Lire à l’école

Lundi 6 décembre 2021

Marie Versele, secteur communication Ligue de l'Enseignement

L’apprentissage de la lecture est une des missions fondamentales de l’école primaire. Comment cela se passe-t-il en classe? Comment les jeunes appréhendent-ils le livre et comment concilier l’acquisition des bases de la littératie et le plaisir de lire?

Permettre à tous les enfants d’acquérir les compétences suffisantes pour maîtriser la lecture et la compréhension de la langue française est fondamental dans le parcours de l’élève. Face à notre société de l’information, la littératie1 des textes est un enjeu éducatif majeur. Dans ce contexte, la lecture littéraire, la lecture plaisir trouve-t-elle encore sa place à l’école? Quels sont les outils et méthodes utilisés pour donner l’envie de lire chez les plus jeunes? Rencontre avec Frédérique Strubbe, enseignante en 1re et 2e primaire et Violette Zébier, enseignante en 5e et 6e primaire à l’école Ulenspiegel à Saint-Gilles.

Frédérique Strubbe, enseignante à l'école Ulenspeigel à Saint-Gilles

Éduquer: Quelle est votre approche pédagogique pour apprendre à lire aux enfants?

Frédérique Strubbe: Dans notre formation de base d’enseignants, les choses sont très vastes. On nous montre assez rapidement tous les courants et pédagogies qui existent et on nous vend celle qui est la plus à la mode et en adéquation avec les dernières recherches au moment où on fait nos études. On sort de nos études avec une méthode d’apprentissage de la lecture très cadenassée qui repose sur l’idée d’apprendre chaque semaine aux enfants un ou plusieurs sons et petit à petit, arriver à des lectures de textes. On se rend assez vite compte que cette approche n’est pas toujours en adéquation avec l’école dans laquelle on arrive et que beaucoup d’enfants n’entrent pas dans ce système d’apprentissage et dans le rythme qu’on leur impose. Mon approche de l’apprentissage de la lecture a donc été très progressive et elle évoluera encore.

Éduquer: Comment avez-vous progressé dans votre parcours?

F.S.: Je suis enseignante depuis 15 ans. Au début, j’ai tout de suite commencé avec des textes de vie, des textes où les élèves parlent d’eux, de leur vécu. À côté de cela, j’ai toujours fait des études de sons. Après 10 ans de carrière dans l’enseignement, je me suis rendue compte que certains élèves s’y retrouvaient, d’autres pas du tout. J’ai donc changé ma pratique.

Est-ce naturel et adapté pour un enfant de 5-6 ans de rester assis sur une chaise toute la journée? Non, évidemment, à cet âge ils ont besoin de bouger!

Éduquer: Quelle est votre pratique pédagogique actuelle au niveau de l’apprentissage de la lecture?

F.S.: Depuis 5 ans maintenant, je travaille en classe flexible. Au départ, ma réflexion portait essentiellement sur la question du placement des enfants. Est-ce naturel et adapté pour un enfant de 5-6 ans de rester assis sur une chaise toute la journée? Non, évidemment, à cet âge ils ont besoin de bouger! De cette réflexion et du constat que tous les élèves ne progressent pas à la même vitesse, est née l’idée de mener des ateliers autonomes deux fois par jour. Durant la journée de cours, je travaille souvent en demi-groupes: la moitié de la classe (10 enfants) va être avec moi pour une découverte, une manipulation ou de l’entraînement, l’autre moitié de la classe va être en atelier d’autonomie. À travers cette organisation en demi-groupes, je suis beaucoup plus disponible pour ceux et celles qui auront besoin de soutien à un moment donné de leur parcours.

L’intérêt du jeu est que les élèves n’ont pas l’impression d’apprendre car ils jouent, s’amusent et échangent sur leurs découvertes.

Éduquer: En quoi consiste ces ateliers d’autonomie?

F.S.: Les ateliers d’autonomie sont des périodes de la journée où les élèves vont mener, seuls ou en binômes, une activité qui correspond à leur niveau d’apprentissage, à leur zone proximale de développement en français, en mathématiques ou en éveil et durant laquelle ils n’auront pas besoin de l’aide d’un adulte. C’est un moment précis en temps et réglementé afin que chacun puisse évoluer au mieux. L’enfant est parfois libre de choisir son atelier, parfois il est contraint de faire celui proposé. L’adulte est alors guide et non maître détenant le savoir. Le contenu de ces ateliers repose sur les compétences et objectifs qui doivent être atteints en lecture, en écriture, en numération, opérations, grandeurs, résolution de problèmes… Le jeu est le point de départ de tout atelier. Ils sont proposés/expliqués au fur et à mesure de l’année, en fonction des besoins et progrès. L’intérêt du jeu est que les élèves n’ont pas l’impression d’apprendre car ils jouent, s’amusent et échangent sur leurs découvertes. Ils savent toutefois qu’ils ne sont pas là pour jouer mais bien pour apprendre et cela se passe beaucoup plus facilement que s’ils étaient dans une position classique d’apprenants. Ces ateliers permettent de développer non seulement les compétences des élèves, mais également l’entraide et le partage de connaissances entre élèves via le travail en binôme. Les enfants sont bien plus conscients de leurs progrès et défis puisque l’évaluation est continue et co-construite avec eux dans le portfolio.

Violette Zébier, enseignante à l'école Ulenspeigel à Saint-Gilles

Violette Zébier: Dans ma classe de 6e primaire, nous menons, au minimum deux fois par semaine, l’activité «15 minutes de silence, on lit». Ce quart d’heure de lecture autonome permet de pérenniser l’acte de lecture et de sensibiliser les élèves au plaisir de lire. À chaque fois, les enfants sont heureux de prendre un bouquin et de se poser. Le fait que cette activité soit systématique et organisée tout au long de leur scolarité a permis à pas mal de mes élèves d’entrer dans la lecture et le plaisir de lire.

Éduquer: Comment conciliez-vous lecture analytique et lecture littéraire?

F.S.: La lecture analytique on va l’aborder de trois manières avec les petits: soit en grand groupe, soit en demi-groupe accompagné, soit en groupe autonome selon la compétence visée. Elle va s’articuler entre étude de sons et découvertes de textes de vie et les différents types de textes. Ils seront annotés d’illustrations et symboles permettant une plus grande autonomie des lecteurs. Les textes seront tout d’abord connus par cœur et puis de plus en plus analysés en fonction des connaissances et découvertes communes. La partie littéraire, le plaisir de lire, va plutôt se dérouler de manière collective, en grand groupe, à travers une lecture offerte (une histoire pour le plaisir et on en parle plus après), ou avec une lecture découverte (lecture qui va servir un projet ou à travailler un thème spécifique). Le plaisir de lire sera également exploité individuellement avec l’activité «silence on lit» où, deux fois par semaine, les élèves ont 15 minutes dédiées à la lecture pour soi. On utilise aussi des outils originaux tels que les tooballos (voir encadré) ou des Bookinous qui sont des supports très appréciés par les enfants dans l’exploitation de la lecture en classe. La motivation vient de la mise en projet et du travail étroit entre la lecture et l’écriture. On lit / on écrit pour se souvenir, pour apprendre, pour faire…

V.Z.: Au niveau de la lecture analytique, il y a un vrai enjeu de société qui se joue. Cela représente un travail considérable à réaliser en classe, surtout dans le milieu multiculturel avec lequel on travaille. En effet, souvent issus d’origines immigrées, nos élèves ne maîtrisent pas toujours toutes les subtilités de la langue française. Pour eux, l’usage et la compréhension de la langue française représente souvent un grand malentendu. La lecture informative, analytique d’un texte représente alors une difficulté encore plus importante dans leurs apprentissages. La maîtrise de la langue n’est pas une chose innée, loin de là.

N’étant majoritairement pas dans cette culture de la langue française, nos élèves partent dès le début avec un handicap important. Pour eux, la langue française peut vite devenir un malentendu, une série de mots alambiqués qu’ils ne comprennent pas facilement. On parle d’égalité et d’équité, mais on en est très loin et ce dès la naissance.

Éduquer: Comment faire en sorte que ces élèves puissent s’approprier la langue française et ses subtilités?

V.Z.: Je suis convaincue que la lecture est à la base de tout. En tant que compétence de base qui permet d’accéder à d’autres apprentissages, la lecture devient le médium d’accès aux autres savoirs: les maths, l’éveil, la citoyenneté… car pour comprendre des notions, il faut pouvoir maîtriser la langue, les mots et donc la lecture. N’étant majoritairement pas dans cette culture de la langue française, nos élèves partent dès le début avec un handicap important. Pour eux, la langue française peut vite devenir un malentendu, une série de mots alambiqués qu’ils ne comprennent pas facilement. On parle d’égalité et d’équité, mais on en est très loin et ce dès la naissance. L’enfant sera certainement capable de réaliser une tâche de lecture, sera capable de lire, mais comprend-t-il ce qu’on lui demande de faire? C’est une tout autre question! D’où la nécessité de développer la lecture plaisir dès le plus jeune âge, car plus on avance dans l’âge et la scolarité, plus les freins peuvent se cristalliser. C’est pour cette raison que nous avons institutionnalisé la pratique de la lecture plaisir à travers les «15 minutes de silence, on lit» ainsi que «la lecture plaisir». Ce temps-là va pouvoir changer la perception et l’attitude des jeunes face à la lecture.

Éduquer: Vos élèves sont issus d’un milieu multiculturel. Constatez-vous un impact sur leur apprentissage de la lecture?

F.S.: Je ne pense pas avoir de réponse claire sur l’impact ou non de la multiculturalité dans l’apprentissage de la lecture. La culture littéraire n’est pas forcément présente dans les familles des élèves, qu’elles soient d’origine immigrée ou non d’ailleurs. Ce qui apparaît plus est que chaque culture a ses références littéraires, ses propres réflexes de lecture.

V.Z.: Notre public manque de mixité. Nos élèves sont issus de milieux et de familles précaires financièrement mais aussi intellectuellement. Leur réalité, c’est d’essayer de joindre les deux bouts! Leur dire «Va à la bibliothèque chercher un livre» est très délicat. On n’est pas là-dedans, lire n’est pas forcément dans les priorités de ces familles. Pour eux, ceux et celles qui lisent, c’est les instits ou les autres élèves. Lire c’est un truc d’école! La lecture n’est pas entrée dans leur intimité. C’est très bien de les pousser à lire, à lire en classe, de faire des animations un maximum, mais on ne peut pas raisonnablement attendre d’eux qu’ils soient tous de grands lecteurs. Tant pis s’ils n’ont pas de modèle à la maison, il faut continuer à lire à l’école. Cela ne sert à rien de baisser les armes à l’école.

Éduquer: Quelle est la position spontanée des enfants face à la lecture? Est-ce que les élèves aiment tous lire?

F.S.: D’emblée, les enfants aiment le livre! Les partenariats et les animations menées en classe avec la bibliothèque de l’école offrent aussi l’opportunité de développer d’autres manières de voir le livre qu’en classe et donc de faire en sorte que les élèves accrochent avec le livre. On fait aussi des visites de la bibliothèque et de la ludothèque de St-Gilles, on participe à des concours tels que la Petite Fureur de lire. On propose aux lecteurs de lire des histoires aux petits, ou aux autres enfants de la classe, de s’enregistrer pour le Bookinou… Cela permet de faire comprendre aux enfants que les livres sont accessibles et qu’ils y ont aussi droit. V.Z.: De tout temps, il y a eu des enfants lecteurs et des enfants qui aimaient moins cela. Ce n’est pas nouveau. Je pense que le plaisir de lire à l’école est bien là. Que ce soit dans le choix personnel de lire un livre ou aux moments où moi, en tant qu’instit, je leur lis des livres, cette notion de plaisir est présente pour la plupart des élèves. La différence entre les deux c’est que leur lecture plaisir, la lecture qu’ils ont choisie seul, reste vraiment du plaisir. C’est-à-dire qu’on n’en fait rien au niveau scolaire et c’est important de ne rien en faire. On pourrait en faire des fiches de lecture ou autres exercices pédagogiques, mais alors on sortirait du plaisir de lire uniquement. Pour moi c’est important de préserver cela, cette pratique désintéressée, lire juste pour le plaisir.

Éduquer: Quelle est votre démarche pour soutenir les enfants en difficulté d’apprentissage?

F.S.: La première chose est de les garder motivés, conscients et acteurs de leurs apprentissages! Dans une classe, il y aura toujours des enfants qui auront des difficultés et n’entreront pas forcément dans la lecture aussi rapidement que les autres. Ces blocages sont, en général, liés soit à des troubles de l’apprentissage ou des fonctions exécutives, soit à des manquements au niveau de l’aide extérieure, soit parce que ce sont des élèves qui devraient être réorientés. On met alors en place toutes les aides possibles via de la remédiation pour qu’ils progressent. Les ateliers autonomes sont pensés pour permettre à ces élèves de continuer de progresser tout en s’amusant. Le but étant que chacun progresse et ait des défis personnels et non par rapport à une moyenne ou une élite de classe. Grâce aux ateliers autonomes, l’enseignant est plus disponible pour faire des «tunnels» avec quelques enfants, soit pour pallier des problèmes de compréhension, de mémorisation, soit pour aller plus loin avec certains ou faire des manipulations avant l’abstraction et l’exercisation. On est aussi toujours en travail étroit avec la famille et le PMS pour essayer que les aides se mettent en place à l’extérieur de l’école. Les écoles des devoirs peuvent également prendre le relais en offrant une structure d’aide en dehors de l’école.

Éduquer: Quels sont les outils que vous utilisez pour favoriser le plaisir de lire?

F.S.: En classe, on peut trouver d’autres chemins pour soutenir les élèves en difficulté au niveau de la lecture. Le passage à l’oralité est un très bon outil pour cela. Si des élèves ne savent pas entrer dans le sens des mots et répondre à des questions sur un texte pour des raisons techniques de lecture, ce n’est pas grave car on peut utiliser l’oral pour contourner la lecture de base. Avec l’oral on est aussi dans une lecture, c’est une autre forme de lecture. On est dans une lecture de l’image, de l’imaginaire… on contourne!

V.Z.: Même si j’ai des élèves en 5e ou 6e primaire, je continue à leur lire des histoires! Non seulement ils adorent qu’on en lise, mais en plus cela leur permet d’enrichir leur vocabulaire ainsi que le sens de la langue française. C’est pour cela que le fait de raconter des histoires, d’être dans l’oralité en classe est fondamental: cela permet d’enrichir leur perception du sens des mots et leur compréhension du monde, tout en maintenant la lecture plaisir. La lecture plaisir devient alors un outil pour appréhender la lecture analytique, la faciliter et la dédramatiser. La lecture devient alors un tout.

Marie Versele, secteur communication


Le toobaloo

Le toobaloo, ou chuchoteur, est un outil pédagogique et ludique qui peut s’avérer être précieux dans l’apprentissage de la lecture.

Le toobaloo est une sorte de combiné téléphone dans lequel l’enfant peut lire une histoire et entendre sa voix sans bruits parasites. Utilisé aussi bien en lecture à voix basse individuelle qu’en outil de partage en duo, le toobaloo a de multiples avantages: il permet aux enfants de se concentrer sur leur voix et les sons qu’ils prononcent, il aide les enfants à prendre confiance en eux, il permet d’améliorer la compréhension à la lecture et le sens des phrases via l’oralité, pour les enfants qui n’arrivent pas à entrer dans la lecture silencieuse, il leur offre l’opportunité de continuer à lire tout bas sans déranger les camarades de classe… Même si son prix en commerce peut sembler exorbitant, il est très simple de fabriquer soi-même son toobaloo grâce à de simples morceaux de tuyaux et de coudes en PVC.  

Subvention aux écoles: la subvention Manolo

Manolo est un dispositif de soutien financier destiné aux écoles belges qui permet l’achat de manuels scolaires, ressources numériques et/ou outils pédagogiques agréés ou labellisés ainsi qu’à l’achat de livres de littérature jeunesse.

Plus d’infos: www.enseignement.be

déc 2021

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