Intégration versus inclusion: deux approches très différentes!

Lundi 6 mai 2019

La logique intégrative actuelle discrimine les élèves, met en difficulté les parents et épuise les enseignant·e·s. Avec une inclusion pensée et organisée, tou·t·e·s les membres de la communauté éducative, incluant les élèves et les parents, auront un rôle essentiel à jouer.

Dès 1970, année de création de l’enseignement spécialisé comme structure autonome, le législateur avait prévu que certains élèves ne pourraient voir leurs besoins éducatifs complètement rencontrés dans cette seule structure et avait prévu pour eux, une possibilité de les intégrer dans l’enseignement ordinaire, à temps partiel ou complet, avec un soutien venant de la structure spécialisée. Jusqu’en 2009, cette disposition a été relativement peu utilisée (moins de 200 élèves) et a bénéficié essentiellement à des élèves présentant une déficience sensorielle (cécité, surdité) et à des élèves présentant une déficience motrice ou neuro-motrice. En 2009, la Belgique ratifie la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées et les Communautés s’engagent à développer à terme un enseignement inclusif. Cette année-là, le législateur lève une série d’obstacles à la collaboration entre enseignement spécialisé et enseignement ordinaire et autorise l’intégration de tout élève relevant de l’enseignement spécialisé dans une classe d’enseignement ordinaire. Ainsi, les élèves vont pouvoir être comptabilisés dans les deux structures selon diverses modalités administratives. Cette disposition permet aujourd’hui à 5 300 élèves, dits à besoins spécifiques des trois niveaux d’enseignement, de fréquenter l’enseignement ordinaire avec un soutien d’un personnel de l’école spécialisée. Fin 2017, la Fédération Wallonie-Bruxelles vote un Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques. Ce Décret consacre le droit, pour tout élève, d’être accueilli en enseignement ordinaire tout en bénéficiant d’aménagements raisonnables matériels, organisationnels ou pédagogiques appropriés. Ce Décret, souvent appelé «décret aménagements raisonnables» ne fait que répondre aux obligations contenues dans la Convention des Nations-Unies... tout en mainte-nant une confusion entre intégration et inclusion.

Le problème du cas par cas

L’approche qui prévaut à tous les niveaux d’enseignement – maternel, primaire, secondaire, supérieur et enseignement de promotion sociale – est celle de la reconnaissance d’un trouble, d’un déficit, d’une situation de handicap via un diagnostic établi par une équipe pluridisciplinaire. C’est cette reconnaissance qui ouvre le droit à des aménagements pour l’élève qui acquiert le statut «d’élève à besoins spécifiques».[1] Cette vision consacre une approche en termes de déficit et pourrait avoir pour conséquence, notamment, de conduire l’enseignant·e titulaire d’une classe d’enseignement ordinaire, à se penser incompétent car non spécialisé pour s’occuper de ces «cas» particuliers. Cependant, contraintes d’accueillir ces élèves à besoins spécifiques, sous peine d’être considérées comme discriminantes et contrevenir ainsi à la loi anti-discriminations, les écoles tentent de faire face en réclamant des ressources spécialisées et en imaginant des stratégies particulières pour l’élève concerné. Certes, on peut voir dans cette approche une volonté de répondre au mieux aux besoins éducatifs de l’élève en situation de handicap. Cette approche ouvre à une collaboration avec des intervenant·e·s exté-rieur·e·s à la classe, à l’école. Elle crée potentiellement des opportunités pour vivre en classe divers aspects liés aux différences entre élèves. Cependant, cette logique intégrative concerne aujourd’hui essentiellement des élèves (plus de 6 enfants sur dix) ayant des «troubles spécifiques d’apprentissage» (TSA) ou plus communément appelés des «élèves avec dys» faisant référence aux troubles tels que la dyslexie, la dyscalculie, la dyspraxie, les troubles de l’attention... Ainsi, par exemple, les élèves présentant une déficience intellectuelle sont encore très peu concernés. Dans le Décret de 2009, il est d’ailleurs précisé que «les aménagements d’ordre pédagogique ne remettent pas en cause les objectifs d’apprentissage définis par les référents interréseaux de compétences». Il devient dès lors difficile d’envisager des parcours différenciés pour des élèves ne pouvant répondre à temps et heure aux exigences de performance de ces référentiels. La vision médicalisée et/ou psychologisante du handicap conduit à confondre la personne avec sa déficience, la déficience avec ses besoins, ses besoins avec des interventions spécialisées en tout genre comme autant de «solutions». Et surtout la logique intégrative, adoptant une approche au cas par cas, conduit peu à peu les enseignant·e·s à un épuisement.

Se centrer sur les compétences de chacun·e

Quelques équipes éducatives, dans des écoles à pédagogie active mais aussi dans des écoles à pédagogie plus classique, l’ont compris et recherchent aujourd’hui de nouvelles formes d’organisation et de mise en place d’un projet pédagogique plus ouvert sur la diversité. Si ces écoles ne peuvent pas encore se qualifier d’écoles inclusives, elles en prennent tout doucement le chemin. Approche intégrative:

  • Un élève en particulier est objet de préoccupation et on envisage la possibilité d’une intégration en milieu ordinaire
  • On est axé sur les déficits et les problèmes d’une élève
  • On évalue, on fait un diagnostic, on fait des prescriptions, on stigmatise un élève
  • On met en place des aménagements raison-nables pour l’élève y ayant droit
  • On fait appel à des soutiens spécialisés et à de la remédiation pour résoudre les problèmes
  • On négocie l’accueil de l’élève à besoins spécifiques et, le cas échéant, on réoriente l’élève
  • Modèle défectologique intégrateur

Approche inclusive: 

  • On s’intéresse à tous les élèves, on est centré sur la classe et on affirme le droit de tous à une éducation de qualité en milieu ordinaire
  • On est axé sur les compétences de chacun, dans le respect de la diversité
  • On est axé à la fois sur les facteurs favorisant l’apprentissage chez tous les élèves et sur les stratégies mises en place par les enseignants
  • On pense à des adaptations bénéficiant à tous les élèves, sans stigmatisation et en respectant le principe d’équité
  • On réfléchit ensemble et on résout les problèmes en collaboration en faisant appel si nécessaire à des ressources externes
  • On cherche d’abord des solutions au sein de la communauté scolaire, on cherche à lever les obstacles et on met en place des dispositifs préventifs
  • Modèle interactionniste ou écologique

Dans l’approche inclusive, il ne s’agit plus d’être centré sur un élève en particulier mais sur les besoins de l’ensemble des élèves de la classe ainsi que sur les besoins tant des professionnel·le·s que des parents. Il ne s’agit plus de se concentrer sur les déficits, les «manques» de l’élève mais bien sur ses compétences (ce qu’il est capable de faire) et de s’interroger sur les facteurs qui vont permettre les apprentissages chez tous les élèves. Il s’agit de se demander ce qui, dans un environnement donné, doit être adapté au bénéfice de tous et toutes (tel aménagement matériel, telle approche pédagogique sont pensés de telle manière à répondre aux besoins de chacun·e). Une conception universelle des apprentissages, basée sur les connaissances acquises par les neurosciences (comment notre cerveau fonctionne, comment un élève apprend), conduit à mettre en place les approches pédagogiques. Le concept d’inclusion dans le domaine de l’éducation a comme principale référence la Déclaration Mondiale d’Éducation pour Tous en 1990. L’inclusion a été évoquée pour la première fois lors d’une conférence de l’Unesco à Salamanque en 1994. Ce n’est plus à l’individu à s’adapter tant bien que mal aux normes et standards de l’enseignement mais c’est au système classe et école à se construire de telle manière à pouvoir composer avec toute différence individuelle. Il s’agit donc d’un point de vue radicalement opposé à l’approche intégrative. L’enfant n’est plus stigmatisé. Les difficultés qu’il rencontre dans ses apprentissages rejoignent les difficultés que d’autres élèves non étiquetés «déficients» peuvent aussi rencontrer à des niveaux et des intensi-tés divers. De plus, les difficultés des enfants font écho aux difficultés de l’enseignant·e à mettre en place des stratégies adéquates. L’adoption d’une vision centrée sur une série de questions posées dans l’environnement social de l’élève est indispensable. Ainsi, plutôt que de présenter une matière uniquement sous la forme d’un exposé oral, on va également proposer d’autres modes (texte, dessin, image, vidéo...), clarifier le vocabulaire utilisé et illustrer les contenus; plutôt que d’obliger un élève à répondre uniquement par écrit lors d’une évaluation, on va permettre d’autres moyens d’expression (oral, dessin, recours à des technologies...) et on va le soutenir dans la planification de ses activités et la gestion des ressources à sa disposition; plutôt que de placer dans des contraintes de temps et de performances standardisées, on va favoriser le choix et la responsabilité individuelle, clarifier les objectifs à atteindre, maintenir l’intérêt et la motivation de l’apprenant·e. Utopique tout cela? Non, plus aujourd’hui car de nombreux exemples existent de par le monde et en Belgique aussi. Cela suppose un réel travail de réflexion, d’organisation, de préparation et de résolution de situations problématiques. Cela suppose de prévenir des difficultés plutôt que d’attendre qu’elles se présentent. Ce travail doit être le fait non seulement des professionnel·le·s mais aussi de tout·e·s les membres de la communauté éducative, incluant les élèves eux-mêmes et les parents.

Jean-Jacques Detraux, Président du CEFES (Centre d’Étude et de Formation pour l’Éducation Spécialisée) et psychopédagogue  

[1] Ce terme de “besoin spécifique” n’a aucun fondement scientifique. Le simple bon sens nous indique d’ailleurs que n’importe qui peut avoir des besoins spécifiques à un moment ou l’autre dans sa vie. Le Décret de 2017 fait un lien direct entre ce besoin spécifique et le trouble ou situation de handicap  

Le Centre d’Étude et de Formation pour l’Éducation Spécialisée et Inclusive - CEFES-In/ULB- (1981) a pour mission l’aide et le soutien de la personne en situation de handicap et de sa famille. Il a pour objectif principal le développement de liens entre les pratiques de terrain et le monde de la recherche scientifique. Cinq grands domaines d’activités sont poursuivis: la recherche appliquée et les expertises, la formation continuée des professionnel·le·s, la consultation clinique et le suivi d’enfants en intégration scolaire, le suivi d’étudiant·e·s à besoins spécifiques dans l’enseignement supérieur et la documentation. Au fil des années, le centre s’est de plus en plus spécialisé dans le développement de l’éducation inclusive et les principes universels de l’apprentissage. Le Centre s’est inscrit dans plusieurs projets européens et a rejoint des réseaux internationaux en matière d’éducation inclusive. Pour plus d’informations: www.cefes.be  


«La pédagogie de l’inclusion scolaire»

par Nadia Rousseau, Presses de l’Université du Québec, 2015. Accueillir tous les enfants dans la classe ordinaire, considérer avant tout ce qui les ras-semble plutôt que ce qui les distingue... voilà ce que met de l’avant cet ouvrage. Visant à contribuer à l’émergence d’une pratique pédagogique inclusive responsable, l’ouvrage nous permet aussi d’envisager les aménagements organisationnels et pédagogiques nécessaires à l’inclusion.

mai 2019

éduquer

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