L’école face aux «grèves Climat» des jeunes, une réponse en demi-teinte
Mercredi 6 novembre 2019
Les grèves climatiques suivies par la jeunesse belge début 2019 n’ont pas manqué de faire débat dans la société et dans le monde scolaire. Le fait que l’école doive encourager l’engagement citoyen des jeunes est un point de vue largement
partagé. Mais le caractère désobéissant de la grève fait nettement plus débat. Et même si l’on décide de soutenir la grève des jeunes, ne la déforce-t-on pas en ne faisant que la tolérer et l’encadrer sans la rejoindre?
Le climat en marche
On ne présente plus la jeune Greta Thunberg, ni le mouvement des manifestations et grèves climatiques qui ont démarré en Belgique au début de cette année. Face à ces grèves, l’école est prise de court. Les élèves qui «sèchent» pour aller manifester devaient-ils/elles être soutenu·e·s par les écoles et les instances en charge de l’enseignement (réseaux, cabinets ministériels)? Si oui (ou si non), dans quelle mesure et sur quelles bases? Diverses réponses sont apportées dans les établissements: certaines directions vont soutenir sans réserve la grève des élèves, d’autres proposeront un cadre (tournante des élèves ou des cours pour ne pas rater systématiquement les mêmes matières, besoin d’une autorisation parentale, mise en place de débats et de projets dans l’école…), enfin certaines écoles noteront les absences des élèves, et ne soutiendront pas le mouvement sauf éventuellement lors de la journée du 15 mars. Beaucoup d’articles seront publiées durant cette période comme autant de prises de position des parents (et «grands-parents pour le climat»), des enseignant.e.s (à titre individuel ou collectif), des ONGs...
Une réponse scolaire… inadéquate?
Il est plutôt très «consensuel» d’estimer que l’école doit promouvoir l’engagement citoyen des jeunes. Mais lorsque l’on précise les termes de cet engagement, ou lorsque l’on se confronte à la mise en œuvre concrète d’un tel programme, on voit où le bât blesse. Quid de la neutralité scolaire? Quid de l’accès à ce «programme à côté du programme» pour les élèves moins favorisés, qui passent souvent à côté de ces activités non obligatoires? Jusqu’où s’engager et chercher la cohérence? Avec quel niveau de participation des jeunes dans le processus même? L’engagement inclut-il la désobéissance civile? Outre ces questions, la grande nouveauté des grèves climatiques est que pour la première fois sans doute dans l’histoire scolaire, le bât blesse en un tout autre endroit que l’école. Pour la première fois, un engagement concret est pensé «en dehors de la boite», totalement en dehors du cadre scolaire habituel. La question du rôle de l’école est reléguée au second plan. Si le monde scolaire s’en préoccupe, les élèves marcheurs/euses ne se posent pas cette question. Ils sont en réalité à un tout autre niveau. Parce que l’État et la société dans laquelle ils sont appelés à évoluer ne répond pas adéquatement au changement climatique, ils décident en signe de protestation de faire grève, de refuser l’école (très partiellement), d’occuper l’espace public et de sortir de leur rôle d’élèves et de l’obligation scolaire que la société leur assigne. Ce faisant, ils court-circuitent l’école, et c’est en court-circuitant l’école qu’ils expriment l’urgence et l’importance de leur demande. Paradoxe: faire en sorte que l’école facilite l’engagement des élèves n’aide pas les élèves dans leur grève dans ce qu’elle a de subversif et de désobéissante, condition essentielle pour faire de cette grève un succès et une menace réelle pour les décideurs et décideuses politiques qui ne font pas du climat une priorité. La prise de position des différentes écoles et réseaux était en effet souvent une simple réaction face aux élèves brosseurs. En ce sens, accompagner pédagogiquement, organiser des débats, créer des projets et y impliquer les élèves sont toutes des initiatives louables et bienvenues, mais finalement contre-productives par rapport à la proposition de créer un mouvement gréviste de masse dans la rue. Deux autres scénarios auraient pu voir le jour: que les élèves soient davantage sensibilisé·e·s par les écoles au changement climatique. Avec comme corollaire que ces élèves puissent alors choisir ou non de grossir les rangs des grévistes. Ou plus loin encore, comme d’autres y ont appelé, que les élèves soient rejoints par les adultes, enseignant·e·s, directions, à l’image des grèves qui par le passé ont secoué le monde enseignant et qui, soit dit en passant, étaient nettement plus conséquentes en terme de pertes de journées de cours et d’écoles immobilisées.
Laisser les élèves manifester ou manifester avec eux?
Si théoriquement la réponse scolaire officielle peut être vue comme trop peu audacieuse, il reste que dans les faits les grèves ont eu lieu et ont été parfois suivies par les enseignant·e·s accompagnant leurs élèves. Cependant, une majorité d’écoles dans lesquelles les élèves n’ont pas participé au mouvement, n’ont pas rebondi pour y amener le débat. En définitive, nous reconnaissons tou·te·s la plus-value de l’école en terme d’une lecture critique d’un monde de qualité. L’école doit davantage accompagner les jeunes qui se posent aujourd’hui des questions de société bien plus essentielles, anxiogènes et urgentes que celles que toutes les générations précédentes ont pu se poser. Si elle continue à le faire si peu, et avec elle, l’ensemble de la société, nous verrons dès demain la jeunesse à nouveau dans les rues, et avec elle, le vent du changement… Ce texte est une version allégée d’un article paru en juin 2019 sur le site: www.oxfammagasinsdumonde.be
Simon Laffineur, Animateur/formateur en ECMS - Oxfam-Magasins du Monde