Et si la crise libérait notre audace à l’école?
Jeudi 18 mars 2021
La crise du covid a dévoilé des failles du système scolaire présentes depuis longtemps et bien connues par l’ensemble de ses actrices et acteurs.
Les mesures sanitaires imposées ont joué un rôle de révélateur super-puissant, pointant à la fois les dysfonctionnements de l’école et ses bienfaits. Elles ont également rappelé que sa mission première n’est pas uniquement la transmission des savoirs! Ceux-ci, que l’on a qualifiés spontanément d’essentiels, se sont révélés beaucoup plus accessoires, puisqu’il était possible de les acquérir seul·e. Par contre, être en relation, tisser des liens et les cultiver entre enfants, adolescent·e·s et avec les adultes, bref, faire société, est sans aucun doute une des fonctions primordiales de l’école. Le désarroi dans lequel ont été - et sont toujours - les enfants, adolescent·e·s et jeunes adultes empêché·e·s d’être à l’école continue à le prouver. Pendant cette pandémie, l’école s’est renforcée en tant que système profondément inégalitaire: évaluations, infrastructures, invasion dans les maisons.
La faute aux infrastructures?
Pendant la crise sanitaire, il nous a été demandé de réduire drastiquement nos contacts tout en restant en relation avec nos proches. Cette injonction paradoxale vient heurter les êtres sociaux que nous sommes. Et cela est d’autant plus vrai pour les enfants et les adolescent·e·s. Pourtant lorsque les écoles ont rouvert leurs portes, c’était l’opportunité pour les plus jeunes de renouer le contact avec leurs copains et copines, ce dont ils avaient réellement besoin. Les écoles «mammouth», produits d’un désinvestissement massif de plusieurs décennies, ont dû réorganiser leur fonctionnement pour permettre aux règles en vigueur d’être installées. Classes divisées, moitié du temps en distanciel, port du masque… autant de contraintes qui ont empêché les relations entre élèves, entre jeunes et adultes, entre adultes... déjà peu cultivées dans ces grands espaces. Il aurait été bien plus simple d’en prendre soin dans des structures à taille humaine. En effet, les avantages des petites structures sont nombreux et auraient permis des aménagements bien plus confortables pour leurs élèves et leurs enseignant·e·s en cette période difficile. Dans une école de 150 enfants accompagnés par une quinzaine d’adultes (enseignant·e, accueillant·e, direction, membres du personnel), chacun·e peut connaître chacun·e, l’appeler par son prénom, les relations entre les petit·e·s de maternelle et les préadolescent·e·s de 6e année peuvent exister… L’école devient alors un véritable lieu d’entraînement à la rencontre de soi et des autres à chaque moment. Dans une «petite» école, les laissé·e·s-pour-compte ont du mal à se faire oublier et ont la possibilité d’être vu·e·s par chacun·e mais aussi d’être accompagné·e·s par les adultes. Dans une école à taille humaine, l’équipe éducative peut plus facilement se mettre d’accord sur un projet pédagogique et agir ensemble de manière cohérente. Elle peut ensuite créer autour de tous les enfants, en difficulté ou pas, des alliances éducatives efficientes en tenant compte des besoins individuels et collectifs. L’école a donc la possibilité de devenir un lieu d’inclusion où chaque personne occupe une vraie place. Contrairement aux écoles «casernes» dans lesquelles chacun·e est parqué·e dans sa classe, son espace, où tout est cloisonné, cadenassé. Et où l’apprentissage de l’hétérogénéité, des différences, des relations est perdu. De nombreux vécus de terrain, d’études et de pédagogues[1] en ont témoigné. Il aurait été utile, en situation de pandémie, d’en tenir compte... Malheureusement, il y a des choix gestionnaires qui ne dévoilent leurs carences qu’au moment des coups durs… Et c’est alors bien difficile de combler l’écart!
Les enseignant·e·s plus que des profs de matières!
Au-delà de la taille des structures, la crise n’a cessé de nous démontrer que la relation de l’enseignant·e aux élèves est primordiale aux apprentissages et surtout au bien-être à l’école: être ensemble en présentiel est essentiel pour apprendre dans de bonnes conditions. Pourtant, cela ne suffit pas. Réduire l’école, les professeur·e·s et les élèves à la seule fonction de transmission nie tous les enjeux éducatifs forts et présents à chaque moment de la vie scolaire. Il est évident que tout enseignant·e doit maîtriser les savoirs qu’elle/il enseigne à ses élèves, mais ce métier est bien plus complexe et exige de celui ou celle qui l’exerce bien d’autres qualités. Ce sont ces mêmes qualités qui permettent aux enseignant·e·s d’être disponibles et présent·e·s, d’entretenir une vraie relation avec leurs élèves, même lorsque les cours se donnent à distance. Il est, notamment, fondamental qu’un·e professionnel·le soit pourvu·e d’empathie, lui permettant non pas de se mettre à la place des élèves, mais de tenter de comprendre leurs modes de fonctionnement, leurs besoins, leurs émotions, leurs difficultés. De cette manière, elle·il sera capable de les prendre en compte et de s’adapter à eux·elles. La confiance doit aussi être cultivée par l’enseignant·e, qu’elle soit dirigée vers soi ou vers les autres. Il s’agit pour l’adulte de déconstruire les préjugés qui habitent l’élève, les stéréotypes sur lesquels elle·il a construit sa pensée, ou encore les casseroles scolaires qu’il·elle traîne parfois depuis longtemps. Chaque élève, sans aucune distinction d’âge, de culture, de sexe, de convictions, de situation sociale est capable d’évolution[2] . Plus l’environnement offre de la confiance et de la bienveillance, plus les actrice·teur·s trouveront du sens à agir sur leur rapport au savoir. L’enseignant·e doit pouvoir prendre ses responsabilités de manière complète et globale. Elle·il doit être capable d’écouter et de prendre en compte la réalité des parents, de chercher à coller au mieux aux besoins de ses élèves, d’oser se remettre en question et d’accepter qu’il·elle aurait pu faire autrement. Si chaque maillon de l’école prenait ses responsabilités, avec force, audace et sans jugement, il n’y aurait plus de fautif·ve·s, mais uniquement des acteur·trice·s de changement. La coopération est capitale également. Elle vise à contribuer, «tout à la fois, au développement de chacun et à la solidarité entre tous»[3]. La coopération nécessite de donner une place à chaque individu au sein d’un collectif, et de permettre au groupe, enfants comme adultes, d’apprendre, ensemble, sans jugement ni compétition. Par contre si l’adulte n’en est pas convaincu·e et s’il ne vit pas la coopération au quotidien, elle·il ne peut pas l’exiger de la part de ses élèves. Enfin, le droit à l’erreur pour toutes et tous doit être un point d’attention porté par l’adulte. Pas simple pour les enseignant·e·s dans un système qui évalue et sélectionne. L’erreur, l’ignorance ou même l’incertitude sont vues comme des failles qu’il faut combler. L’école ne les accueille pas, elle les sanctionne. Pourtant, en acceptant le droit à l’erreur, pour eux·elles comme pour les autres, dans les faits au quotidien, une nouvelle liberté d’apprendre pourrait voir le jour et pourrait améliorer grandement nos rapports au savoir. Ces éléments doivent être développés et entraînés lors de la formation initiale et continuée des enseignant·e·s. Ainsi, elles·ils pourront y faire appel à tout moment de leur carrière, peu importe ce à quoi ils·elles sont confronté·e·s.
L’invasion de l’école dans nos maisons!
La crise sanitaire a, de la même façon, mis en évidence à quel point l’exportation de l’école dans la vie familiale renforce les inégalités. Or, même en dehors du temps de COVID, les devoirs prennent de la place dans la vie familiale, entre le repas, le bain et le coucher. Quelle place alors pour les apprentissages informels, les loisirs, le temps libre, le repos dans des journées déjà souvent bien remplies? Hors temps de crise, les journées de travail des parents sont longues et les routes souvent bouchées, rendant la tâche complexe et peu agréable pour les adultes comme pour les enfants. En confinement, il faut jongler entre le travail à domicile scolaire et professionnel, les tâches ménagères, tout en veillant à passer du temps de qualité en famille. Mais, dans une situation comme dans l’autre, les parents restent des parents et ne peuvent tenir le rôle des professionnel·le·s de l’éducation. L’école, en externalisant nombre de ses contraintes et attendus à la maison, empêche les enfants de profiter aussi de leur temps à domicile pour y vivre leur droit au loisir ou au repos, comme mentionné dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant - CIDE[4] . Bien sûr, l’éducation et l’enseignement sont aussi des droits fondamentaux reconnus par la Convention[5]; mais l’effectivité de l’ensemble des droits doit être visée et pas prioritairement ceux liés à l’instruction. Dans les faits, la pratique de travaux à domicile a comme effet de renforcer les inégalités entre les enfants: les parents doivent être suffisamment compétent·e·s, intéressé·e·s, averti·e·s, en maîtrise pour accompagner leurs enfants dans cette démarche, qui les impliquent inévitablement. Or ce n’est pas la réalité de toutes les familles. Si l’intention est de créer du lien entre la maison et l’école, alors il existe d’autres moyens et possibilités qu’il faut réfléchir au sein des équipes pédagogiques. La pandémie est une bonne occasion d’interroger le devoir et sa place au sein du cercle familial.
Groupe école des CEMÉA
Les CEMÉA, Centres d’entraînement aux Méthodes d’Éducation Active, c’est un engagement contre toutes les formes d’obscurantisme. C’est une lutte pour une société plus égalitaire, solidaire, engendrant progrès et changement social, fondée sur l’émancipation individuelle et collective, sur la mixité comme richesse, la justice, la curiosité de l’autre… Pour les CEMÉA, il n’y a qu’une éducation. Elle s’adresse à toutes et tous, elle est une et de tous les instants de la vie. Le groupe école des CEMÉA se donne comme objectif de réfléchir les évolutions nécessaires à l’institution scolaire, sous différents angles. Ce groupe défend l’idée que l’école doit s’affirmer comme véritable espace d’émancipation individuelle et collective en prenant soin de ses acteur·trice·s, enfants comme adultes.
En mars 2016, une formule cinglante marque un groupe de formateurs et de formatrices: les chroniques «Et si l’école...» voient le jour. Elles sont maintenant diffusées tous les mois. Un recueil de 22 de ces chroniques est paru en septembre 2020. Il est agrémenté de pistes concrètes. C’est à partir de 3 de ces chroniques que ce texte a été réalisé.
Pour en savoir plus
Rendez-vous sur www.cemea.be Pour vous abonner aux chroniques mensuelles gratuites, envoyez un mail à: ecole@cemea.be Pour commander l’ouvrage: www.cemea.be/Et-si-l-ecole-22-chroniques-pourchanger-l-education
[1] Philippe MEIRIEU, entretien avec les CEMÉA du 20 octobre 2020 (renvoi vers le site) [2] Bernard COLLOT, in http://education3.canalblog. com/archives/2020/03/18/38110111.html [3] Principe d’éducabilité cher à l’Éducation Nouvelle. [4] Philippe MEIRIEU, Petit dictionnaire de pédagogie. [5] Convention Internationale des Droits de l’Enfant, in www.humanium.org/fr/texte-integralconvention-internationale-relative-droitsenfant-1989