Le mouvement citoyen pour le climat a fait changer l’agenda politique

Mercredi 6 novembre 2019

 
Le monde politique est-il aveugle face à l’urgence climatique? Christophe Schoune a été secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie pendant dix ans. Il a pu constater l’absence de réaction voire même le «déni» des acteurs et actrices
politiques face aux atteintes à l’environnement. La mobilisation citoyenne a fait bouger les lignes mais pas encore assez.

Éduquer: Urgence climatique. La jeune activiste Greta Thunberg n’est plus seule à utiliser ce terme pour tenter de secouer les décideur·euse·s politiques face aux conséquences du réchauffement climatique. Au début du mois d’octobre, un millier de médecins belges ont rédigé une lettre ouverte qui dénonce les graves atteintes à la santé que provoque la hausse des températures dans nos régions: choc thermique avec plus de sept cents décès «imprévus» au cours de cet été, apparition de maladies tropicales. On est dans une phase d’urgence sanitaire disent ces médecins qui dénoncent l’absence de réaction politique face à un problème annoncé mais sous-estimé…

Christophe Schoune: Ces médecins ont raison. Sur le site climat.be, qui est un site fédéral d’information sur le changement climatique, on évalue les actions que doit mener notre pays dans le cadre du plan 2017-2020. Pour la santé, on est dans le rouge. Tout ce qui aurait dû être mis en œuvre ne l’a pas été. Lors des premières canicules en 2003, le climatologue Jean-Pascal Van Ypersele avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Je constate qu’aujourd’hui toute une série d’acteurs, en dehors des ONG, commencent à se préoccuper des changements climatiques et à s’exprimer à ce sujet. Les pouvoirs publics devraient prendre la responsabilité d’organiser et de piloter un processus à la «Grenelle» qui inclue toutes les parties de la société qui ont un rôle à jouer. Je pense au monde de la culture, de l’enseignement, de la santé. Les enjeux climatiques exigent de la transversalité.

Éduquer: Vous avez été à la tête d’Inter-Environnement Wallonie (IEW) jusqu’au début de cette année 2019. Quel bilan tirez-vous? Qu’estce qui vous a interpellé le plus pendant ces dix années?

C.S.: Ce qui m’a le plus inquiété, c’est de constater que le niveau d’alerte émis par les scientifiques était maximal non pas depuis dix mais bien depuis 30, 40 ans, que les signaux se sont répétés, ont été confirmés par les rapports du GIEC et que les réponses n’ont jamais été à la hauteur des enjeux. On était même dans une forme de déni politique.

Éduquer: Un exemple?

C.S.: La question du territoire. Cela fait des années qu’IEW alerte sur la nécessité de mettre un frein à l’artificialisation des sols par la construction de routes ou de zonings. On se heurtait chaque fois à des fins de non-recevoir, au nom de la croissance économique et de la supposée plus grande facilité de mobilité quand on construit des «chaînons manquants» autoroutiers. Il a fallu attendre fin 2018 pour que les premières décisions positives soient prises mais avec une perspective de concrétisation très éloignée. Un exemple concret, c’est le contournement de Liège, un dossier pour lequel IEW s’est battu parce qu’il crée des effets pervers sur le plan de l’habitabilité des centres ville en favorisant l’exode urbain et en augmentant les problèmes de mobilité. Nos arguments étaient totalement inaudibles jusqu’au moment où le gouvernement wallon actuel a décidé que ce projet ne se réalisera pas. Sur la question des aéroports en Wallonie, nos objections n’ont jamais été écoutées non plus.

Éduquer: Peut-on dire qu’on assiste aujourd’hui à un tournant tant sur le plan de la mobilisation citoyenne que de la prise de conscience des acteurs et actrices politiques?

C.S.: Au niveau de la mobilisation citoyenne, c’est évident. Au cours de mes dix années passées à Inter-Environnement Wallonie, je constate que pendant neuf ans, on a manifesté pour le climat en étant à deux ou trois mille personnes, parfois cinq mais globalement, on restait «entre nous». Il y a eu ce basculement fin 2018, début 2019 avec des manifestations de plus de 50 mille personnes. C’est devenu un mouvement social et cela a fait en sorte de changer l’agenda politique pendant la campagne électorale. Six mois ou un an auparavant, la question du changement climatique, les questions environnementales en général étaient dans les limbes.

Éduquer: Cela s’est-il traduit concrètement dans les programmes de gouvernement régionaux, les DPR (déclarations de politique régionale)?

C.S.: Oui, dans deux DPR sur trois. Les intentions sont très fortes à Bruxelles, un peu moins en Wallonie. Pas en Flandre. C’est en tout cas une première victoire de la société civile, importante pour moi car elle replace l’enjeu de la transition écologique au cœur des DPR et de l’action politique.

Éduquer: Pourrait-on revenir en arrière?

C.S.: Il pourrait y avoir des inflexions dans les actions des gouvernements dans un sens comme dans l’autre, en fonction des mouvements sociaux mais je pense que le mouvement social pour le climat ne va pas s’arrêter. D’ailleurs, on sent la tentation chez certains de radicaliser leur action. On le voit avec l’apparition d’Extinction Rebellion (qui a organisé l’occupation de la Place Royale à Bruxelles le 12 octobre NDLR). Les grandes ONG environnementales comme Greenpeace, WWF, IEW même la Coalition Climat se sont fait dépasser par ces mouvements plus spontanés. Cela montre que d’autres reprennent le flambeau qui était porté par la société civile organisée.

Éduquer: L’émergence de ces mouvements montre sans doute aussi une certaine impatience face à la lenteur de la réponse politique…

C.S.: La tentation de passer à des modes opératoires plus durs, voire violents, est un risque marginal, certes, mais c’est un risque face ce qui apparaît comme une absence de réaction de la part du politique. Je pense qu’il faut avancer de manière démocratique et pacifique et que les modes opératoires plus durs doivent être du registre de la désobéissance civile. Ce que fait Extinction Rebellion n’est pas nouveau. Il y a une quinzaine d’années, des militants allaient saccager les champs OGM mais c’est la ligne rouge évidemment…

Éduquer: Faut-il que les gouvernements soient plus «directifs» et prennent, en matière de climat, des décisions plus contraignantes et peu populaires?

C.S.: Une partie de ce mouvement réclame des mesures beaucoup plus radicales qui portent sur la fiscalité ou certaines interdictions. Elles ne se retrouvent pas dans les DPR or elles seraient sans doute nécessaires face à l’urgence environnementale. Peut-on encore accepter de laisser rouler des véhicules très polluants comme les SUV[1]? Si on juge à l’aune de l’urgence environnementale, la réponse est non. Mais on voit bien, notamment dans la DPR wallonne, que la fiscalité reste un tabou.

Éduquer: Vous êtes déçu par le programme wallon?

C.S.: ll y a de bonnes choses dans la DPR. Les objectifs pour 2030 en matière de développement durable ont été revus à la hausse, ils s’alignent sur les objectifs européens et sont ambitieux. Certains disent qu’il aurait fallu aller plus loin, atteindre les 80% de diminution des gaz à effet de serre au lieu de 55% ,de manière à arriver à la neutralité carbone pour 2050. Mais 55%, c’est déjà un effort considérable, qui sera très difficile à réaliser. Rien que sur le plan de la mobilité, cela signifie qu’il faut diminuer de 60% les émissions du transport routier. Deux bémols: le premier, c’est que les moyens financiers sont limités. Le second, plus important, a trait à l’économie. On évoque les emplois verts, l’économie circulaire mais on voit bien que ce n’est pas «porté», assumé par le ministre compétent. L’économie est pourtant au cœur de la transition écologique, c’est le modèle productiviste qu’il faut faire évoluer.

Éduquer: La mobilisation citoyenne en faveur du climat a trouvé peu d’écho dans les partis flamands. Et cela posera un problème au niveau du gouvernement fédéral. Quid de la position de la Belgique au niveau international?

C.S.: C’est très préoccupant en effet. C’est le ministre fédéral qui doit défendre les positions des Régions et du gouvernement fédéral auprès de l’Union européenne et lors des COP sur le climat. Cela augure de fortes tensions au niveau des Régions pour arriver à une position de consensus. Actuellement, il y a trois Etats qui sont réfractaires aux objectifs de la nouvelle «feuille de route» fixée par l’Union européenne en matière de gaz à effets de serre (diminuer de 40% par rapport aux années 90 NDLR). Et la Belgique en fait partie avec la Pologne et la Hongrie. La Belgique qui était à l’avant-plan du combat climatique il y a une vingtaine d’années est désormais montrée du doigt. Si on ne parvient pas à avoir un plan national pour le climat, je crains que tous les lobbys économiques qui ne veulent pas avancer, ne trouvent des arguments pour ne rien faire. Et ce serait désastreux. [1] Un SUV (abréviation de l’anglais sport utility vehicle) est un véhicule bicorps, pouvant posséder des capacités tout-terrain ou de remorquage. Ils émettent davantage de gaz à effet de serre que les automobiles lorsqu’ils sont propulsés par un moteur thermique ou hybride.

Martine Vandemeulebroucke, journaliste


Quelques chiffres

Dans son rapport de 2018, les constats du GIEC sont les suivants:

  • le climat mondial s’est déjà réchauffé d’un degré environ en moyenne par rapport à l’ère préindustrielle;
  • il est encore possible de limiter cette hausse à 1,5°C et de limiter les dégâts pour les humains et leur environnement. Mais cela nécessite des transformations radicales dans tous les secteurs de la société et dans le monde entier;
  • chaque demi-degré compte. Les impacts attendus du réchauffement sont multiples: recrudescence et intensification des événements climatiques extrêmes, hausse du niveau des mers, fonte des glaces, raréfaction des ressources en eau, diminution de la production agricole, accentuation des menaces sur la biodiversité terrestre et marine, atteintes à la santé, pertes économiques, accroissement de la pauvreté. Mais ses impacts seront bien plus importants et coûteux si la température moyenne augmente de 2°C;
  • la rapidité avec laquelle les politiques publiques doivent être mises en œuvre est essentielle pour atteindre cet objectif si on ne veut pas imposer aux générations futures la mise en œuvre de techniques d’extraction du CO2 atmosphérique coûteuses, risquées et potentiellement dangereuses;
  • respecter l’objectif de 1,5 °C sera moins coûteux à long terme qu’une augmentation de 2 °C; - au rythme actuel, le réchauffement climatique pourrait atteindre 1,5 °C dès 2040 (entre 2030 et 2052)

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