2019-2024: quelles priorités en matière d’enseignement?

Mardi 5 novembre 2019

La coalition PS-MR-Ecolo a présenté sa Déclaration de politique communautaire pour les 5 années à venir. Résultats: beaucoup de concessions et des dossiers reportés.

Le 18 septembre dernier en séance plénière du parlement de la FWB, les chef·fe·s de groupe des différents partis, majorité et opposition confondues, se sont exprimé·e·s sur le contenu de l’accord gouvernemental. L’occasion pour nous d’analyser le contenu de la déclaration de politique communautaire 2019-2024 et de mesurer l’impact des mesures prévues par la nouvelle majorité PS-MR-Ecolo. L’opportunité également de donner la parole aux associations de défense de l’enseignement. Pour la ministre de l’enfance sortante, Alda Greoli (cdH), la nouvelle coalition et son programme manquent de cohérence. «Nous n’avons pas senti un souffle commun dans cette Déclaration de politique communautaire (DPC). Tout au plus, avons-nous perçu la juxtaposition de priorités des différentes familles politiques qui constituent la majorité: cela ne fait pas un projet de société cohérent». La cheffe de groupe DéFi Joëlle Maison insiste aussi sur le manque de clarté autour du financement des mesures à venir en matière d’enseignement: «Votre Déclaration de politique communautaire est velléitaire par certains de ses aspects tant elle ne recèle pas la moindre esquisse de financement des politiques annoncées. Elle est paradoxale lorsqu’elle affirme une chose et son contraire. Comment pourrait-il en être autrement dès lors qu’elle prétend réconcilier des doctrines, des philosophies et des programmes sur certains points totalement opposés?». Pour former une majorité avec le MR, les groupes PS et Ecolo ont effectivement dû négocier sur certains dossiers, c’est le cas notamment du fameux décret Inscription que les libéraux souhaitent depuis longtemps voir disparaitre. De son côté, la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire a publié son état des lieux de l’enseignement[1] dans lequel elle cible la DPC qu’elle juge trop peu ambitieuse au regard du Pacte d’excellence. Pour Jean-Pierre Coenen, Président de la Ligue des Droits de l’Enfant et de la Plateforme, en voulant «ménager la chèvre et le chou», la DPC a «perdu au passage l’accent progressiste qui transparaissait de la note coquelicot» rédigée par le PS et Ecolo au début de l’été. «Pour le gouvernement, l’école doit d’abord former des super-travailleurs qui auront pour mission de sauver Bruxelles et la Wallonie», dénonce Jean-Pierre Coenen.

Décret Inscription abrogé

Pour rappel, le décret Inscription est en vigueur depuis l’année scolaire 2010-2011. Il a pour objectif de réguler les inscriptions en 1re année secondaire selon des critères précis favorisant la mixité sociale et en évitant les multiples inscriptions ainsi que les files devant les écoles. 9 ans plus tard, il continue de diviser. Déjà en février 2018, le gouvernement en place avec Marie-Martine Schyns (cdH) à l’Enseignement, proposait de le réformer sans vraiment savoir comment s’y prendre. À l’approche des élections du 26 mai 2019, les différents partis se sont prononcés pour ou contre une réforme de ce décret. Du côté du MR, on a toujours été «pour un libre choix de l’école», c’est donc la suppression du décret que l’on réclame depuis toujours. Les socialistes, eux, souhaitaient simplifier le décret. Les écologistes, pour leur part, ont toujours regretté la complexité du système mis en place et ses conséquences donnant lieu «à des catastrophes humaines[2] ». Avec l’accord de gouvernement PS-Ecolo-MR 2019-2024, c’est finalement l’abrogation des dispositions actuelles qui est prévue avec une réforme attendue pour la rentrée 2021. La députée Françoise Schepmans (MR) se satisfait de cette abrogation enfin obtenue et met en avant la libération que cela devrait constituer pour les parents. «Le MR la réclamait depuis longtemps et demandait que l’on tienne compte des centaines de familles angoissées. Nous allons rendre une véritable liberté aux parents en leur permettant de baser leur choix d’établissement sur le projet pédagogique qui y est développé. L’instauration d’une nouvelle procédure, associée à la réhabilitation des écoles moins favorisées, devrait permettre de voir se développer une véritable mixité sociale à laquelle nous tenons tous. Qu’on ne s’y trompe pas: on ne parviendra pas à cette mixité sociale à coups de décrets, mais bien grâce à un travail de fond destiné à renforcer la qualité des écoles dans nos quartiers, notamment ceux où se concentrent les difficultés socioéconomiques». Très active en matière de lutte contre les inégalités scolaires, l’Aped, Appel pour une école démocratique, fait le constat inquiétant que «la déclaration de politique communautaire de la nouvelle majorité PS-MR-Ecolo, loin de corriger le Pacte, nous entraîne toujours plus dans la mauvaise direction (…)  

Loin de s’attaquer au marché scolaire, on abroge la seule disposition régulatrice existante, le décret inscriptions, et on renforce le «libre choix» sous prétexte d’adhésion à un «projet pédagogique[3] ».

Un tronc commun modalisé

Pour rappel, le projet initial du Pacte pour un Enseignement d’excellence prévoyait un allongement du tronc commun jusqu’à la 3e année secondaire, avec à la clé, l’obtention d’un Certificat du tronc commun (CTC). L’objectif de ce tronc commun polytechnique allongé était bien d’améliorer le niveau de toutes et tous, de renforcer les savoirs de base et d’assurer un niveau de connaissances plus élevé pour tous les élèves. Le fait est que depuis toujours le MR est opposé à l’allongement du tronc commun de la 2e à la 3e secondaire. En s’alliant au MR, la nouvelle majorité en place a fait le choix d’un «tronc commun modalisé» pour la troisième secondaire. En d’autres termes, le choix est de réintroduire la possibilité pour les écoles secondaires organisant des filières qualifiantes de pouvoir commencer à y préparer leurs élèves dès la 3e année. La cheffe de groupe DéFI insistera beaucoup en séance plénière sur les conséquences de ce choix d’une 3e orientante. «Comment concilier la volonté d’allonger le parcours commun des élèves en permettant à certains d’entre eux, ayant atteint l’âge de 15 ans, de déserter ce chemin de façon prématurée? Votre annonce d’un tronc commun modalisé visant à permettre aux écoles qui le souhaitent d’assumer une série «d’activités orientantes» en troisième année du secondaire nous laisse perplexes. N’avait-on pas évoqué une orientation positive tout au long du tronc commun? Qu’en est-il, dans ce cas, des «activités orientantes» en amont de cette troisième année du secondaire?». L’Appel pour une école démocratique enrage: «Contrairement à ce que prévoyait initialement le Pacte, on ira donc vers un renforcement de la division entre les filières et une vision utilitariste de celles-ci», estime Michèle Janss, membre de l’Aped. «Avant 15 ans, ce n’est pas le temps du choix d’une orientation professionnelle, c’est le temps de mettre en place des bases solides…». L’Aped avance des chiffres: «parmi les 13.349 élèves orientés en 3e professionnelle en 2014, 48% avaient quitté l’école sans aucun diplôme trois ans plus tard, 25% étaient arrivés en sixième et 6% en alternance». Le ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Pierre-Yves Jeholet (MR,) a tenu à rassurer l’auditoire sur sa volonté d’abaisser l’âge moyen de l’accès à l’enseignement en alternance en précisant que les activités orientantes seraient stimulées plutôt que contraintes. Pour la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire, cette mesure consiste plutôt en une «relégation des élèves en difficulté, peu compatible avec la promesse de faire de l’alternance un parcours d’excellence». Joseph Thonon, le président de la CGSP Enseignement souligne que «La vraie solution contre le décrochage scolaire, c’est un tronc commun polytechnique. Même les entreprises plaident en sa faveur, parce qu’elles se rendent compte de la difficulté de trouver des apprentis avec les compétences et connaissances de base suffisantes». À Bruxelles, les chiffres de l’alternance confirment les inquiétudes de la plateforme: en 2018, seuls 63% des élèves en alternance sont allés au bout de leur année (sans forcément la réussir) et 30% d’entre eux n’avaient pas trouvé d’employeur en raison d’une formation de base jugée insuffisante par les patrons d’entreprise[4] .

Formation initiale reportée

Le 22 janvier 2019, la commission Enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles approuvait la réforme de la Formation initiale des enseignant·e·s. Ce décret, prévoyant d’allonger d’un an le cursus des futur·e·s instituteurs/trices (primaires et secondaires) et des futur·e·s régent·e·s (premières années du secondaire), va prendre du retard notamment pour des raisons financières. Le ministre-président Pierre-Yves Jeholet explique le choix de son gouvernement lors de la séance plénière: «postposer la réforme de la FIE d’un an permettra d’examiner la capacité opérationnelle de sa mise en œuvre, de l’adapter le cas échéant, mais aussi de préciser son coût et son intégration dans la trajectoire budgétaire de notre Fédération Wallonie-Bruxelles». Un collectif de 260 acteurs et actrices de terrain, travaillant autour de la Formation initiale des enseignant·e·s[5] , s’est rapidement étonné dans une carte blanche publiée dans le journal Le Soir que «ne soient soulevées, qu’aujourd’hui seulement, des questions aussi fondamentales que celles de la ‘capacité opérationnelle de la mise en œuvre de la réforme’ et de ‘son coût d’organisation et son intégration dans la trajectoire budgétaire’»? Du côté de la cheffe de groupe DéFi, on relaie cette inquiétude: «L’enseignement en Communauté française est confronté à une pénurie sans précédent. Plus de la moitié des jeunes enseignants déserte la profession dans les cinq premières années. Des milliers d’élèves n’ont plus cours alors que le droit à l’enseignement constitue un droit fondamental». Joëlle Maison en a profité pour rappeler que le groupe DéFi avait proposé de «pratiquer la dernière année de formation en alternance, ce qui atténuerait les effets de la pénurie liée à l’allongement de la FIE, et rendrait la FIE moins coûteuse et la formation plus concrète pour les étudiants enseignants». Maud Baccichet, secteur communication   [1] Enseignement: le programme du gouvernement inquiète plusieurs associations, par Clara Van Reeth, Le Soir du 27/09/2019. [2] Réviser ou supprimer le décret inscription? La position des partis pour les élections 2019, Le Soir 8/4/2019. [3] Communiqué de l’Aped du 12 septembre 2019. [4] Enseignement: le programme du gouvernement inquiète plusieurs associations, par Clara Van Reeth, Le Soir du 27/09/2019. [5] Réforme de la formation initiale des enseignants: de la méprise au mépris? 13/10/2019 dans Le Soir.   Illustration: Abdel de Bruxelles  


 

Brèves...

Congé coparental allongé?

Au début du mois d’octobre, une proposition de loi de Ecolo et Groen a été déposée en commission des affaires sociales de la Chambre. Les Verts proposent d’allonger le congé de naissance des pères et autres coparent·e·s à 25 jours obligatoires. Actuellement, les pères n’ont droit qu’à 10 jours de congé, non obligatoires. «Cette situation ne correspond plus à notre époque», souligne Gilles Vanden Burre, député fédéral Ecolo, dans les colonnes du journal Le Soir[1]. Il cite par ailleurs l’étude récente de la Ligue des familles qui montre que six pères sur dix estiment qu’une présence plus importante du papa à la maison contribue au bonheur des enfants. Le parlementaire ajoute également que «selon une étude de l’OCDE, le congé de paternité a un effet à long terme sur l’implication des pères dans l’éducation de leurs enfants et ces enfants ont des compétences cognitives et émotionnelles plus élevées». La mesure promet donc un impact positif sur l’égalité femmes-hommes indique encore Le Soir: «À la maison, d’abord, où la charge de travail liée à l’arrivée du bébé serait mieux répartie dès lors que le coparent dispose d’un congé plus long. Dans la sphère professionnelle également, où la maternité a nourri en partie les discriminations salariales et le plafond de verre sur lesquels reposent notamment les inégalités de genre».

Violences sexuelles sur les enfants: nouveaux chiffres

Une enquête Ipsos réalisée pour l’association Mémoire Traumatique et victimologie révèle que 47% des victimes ont moins de dix ans au moment des premières violences. 83% sont des femmes et 17% des hommes. Dans 44% des cas, il s’agit d’un inceste, les faits ayant été commis par un membre de la famille proche ou élargie. Toujours dans ces 47% de victimes âgées de moins de dix ans, 22% déclarent avoir subi des viols dans l’enfance, 89% des attouchements et 12% du harcèlement sexuel.

Cantine: gratuité étendue

La Déclaration de Politique Communautaire 2019 souhaite intensifier ses efforts en matière de gratuité de l’enseignement. La prise en charge des frais scolaires, déjà appliquée en maternelle, sera élargie aux autres niveaux, avec la généralisation du potage gratuit, l’extension des repas chauds gratuits et la prise en charge d’une heure de garderie. Les temps de midi sont, en revanche, toujours considérés comme étant hors du temps scolaires et donc payants.

Syrie: rapatrier les enfants et les mères

La Ministre de l’Enfance, en charge des droits de l’enfant, Bénédicte Linard, a appelé au rapatriement immédiat des enfants belges et de leurs mères présents dans le nord-est de la Syrie. Selon l’Ocam, l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace, 69 enfants qui ont un lien avec la Belgique, se trouvent dans les camps de la région où s’affrontent l’armée turque et les forces kurdes. La ministre s’est exprimée via un communiqué de presse: «On ne joue pas avec la vie d’un enfant. La Belgique, comme les autres pays européens, a la responsabilité de mettre ces enfants à l’abri du conflit et de ses conséquences dramatiques sur le plan humanitaire. Nous devons pouvoir leur offrir toute la protection nécessaire et prendre toutes les initiatives pour procéder à leur évacuation.» La ministre est également favorable, comme le Délégué général aux droits de l’enfant, et dans l’intérêt supérieur de l’enfant, au rapatriement des mères afin d’éviter des traumatismes ultérieurs pour ces enfants dont la plupart ont moins de 5 ans. «Celles-ci devront, bien entendu, répondre de leurs actes devant la justice belge. Si cette opération est menée à bien, les services de l’Enfance apporteront leur soutien aux services de l’Aide à la jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui ont d’ores et déjà manifesté leur disponibilité à accueillir les enfants rapatriés».

Un enseignement francophone coûteux et peu performant

Jean-Paul Lambert, ancien recteur de l’Université Saint-Louis et expert des systèmes d’enseignement, a comparé les caractéristiques structurelles des systèmes éducatifs de 28 pays de l’OCDE (dont 24 européens parmi lesquels le système belge francophone et le belge néerlandophone). Pour chaque modèle, il a appliqué des indicateurs de performances mesurant à la fois l’efficacité (la capacité d’amener chacun à son meilleur potentiel) et l’équité des différents modèles (capacité à offrir à chaque élève, quel que soit le statut socio-économique et culturel de sa famille, des chances égales de réussite). Selon le chercheur, «Le système éducatif belge francophone (qui fait partie du modèle continental regroupant les Pays-Bas, la FWB, la Communauté flamande, la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Slovénie) est à la fois très peu performant… tout en étant très coûteux». Quelques problèmes précis sont mis à jour: - un taux de retard de 46% à 15 ans alors que la moyenne dans ce modèle est à 25%; la «Communauté française peut être qualifiée de ‘championne hors catégorie de l’OCDE’ en matière de redoublement»; - un «niveau moyen des élèves très faible et, par voie de conséquence, une part d’élèves faibles très élevée et une part d’élèves forts très réduite»; - pour ce qui est de l’indicateur d’équité, la FWB affiche la deuxième performance la plus mauvaise (juste après la France) parmi tous les pays riches examinés dans cette étude[2].

 

[1] Des partis veulent allonger le congé de paternité, Pascal Lorent dans Le Soir du 11 octobre 2019. [2] Rapport qualité-prix de l’enseignement obligatoire: la Fédération Wallonie-Bruxelles en queue de peloton, Eric Burgraff pour Le Soir, 2/10/2019.

nov 2019

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