mais finalement préférable à l’idée de n’avoir aucun accès à l’apprentissage: «C’est bizarre mais bon, au moins on a pu apprendre». Globalement, tous les élèves rejoignent ces avis en insistant sur le fait que si certains apprentissages peuvent être ludiques et plaisants en ligne, rien ne peut remplacer l’ambiance de la salle de classe et ses interactions avec les camarades et l’enseignante: «Bof, c’était bien, mais je préférais en classe», insiste d’ailleurs Mohamed à ce propos. Parmi les freins à cet apprentissage hybride, nombreux sont les élèves qui ont voulu conscientiser aux inégalités d’accès à du matériel informatique au sein même de leur groupe-classe: «Pour ceux qui n’ont pas toujours l’ordinateur ou le téléphone, c’est difficile», alerte Timéo. «Je ne crois pas que ce soit une bonne idée parce qu’il y a des gens qui n’ont pas d’ordinateur ou de téléphone. Ils ne vont pas pouvoir avoir tous les cours alors», surenchérit Natalia. Si les élèves semblent mitigés quant à la mise en place d’un enseignement hybride et aux répercussions de l’enseignement à distance sur leur scolarité, c’est sans aucun doute parce qu’ils ressentent plus fortement encore cette année, une pression considérable liée à l’épreuve certificative à laquelle ils devront faire face: le Certificat d’Études de Base.
Une ombre au tableau de cette joie de retourner à l’école.... Le stress du Certificat d’Études de Base
Peur de doubler, peur d’accumuler trop de retard, peur d’échouer au CEB, peur d’entamer les études secondaires avec des lacunes... voilà bien des retours communs aux en-fants interrogés dans la classe de Madame Christina. Les élèves sont unanimes sur leur plus grosse inquiétude de l’année. L’inquiétude qu’ils estiment traîner, depuis le début de la pandémie et la suspension des leçons, concerne le Certificat d’Études de Base. À ce sujet Ruth est formelle: «Quand ce n’était pas possible d’aller à l’école, j’ai tout de suite eu peur. Je me suis dit qu’on allait avoir trop de retard pour le CEB». Cette peur est partagée par d’autres élèves qui se sentent plus en difficulté en classe et qui estiment que l’arrivée du Coronavirus a davantage aggravé leurs difficultés scolaires. Cette rentrée scolaire s’accompagne donc d’une série de frayeurs comme celle d’échouer ou de ne pas être suffisamment préparé à rencontrer le niveau supérieur d’études. Imran déclare avoir «peur de rater l’année» et est rejoint par Timéo pour qui le confinement a été une source d’angoisse, qu’il explique par le motif suivant: «Parce que l’année prochaine on va en secondaire. On ne peut pas y aller la tête vide».
Des nouvelles règles, des appréhensions... mais des élèves optimistes
Même si les élèves de cette classe sont unanimes sur les craintes qui les guettent, Zarafi souhaite lancer un message optimiste à tous les écolier·e·s qui, comme lui, rencontrent les défis de leur dernière année dans l’enseignement primaire. Il invite à «rester courageux, et ne rien lâcher». C’est un message de persévérance qu’il désire envoyer en souhaitant à tous les élèves de profiter de cette dernière année en primaire et des occasions qu’elle offre, malgré le contexte si particulier: «Que tout le monde prenne soin de sa santé et essaye de ne pas se tracasser pour le CEB, se dire qu’on va y arriver».
Talhaoui Amina, enseignante en primaire, spécialisée en orthopédagogie
SOMMAIRE DU DOSSIER: L’obligation scolaire à l’épreuve du coronavirus