Enseigner, Éduquer, «Bienveiller»: vers une société respectueuse
Mercredi 4 avril 2018
Les êtres humains ont un besoin «fonctionnel» de respect et de bienveillance. Les enfants et les adolescent.e.s, de part leur plasticité et leur fragilité inhérentes au développement, requièrent une attention toute particulière en la matière. L’École avec un grand E, lieu d’apprentissage et de vie répond-t-elle inconditionnellement à ce besoin? Regard sur le tabou autour des violences éducatives et institutionnelles en milieu scolaire...
Pourquoi parler de la violence institutionnelle dans le cadre scolaire est-il devenu une priorité absolue? Le point de départ? Je dirais que ce sont des constats en série,des questionnements et de la consternation. Entrer dans une école ne devrait jamais signifier être confronté à des cris, des menaces, de l’humiliation de la part de professionnels et responsables de jeunes enfants ou d’adolescent.e.s. À l’école,en aucun cas, un enfant ne devrait craindre la réaction d’un adulte. Les recherches actuelles sur le développement humain témoignent en nombre et avec de plus en plus de précision de l’importance fondamentale de la bienveillance (qui n’est pas l’opposé de l’exigence) sur l’apprentissage et le développement global du jeune.
Les constats sur le terrain
Au fil des années, les situations préoccupantes vécues ou observées par les étudiant.e.s lors de leurs stages se sont multipliées et additionnées aux constats réalisés directement lors de nos visites. Des cris à l’humiliation, en passant malheureusement par la brutalité des gestes, les négligences, le manque de soin accordé aux jeunes enfants («care» dans la littérature), les menaces. Autant de signaux d’alerte qui m’ont plongée dans des questionnements, des recherches théoriques, de la réflexion, et il faut le reconnaître, de la colère souvent, de la consternation, systématiquement. Aucun niveau d’enseignement ne me semble épargné, mais les formes de violences peuvent être différentes en fonction du niveau de développement des apprenant.e.s. Chez les plus jeunes, le manque de soin, d’intimité, de respect du corps revient régulièrement dans les rapports de stage. La brutalité des gestes également: empoigner par le bras, placer l’enfant brusquement sur une chaise, secouer. Le «cri» est tellement présent qu’il m’est arrivé de me demander s’il était devenu le mode de communication privilégié par les acteur. trice.s scolaires. Le sens de la punition est à questionner. La mise à l’écart a-t-elle sa place dans un lieu d’éducation? Quid des jugements posés sur l’enfant et sa famille qui engendrent parfois mépris et inégalités?
L’école ne peut pas voguer sur autant d’incohérence!
Doit-on esquiver? S’affranchir de ces réalités? Ne pas voir? Ne pas entendre? Comment imaginer réclamer des jeunes qu’ils deviennent des êtres capables de vivre ensemble, de se respecter eux-mêmes et les autres, de dialoguer, de faire preuve de compréhension et d’empathie, de pardonner, de partager, de comprendre et d’apprendre, en bref, de devenir des citoyens ouverts et bien avec eux-mêmes et le monde qui les entoure, si les adultes matures et responsables de les accompagner dans ce chemin qu’est le développement ne peuvent leur montrer la voie par leurs propres pratiques, leurs mots, leurs regards, leurs gestes, leurs actes… Aujourd’hui, parler de harcèlement scolaire, de violences à l’école signifie souvent envisager les formes de violence existant entre les jeunes, thématique absolument fondamentale à traiter, mais il me semble sensé, d’oser aborder les responsabilités des adultes, acteur.trice.s scolaires au quotidien.
Nommer la violence éducative ordinaire en milieu scolaire, la violence institutionnelle, c’est probablement approcher un tabou, une normalité qui ne devrait pas être.
Entrer dans une école ne devrait jamais signifier non plus, être face à un adulte qui, épuisé par les réalités de son travail perd le contrôle, qui, face à des classes surchargées, à un espace inapproprié, se voit contraint de prendre des décisions qu’il désapprouve fondamentalement, qui s’effondre par manque de communication, de soutien, d’écoute.
Comprendre les réalités des acteur.trice.s du système
Se pencher sur la violence institutionnelle implique d’envisager la responsabilité du système sur le professionnel au niveau de sa réalité, ses besoins, ses difficultés, ses souffrances. Nul intérêt à mépriser les réalités excessivement difficiles vécues par certain.e.s acteur.trice.s de l’école, qu’ils soient enseignant.e.s, directions, puéricultrices, accueillant.e.s ou parents. Nous cernons assez clairement les difficultés croissantes de notre système d’enseignement à assumer la situation démographique urbaine actuelle et à venir, l’éclectisme des populations scolaires et des situations familiales des élèves, le manque ou l’absence de maîtrise de la langue d’enseignement, la pénurie d’infrastructures adaptées, le manque criant de personnel formé… Au sein de la formation initiale des enseignant.e.s, le défi est multiple. Il s’agit de permettre une prise de conscience de ces violences et de leurs répercussions sur l’élève et sa famille, mais aussi sur les professionnel.le.s eux/elles-mêmes. Permettre de les regarder droit dans les yeux, de les nommer, de les comprendre dans toutes leurs formes pour mieux les éviter. Investir la qualité des relations éducatives, les risques du système. Étudier donc, mais aussi, de mon point de vue, replacer le corps, le tonus, les émotions au centre d’un travail qui envisage l’humain dans on fonctionnement, dans ses modes de communication: «Que se passe-t-il en moi quand je n’en peux plus?», «Quels sont mes signes corporels avant un passage à l’acte verbal ou physique?», «Quel choix ai-je?», «Quel est le rôle du regard, de la posture, du toucher respectueux et bienveillant dans la relation éducative?», «Que vais je développer pour me sentir plus serein.e, pour prendre soin de moi?», «Vers qui puis je me tourner quand j’ai besoin d’aide?», «Quel regard constructif puis-je avoir sur mes pratiques?»… À la lecture d’un entretien avec le médecin et auteur Martin Winckler, il m’est apparu avec une troublante clarté les parallèles entre le monde soignant et celui de l’éducation. Dès que, dans un cadre professionnel il s’agit de prendre soin de l’autre, prendre soin de soi, est une responsabilité à part entière. Car nul n’est infaillible, il faut l’entendre, le dire, l’encadrer.
Tous les acteur.trice.s de l’école sans exception ont intérêt, et je le dis très simplement,à se porter bien, à se porter mieux, car in fine ce sont les enfants, les adolescent.e.s qui en bénéficient.
Même si la démonstration peut paraître sommaire,la société devrait en ressortir grandie.
La société, tel est l’enjeu
Si des constats sont à l’origine d’une volonté de changement,nos préoccupations citoyennes et professionnelles se sont couplées pour aller vers une rupture avec le silence autour de cette thématique. Le monde éducatif, au sens large et dont nous faisons partie, doit pouvoir regarder avec honnêteté cette problématique, «re-prendre»conscience des réalités vécues par toutes et tous afin de construire un enseignement sain, bienveillant, performant,et égalitaire.
Céline Dandois, maître-assistante au sein de la formation initiale à caractère pédagogique
Céline Dandois (licenciée en éducation physique) est enseignante à Bruxelles depuis 16 ans. Actuellement maître-assistante au sein de la formation initiale des instituteur.trice.s préscolaires à la Haute École Francisco Ferrer, elle y enseigne, depuis 10 ans, des approches théoriques et pratiques de l’éducation psychomotrice.
Cerveau et empathie
Qui n’a pas vécu à l’école l’une ou l’autre humiliation de la part d’un.e enseignant.e? Pourtant, ces dernières années, nombre de travaux ont mis en exergue les liens entre bienveillance et réussite scolaire... Catherine Gueguen, pédiatre spécialisée dans le soutien à la parentalité, rappelle dans son dernier ouvrage «Heureux d’apprendre à l’école. Comment les neurosciences affectives et sociales peuvent changer l’éducation» (Les Arène/Robert Laffont, 2018) que l’empathie de l’enseignant.e modifie le cerveau affectif et intellectuel des enfants et favorise les capacités cognitives, telles que la compréhension, la mémoire, les apprentissages, la motivation et la créativité. La maltraitance, quant à elle, «fait perdre confiance aux enfants, qui se marginalisent du groupe, souffrent et ne veulent plus aller à l’école»1 . Pour la pédiatre, «une minorité ’adultes sont aujourd’hui naturellement empathiques» (puisque beaucoup ont eux-mêmes reçu humiliation physique et verbale à l’école). Il est donc nécessaire de former les enseignant.e.s, «l’empathie s’apprend (…) il est nécessaire de développer leurs compétences socio-émotionnelles, c’est-à-dire leur capacité à identifier les émotions qui les traversent, savoir les exprimer et les réguler, mais aussi de comprendre l’autre, l’écouter, coopérer, réagir aux situations conflictuelles» 2. 1. Sciences humaines, mars 2018, Entretien avec Catherine Gueguen, p8. 2. Idem.