La majorité PS-cdH est parvenue à faire passer l’allongement du tronc commun mais l’opposition ne suit pas. Le doute plane quant à l’avenir du Pacte après les élections du 26 mai.
La commission de l’Éducation au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles vient d’adopter le projet de décret instaurant un tronc commun à tous les élèves de Wallonie et de Bruxelles. Sa mise en place débutera dans le maternel, dès la rentrée 2020, et s’étalera progressivement aux autres années pour atteindre la 3e secondaire en 2028. Ce nouveau tronc commun modifie, comme son nom l’indique, la formation commune et l’allonge d’un an. L’objectif: mieux répondre aux enjeux du XXIe siècle. Pour ce faire, la grille horaire des cours ainsi que leurs contenus ont été réécrits et actualisés. Au Parlement, les député·e·s de la commission Éducation, sous pression, sont resté·e·s en action jusque tard dans la nuit du 24 avril. Après 18 heures de débat, elles/ils sont parvenu·e·s à faire passer ce projet de décret lié au Pacte et si cher à la majorité et à la ministre en charge, Marie-Martine Schyns (cdH): 8 voix pour (majorité PScdH), 3 contre du MR et une abstention de la député Barbara Trachte. Selon elle, «dans la réforme du tronc commun, il y a les germes de son propre échec», comme elle l’explique sur le plateau de BX1 le 25 avril. Il aurait fallu supprimer le CEB afin qu’il ne soit plus une épreuve certifiante qui casse la continuité du tronc commun. Un seul examen devrait avoir lieu à 15 ans, comme le souhaitaient les parents, les professeurs et les pédagogues, précise- t-elle. Dans les faits donc, le CEB reste un examen certificatif mais l’accès à la 1re secondaire est modifié: les enfants de 6e primaire qui ratent le CEB peuvent tout de même entrer en 1re secondaire. En revanche, ils ne réussiront leur 1re que s’ils réussissent le CEB. Le redoublement réapparaît donc entre la 1re et la 2e secondaire.
Le MR veut tout revoir
Les libéraux, eux, ont toujours été opposés à l’allongement du tronc commun. Le 23 avril dernier, lors du Conseil du MR, exclusivement consacré à l’enseignement, Charles Michel lui-même nuance et dit «vouloir rouvrir le débat sur le contenu du tronc commun. Son allongement accroît le risque de décrochage scolaire de la part de ceux qui n’aspirent qu’à rejoindre l’enseignement technique1». S’il venait à prendre les rennes en matière d’enseignement après les élections du 26 mai, le parti libéral entend revaloriser l’enseignement technique et professionnel et développer davantage l’enseignement en immersion entre la Wallonie et la Flandre. L’objectif serait de confier aux Régions un nouveau rôle en matière d’enseignement, celui de Pouvoir organisateur de toutes les écoles techniques et professionnelles, qui est supporté aujourd’hui soit par le réseau de la Fédération, soit par les communes et les Provinces. Le Pouvoir régulateur de l’enseignement technique et du professionnel resterait toutefois entre les mains de la Fédération Wallonie-Bruxelles selon les libéraux. Du côté des contenus et des nouveautés instaurées dans le tronc commun, on pointe l’introduction de pratiques de différenciation devant permettre à chacun·e d’évoluer à son rythme, par l’accompagnement personnalisé et les évaluations formatives. Une première langue moderne devra être enseignée à partir de la 3e primaire (2 heures/ semaine en Wallonie et 3h à Bruxelles) et une deuxième langue dès la 2e secondaire. Des disciplines artistiques et polytechniques seront aussi introduites dans les programmes, notamment le parcours culturel et artistique, proposition amendée par Ecolo et soutenue par la majorité. Ce tronc commun constitue l’un des deux grands piliers du Pacte pour un Enseignement d’excellence, l’autre étant la réforme de la gouvernance des écoles, initiée il y a quelques mois.
Vision managériale de l’école
En effet, les premiers décrets relatifs à la réforme de la gouvernance des écoles et permettant le lancement du Pacte ont déjà été votés au parlement. Les équipes pédagogiques au sein des établissements scolaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles commencent à en ressentir les effets. Quelques 900 écoles travaillent sur l’élaboration des plans de pilotage et de leurs objectifs. Concrètement, ce volet «bonne gouvernance» souhaite mettre en place dans chaque établissement, une meilleure adéquation entre ses besoins et ses objectifs pédagogiques. À la rentrée prochaine, ces écoles seront rejointes successivement par deux autres vagues d’établissements qui travailleront, à leur tour, à fédérer leurs équipes autour d’un contrat d’objectifs. Toutefois, «l’excellence» fait un peu peur, principalement aux directions d’établissements, déjà noyées dans les démarches administratives. L’aspect bureaucratique, la politisation de ce système et finalement la crainte d’un plus grand contrôle sur les écoles reste fort présente au niveau du terrain. Du côté de l’opposition parlementaire, les contrats d’objectifs et leurs indicateurs inquiètent particulièrement le groupe Ecolo qui y voit clairement l’intrusion d’une gestion managériale dans l’école. Pour Barbara Trachte, «c’est clairement du langage de boîte privée et pas d’école. En dépit des bonnes intentions du Pacte, ces décrets vont générer de la bureaucratie et renforcer le marché scolaire. D’autant plus que la majorité passe à côté de certaines missions prioritaires de l’enseignement en faisant le choix de quantifier les objectifs que doivent se fixer les écoles en termes de réussite plutôt qu’en les soutenant pour changer les pratiques et aller vers plus d’autonomie et d’émancipation».
Miser sur les tout-petits
Rappelons que le gouvernement actuel, avec le soutien de l’opposition, a déjà renforcé l’encadrement en maternelle depuis la rentrée 2019, en engageant près de 1.000 professionnel·le·s (dont des puéricultrices·teurs, des psychomotricien·ne·s et des logopèdes) et en améliorant le statut des personnes APE et ACS. Le 13 mars dernier, la ministre de l’Éducation a également fait passer un autre projet de décret qui concerne, en tous cas dans un premier temps, les plus petits. Ce projet vise à assurer une gratuité partielle et progressive de l’enseignement maternel en Fédération Wallonie-Bruxelles en faisant la clarté sur les frais facultatifs ou obligatoires. Le texte reste néanmoins incomplet car la question des temps de midi, dont on sait qu’ils pèsent lourd dans le portefeuille de nombreux parents, n’est pas prise en compte. De son côté le gouvernement fédéral a avancé sur une proposition de loi qui touche aussi les maternelles. Il s’agit de l’abaissement de l’obligation scolaire de 6 à 5 ans partout en Belgique. Elle entrera en vigueur dès la rentrée 2020. Nombre d’associations y voient une occasion de donner une extension plus grande au droit à l’enseignement et poursuivre l’objectif de l’accès à l’enseignement pour toutes et tous dès le plus jeune âge.
Enjeux post-élections
Après les élections, qu’adviendra-t-il du Pacte, et des autres projets en cours comme la réforme de la formation initiale des enseignant·e·s portée par le ministre Marcourt (PS)? Quelle entente ou mésentente à venir entre partenaires? Quelle assurance pour que le Pacte demeure, alors qu’il n’est pas vraiment un pacte à la base, l’opposition n’ayant jamais été consultée lors de son élaboration… Le jeu politique pourrait bien entacher des mois voire des années de travail parlementaire, d’autant plus que le cdH descend à moins de 5 % dans les intentions de vote à Bruxelles, et qu’au Parlement wallon, la majorité cdH-MR est très fragilisée depuis le départ du MR de Patricia Potigny.
Maud Baccichet, secteur communication
Illustration: Abdel de Bruxelles