Enseignant·e·s et élèves: comment ont-ils/elles vécu cette année?
Jeudi 18 mars 2021
Cela fait un an que la crise du covid a commencé, les élèves et leurs enseignant·e·s du secondaire sont passé·e·s par différentes phases. L’année scolaire se termine et la pression est forte. Pour la plupart: un retour en présentiel serait salvateur. Récits d’élèves et de profs.
On le sait, la crise n’a fait qu’aggraver des dysfonctionnements déjà préexistants. Le système scolaire belge est un des plus inégalitaires d’Europe. Comme le rapporte l’OCDE en 2018, 50 % des élèves provenant d’un milieu socio-économique désavantagé sont concentrés dans certaines écoles. Les infrastructures à disposition sont vétustes et peu adaptées à l’évolution de notre société (voir article suivant). Avec le coronavirus et les mesures sanitaires, les conditions d’accueil, tant pour les élèves que pour les enseignant·e·s se sont fortement dégradées. Dans certaines écoles plus que dans d’autres, la crise liée au covid aura fait beaucoup de dégâts. Stress, perte de sens, privation de libertés, décrochage, burn-out, explosion des consultations psy, etc. Trois enseignant·e·s et deux adolescent·e·s ont répondu à nos questions et nous racontent comment ils/elles ont vécu cette année.
Désorganisation et décrochage
Arnaud est professeur d’Histoire dans le qualifiant en 5e , 6e et 7e secondaire en Province de Namur. Depuis un an, il essaie de s’adapter tant bien que mal aux changements de règles souvent imposés dans l’urgence et sans réflexion collective: «Lors du premier confinement, la désorganisation était totale. Aucune des trois écoles dans lesquelles je travaillais ne disposait d’une plate-forme permettant le travail à distance. Pour certains professeurs, peu à l’aise avec l’informatique, on peut même parler, comme pour les élèves, de décrochage scolaire durant cette période». En mars 2020, Lucas a 17 ans. Il est en 4e année en architecture à Saint-Luc (Bruxelles). Son début de confinement, il l’a très mal vécu lui aussi, essentiellement pour des raisons d’organisation. «Outre les peurs que je pouvais avoir au sujet du covid, mes inquiétudes pour les membres de ma famille et cette solitude subie du jour au lendemain, j’ai trouvé que les professeurs n’étaient vraiment pas très communicatifs avec les élèves. Ils n’utilisaient pas tous les mêmes outils et les liens pour participer à des vidéoconférences se perdaient dans des mails. On s’est fait taxer de fainéants mais techniquement, ce n’était vraiment pas de notre faute.»
Inégalités entre élèves
En juin 2020, les cours reprennent presque normalement en maternelle et en primaire ainsi que pour les 1re et 2e secondaires. Pour Mina, élève en 2e secondaire à l’ACE «De l’autre côté de l’école», par chance, elle retourne à 100 % à l’école. «Au début du confinement, on s’est appelé tous les jours, puis plus du tout. C’était très compliqué ces contacts derrière un écran. Quand en juin on s’est retrouvés, la classe était divisée en deux et je n’étais avec aucune de mes amies. On a demandé aux professeurs de changer et ils ont fait des chouettes groupes». Pour les élèves des années supérieures, le retour ne se fera pas à 100 % pour tout le monde. Ici et là, on choisit les élèves qui retourneront à l’école en présentiel. Une option douloureusement vécue par les jeunes qui se sentiront délaissés. Pour Lucas, élève en 4e secondaire, il faudra attendre septembre pour retrouver les copains et les bancs de l’école. «C’est seulement les élèves en difficulté qui ont pu retourner quelques jours en juin. Pour moi, ça a vraiment été très compliqué. Cela faisait déjà trois mois que je suivais les règles, que je ne sortais plus, que je n’allais plus au basket... Mais là j’en pouvais plus. Le plus dur c’était de voir que tout le monde ne suivait pas forcément les règles. Ça me rendait fou.» En septembre, tout le monde réintègre les classes en code jaune. Certaines écoles organisent des formations au numérique pour leurs enseignant·e·s mais ce ne sera pas le cas partout. L’urgence est d’organiser le retour à 100 % en présentiel à l’école en ré - pondant aux mesures sanitaires: rappel des mesures comme le port du masque, mise en place de sens de circulation dans l’école et désinfection des classes. Le deuxième confinement surgit juste après les congés d’automne qui seront prolongés d’une semaine.
Rythmes scolaires et hybridation
Depuis les vacances d’automne et probablement jusqu’à Pâques, le code rouge est d’application avec un régime hybride d’enseignement, c’est-à-dire une alternance entre présentiel et distanciel. L’objectif: limiter le nombre d’élèves dans les bâtiments pour limiter les contaminations. Seulement, on constate que les écoles n’ont pas toutes mis en place le même système, ce qui entraîne différents types de difficultés: mesures sanitaires impossibles à respecter, organisation des cours perturbée, surcharge de travail, etc. Pour Armand, professeur de Philosophie et Citoyenneté aux élèves de la 1re à la 7 e secondaire, ne voir ses élèves qu’une semaine sur deux l’oblige à donner les mêmes cours deux semaines de suite pour que tout le monde ait vu la matière. «Le rythme scolaire imposé est très allongé, lent et lassant. J’ai la sensation de mal faire et de ne pas avancer et que les élèves de leur côté, ont du mal à s’investir. D’ici les vacances de printemps, il y a six semaines, ce qui signifie que je vais voir mes élèves trois heures. Trois périodes pour voir un chapitre, celui consacré aux discours et pièges du discours. Je vais faire ce que je peux, mais ce n’est vraiment pas satisfaisant». Dans l’école de Nathalie, enseignante à l’Athénée Royal de Visé, les élèves sont 30 par classe. «L’hybridation dans mon école, c’est cours un jour sur deux en groupe complet. En termes sanitaires, cela pose clairement question. D’autant que depuis la reprise à Toussaint, je n’ai pas eu un seul malade. Ils sont pourtant tous assis les uns à côté des autres, sans distanciation. Ils changent de place, circulent dans les couloirs à chaque intercours et se remélangent pour d’autres cours». Pour Mina qui est maintenant élève de 3 e dans une école Freinet, la formule de cours une semaine sur deux semble convenir. Une semaine en classe pour des nouvelles matières et une semaine à la maison, avec des travaux à réaliser seule ou en groupe. «C’est plutôt équilibré et cela me convient. Je peux même dire que j’ai appris à travailler à la mai - son grâce au covid».
Acceptation mais perte de sens
Partout le masque reste obligatoire pour toutes et tous, toute la journée. Pour Mina, c’est ce qui reste le plus difficile à gérer. «Ça rend certains de mes professeurs très en colère et stressés. Je parle des mesures d’hygiène. On est en classe tous ensemble, masqués pendant les cours. Puis à midi, on les retire pour manger. J’avoue ne pas trop comprendre non plus, mais comme tout le monde, je m’y suis habituée». Quand on demande à Mina comment elle vit cette fin d’année scolaire et qu’est ce qu’elle regrette de l’école d’avant covid, c’est surtout le manque de contacts avec l’extérieur qu’elle pointe. «Franchement, je m’en sors pas mal en distanciel. Je rends mes travaux à temps. Et en présentiel, ça va aussi. J’ai des baisses de motivation très régulièrement et je n’ai pas toujours envie de travailler. Ça dépend pour quel cours évidemment, mais ça, c’était déjà le cas avant! Par contre, ce qui me rend triste c’est qu’au niveau des sorties, je ne fais plus rien du tout depuis des mois. Même en sport, on ne peut pas aller courir dehors. Les profs de sport nous donnent cours et on fait des projets. On doit par exemple faire une recherche sur un sport puis préparer une présentation. Ils nous ont aussi demandé de télécharger une application sur laquelle on peut dire ce qu’on fait comme abdos à la maison. Ça n’a pas trop de sens mais je fais ce qu’on me demande et ça va».
Solidarités profs / élèves
Depuis la rentrée de septembre, Lucas est passé en 5e secondaire en Arts plastiques de qualification, toujours à Saint-Luc (Bruxelles). «Aujourd’hui, d’un point de vue organisationnel, les choses se passent généralement mieux pour moi mais je trouve quand même que les profs vont trop vite et expliquent mal. Personnellement, je suis repassé dans une filière plus générale où je me retrouve pour la première fois de ma vie avec des cours d’anglais. La prof donne des vidéoconférences, elle parle super vite, je ne comprends rien. Les cours de langues, ça doit se donner en classe, de manière ludique. On doit être à l’aise pour essayer de s’exprimer, se tromper et oser recommencer. Là, c’est n’importe quoi. On a trop de travaux, toujours écrits, en individuel et on est nombreux à galérer et à être démotivés. Ça se ressent beaucoup sur notre groupe Instagram. Habituellement, on se donne des tuyaux, on s’aide, là tout le monde ne fait que se plaindre, c’est assez désespérant. Moi je n’y vais plus, c’est déjà suffisamment difficile comme ça». Nathalie, professeur de Français en 5e et 6e secondaire à l’Athénée Royal de Visé, constate qu’elle est plus attentive aux vécus de ses élèves qu’elle ne l’était avant le covid. Elle a diminué les visioconférences qui lui prenaient beaucoup de temps et étaient très lentes en termes de dynamique de classe et peu motivantes, tant pour elle que pour les élèves. «On nous parle beaucoup de la détresse des jeunes et on la voit au quotidien, mais c’est une injonction paradoxale de nous dire qu’ils ne vont pas bien mais qu’il faut quand même qu’on les évalue. Je ne suis pas très à l’aise. Même s’ils font partie du système et attendent de nous qu’on leur donne des interros, j’essaie de modifier mes pratiques. C’est vrai que je les force à participer et à me montrer ce qu’ils ont fait pour les garder accrochés, parce que le temps est très long et très diffus pour eux pour le moment. Ça me pose question en termes d’autonomie du travail mais à la fois, je me dis qu’en ce moment, ils ont besoin d’être fort accompagnés. Je me rends compte que ces petits coups de sonde pour vérifier s’ils travaillent et s’ils comprennent la matière, je ne les avais pas autant avant. J’aimerais garder ça pour plus tard.»
Fin d’année: comment se projeter?
Les écoles sont en demande de formations et d’accompagnement aux outils numériques mais dans la plupart d’entre elles, rien n’a encore été organisé à ce jour. Plus encore que se former au numérique, enseignant·e·s et élèves attendent avec impatience un retour en présentiel à 100 %. «Les enseignants n’en peuvent plus de cette gestion de semaine en semaine cumulée à l’absence totale de perspective à long terme et aux décisions qui tombent à la dernière minute, explique Arnaud, professeur d’Histoire. L’espoir de reprendre les cours à 100% en présentiel a permis à beaucoup de ‘tenir’, mais on sait maintenant que le code rouge risque d’être maintenu jusqu’en avril minimum, ce qui en décourage beaucoup et entraîne une forme de lassitude. Au final, c’est la surcharge de travail dans la durée et sans échéance claire qui est difficile. Sans en minimiser les conséquences, beaucoup considèrent maintenant cette année scolaire comme ‘perdue’ et attendent avec impatience la rentrée prochaine pour repartir sur des bases correctes.» Pour Lucas, 18 ans, il faut une reprise de l’école à 100 % le plus rapidement possible tout en pointant aussi son besoin criant de soutien scolaire, et il appelle à la réouverture des écoles de devoirs. «On ne peut plus continuer à nous donner de la nouvelle matière à comprendre seul chez nous et nous surcharger de devoirs. Qu’on rouvre les écoles de devoirs au moins! Je suis très inquiet pour la suite. On nous dit que vu qu’on a subi cette année covid, les examens seront plus simples et que les professeurs seront moins durs dans leur cotation. Mais moi ce qui m’inquiète, c’est quand je devrai postuler pour des stages ou que je chercherai du boulot, je doute que les patrons soient moins exigeants parce qu’on sort du covid. J’ai acquis moins d’expérience et je sens que ça va être plus compliqué pour l’avenir» Pour Nathalie, il est temps de marquer un temps d’arrêt et de réfléchir. «Cette crise a mis le focus sur les difficultés à l’école. Si on pouvait encore le nier avant, aujourd’hui c’est une évidence: les élèves s’ennuient, sont démotivés et décrochent. On leur en demande beaucoup en termes de travaux alors que le rythme est cassé. On attend beaucoup d’eux alors que nous-mêmes enseignants, galérons à nous coordonner, à travailler en équipe et à utiliser tous ces nouveaux outils. Le problème, c’est qu’on n’a jamais le temps de réfléchir. C’est le moment de marquer un temps d’arrêt et d’apprendre nos leçons».
Maud Baccichet, secteur communication
Sommaire du dossier: Quelle école après la crise?