Quelles priorités pédagogiques pour quelle école?

Mercredi 7 octobre 2020

La gestion urgente de la crise sanitaire ne doit pas empêcher une réflexion profonde sur l’école de demain.

Pour cette rentrée et ce retour aux apprentissages, la ministre Caroline Désir s’est voulu rassurante. Les priorités pédagogiques annoncées sont: le diagnostic des apprentissages, la lutte contre le décrochage scolaire des élèves en difficulté et le renforcement de l’enseignement à distance. La priorité est donnée aux matières essentielles. «Si une petite partie est perdue, elle sera perdue», affirme Julien Nicaise, l’administrateur général du réseau des écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles (WBE), au micro de Matin Première le 25 août. Durant le mois de septembre, les enseignant·e·s doivent établir un diagnostic et identifier les difficultés et les retards pour chaque élève. «Pour le 21 septembre, les titulaires de classes doivent rendre leurs rapports individualisés pour chaque élève et transmettre les noms des élèves qu’il faut absolument aider», explique Pascale De Meue, préfète à l’Athénée Adolphe Max. L’objectif sera à court terme de mettre en place des cours supplémentaires pour organiser les remédiations. «Nous avons reçu des heures spéciales «covid» de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour engager des enseignants pour de la remédiation supplémentaire. Mais à l’Athénée, nous avons pris le devant en dédoublant les classes de 1ère année en mathématiques et en français. Par ailleurs, nous avons déjà un système de remédiation interne à l’école, avec ou sans covid, pour lequel je vais renforcer les équipes de remédiation. Il y aura aussi des heures de remédiation offertes le vendredi après-midi». Ces heures de remédiation spéciales covid découlent de la décision du pouvoir organisateur de supprimer, cette année, les activités extrascolaires en lien avec le projet d’établissement, qu’elles soient éducatives, pédagogiques ou sportives. «Évidemment, c’est dommage d’annuler toutes ces activités mais c’est tout à fait pertinent puisque dans ces activités, les bulles-classe n’étaient pas respectées et il faut que les élèves restent dans leur bulle-classe». Sur le terrain, la FAPEO constate pourtant, plus que jamais, le manque d’uniformité entre les établissements. «C’est le grand écart entre les intentions communiquées par la ministre et ce que les écoles décident de faire ensuite. Beaucoup de parents nous ont contacté pour témoigner de leur incompréhension. Leurs enfants sont soumis à une interrogation par matière chaque jour», explique Joëlle Lacroix. «Pour de nombreux élèves, le doute plane quant à leur année scolaire. Certains sont encore en attente de décisions quant à leurs recours externes, qui, à cause de la crise sanitaire et de la fermeture des écoles durant quatre mois, ont été plus nombreux que les autres années. D’autres vont encore attendre quelques semaines les résultats de leurs recours pour leurs examens de passage. Certain·e·s seront déclassé·e·s dans une classe inférieure, d’autres pourront accéder à la classe supérieure. Pour nombre de jeunes et de familles, cette rentrée est très stressante».

Relation parents-école

Un autre enjeu important en lien avec la re-prise de l’école est celui de recréer du lien entre les écoles et les parents. Pour Joëlle Lacroix, il est capital que les associations des parents d’élèves réintègrent l’école. «Les parents attendent une com-munication claire sur comment l’année scolaire va se dérouler d’un point de vue pédagogique. Est-ce que leurs enfants vont rattraper ce qui n’a pas été vu? Ou est-ce que les matières vont être lissées sur les années suivantes? Va-t-on se concentrer sur l’es-sentiel? Qu’est qu’est-ce qui va être fait de manière individualisée pour les élèves qui avaient déjà des difficultés l’année dernière? Quel accompagnement individuel pour ces élèves?». Les écoles vont devoir faire preuve de créativité pour réinventer ce lien et ramener la confiance, insiste Joëlle Lacroix. «Il faut remettre du lien entre les écoles et les pa-rents et ces associations sont là pour tenir informés les parents. J’entends beaucoup dire que le numérique serait la solution pour créer du lien mais je pense que ce serait dangereux de miser uniquement sur le numérique».

Le numérique ne sauvera pas l’école

Avant de pouvoir prétendre à un enseignement numérique, il faut s’assurer que tous les élèves aient accès à l’informatique. À la ville de Bruxelles, un premier recensement a été fait au début du confinement et des moyens matériels ont été dégagés pour mieux équiper les enfants et les jeunes à la maison. Avec la reprise de septembre, un deuxième recensement est à nouveau organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles et la ville de Bruxelles. Une fois la question de l’équipement réglé, il reste encore de nombreux questionnements. «Dans mon école, explique Michèle Braipson, préfète de l’Athénée Léon Lepage à Bruxelles, tous les élèves et enseignants des écoles ont reçu une adresse mail et un accès à Office 365 et Teams pour suivre des cours en ligne. On ne se rend peut-être pas compte mais il y a une réflexion en profondeur à mener au sein de l’école, qui tient du fait que tous les élèves et tous les enseignants ont accès à tout. Cela pose des questions sensibles de confidentialité jusqu’ici encore jamais posées. Doit-on repenser le groupe-classe? Comment organiser les canaux auxquels les élèves ont accès? En termes de visibilité, de transparence et de responsabilité, il y a beaucoup de questions pratiques mais aussi philosophiques auxquelles il va falloir répondre rapidement». On le sait: la charge de travail administratif pour les directions et les équipes pédagogiques est déjà très importante. Avant de pouvoir faire en sorte que tout le monde soit équipé et outillé pour la communication digitale, il va se passer du temps. «On doit rebondir tout le temps, s’adapter, revoir la fonction, évoluer. Avec la crise actuelle et les distances qui se creusent entre nous, les parents et même les élèves, le risque c’est qu’on ne sache plus recréer du lien. Selon moi, la barrière de l’accès et de la capacité d’utilisation de technologies vient encore s’ajouter en termes de défi pour l’école de demain», conclut Michèle Braipson.

Maud Baccichet, secteur communication


SOMMAIRE DU DOSSIER: L’obligation scolaire à l’épreuve du coronavirus

 


Décompte des écoles

Au 21 septembre, d’après un décompte du journal Le Soir, six écoles ont déjà été entièrement fermées en Fédération Wallonie-Bruxelles. Selon l’ONE, entre le 7 et le 13 septembre, 2.006 élèves et 104 membres du personnel ont été placés en quarantaine dans une « optique d’enrayement de la propagation du virus ». «Environ deux tiers des élèves mis en quarantaine fréquentent le secondaire» où on le sait, le risque de contagion du virus est plus élevé que chez les jeunes enfants.


Chiffres école à domicile

Depuis cinq ans, le nombre d’élèves inscrits dans l’enseignement à domicile n’a cessé d’augmenter. Sont compris dans ce décompte, les jeunes qui étudient à la maison et celles et ceux qui sont inscrit·e·s dans une école privée ne relevant pas de la Communauté française. Les deux groupes grossissent d’année en année. En 2015-2016, 845 élèves étudiaient à la maison. Ils et elles étaient 875 en 2016-2017, 1.015 en 2017-2018, 1.072 en 2018-2019 et 1.103 l’année scolaire passée. Soit une augmentation de plus de 29 % depuis que ces données sont collectées. Dans le même temps, 385 élèves étaient inscrits en écoles privées en 2015-2016, puis 397 en 2016-2017, 366 en 2017-2018, 648 en 2018-2019 et 836 l’année scolaire dernière. Soit une augmentation de près de 38 %. En tous, près de 2.000 élèves en âge d’obligation scolaire, soit 1 élève sur 360 qui ne passe pas par la voie classique en Fédération Wallonie-Bruxelles.


Nouveau congé corona: congé de quarantaine

Afin de faire face aux fermetures des écoles et des crèches liées à l’épidémie du Coronavirus, la commission des Affaires sociales de la Chambre a adopté ce lundi la proposition de la ministre Ludivine Dedonder (PS), de prolongation du congé parental corona qui avait été mis en place en avril dernier.
Comment ça se passe concrètement:
  • En cas de fermeture et sur simple présentation d’une attestation de l’établissement, l’employeur sera obligé d’accepter un congé de quarantaine pour le parent, jusqu’à la réouverture de l’école ou de l’institution.
  • Le parent touchera 70 % de son salaire ainsi que 5,63 euros supplémentaires chaque jour.
  • Ce congé peut être pris à temps plein alors que le congé coronavirus, jusqu’ici, ne permettait qu’un mi-temps, ce qui pénalisait fortement les familles monoparentales.
  • Par ailleurs, la mesure concerne tous les enfants jusqu’à 18 ans (le congé parental corona ne concernait alors que les enfants jusqu’à 12 ans).
  • Le texte du nouveau congé corona ne pourra être voté avant la plénière du 8 octobre mais il aura un effet rétroactif au 1er octobre.

 

oct 2020

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