
L’adolescence est une période charnière où le rapport au corps et à l’alimentation prend une place cruciale, surtout chez les jeunes filles. Si la moitié des adolescentes belges de 13 à 15 ans se trouve en surpoids, cette perception souvent erronée peut mener à l’anorexie mentale, une maladie grave dont il est primordial de reconnaître les signes.
Une récente enquête de l’OMS1 révèle que 50% des adolescentes belges âgées de 13 à 15 ans se trouvent trop grosses. Cette perception, pourtant souvent éloignée de la réalité, est alarmante. Elle témoigne d’une insatisfaction corporelle importante et pose une question majeure: peut-elle mener à des troubles alimentaires graves tels que l’anorexie mentale?
Un regard biaisé sur le corps
Ce sentiment de «se trouver trop gros» touche 38% des jeunes, tous genres confondus, selon l’étude. Ce phénomène reflète une image corporelle négative, qui peut avoir des conséquences profondes sur le psychisme en construction de l’adolescent·e. Elle entraîne une faible estime de soi, une anxiété chronique, et elle augmente le risque de dépression.
Pour beaucoup, cette perception erronée pousse à adopter des comportements alimentaires restrictifs, souvent dans le but de correspondre aux idéaux irréalistes de minceur véhiculés par la société et les médias. Si la majorité des jeunes ne développent pas de troubles graves, une minorité entre malheureusement dans un engrenage qui peut les mener vers l’anorexie mentale.
Quelques chiffres pour mieux comprendre
Au moins une fois dans leur vie, 55% des femmes et 30% des hommes entreprennent un régime. Toutefois seule une minorité développe une anorexie mentale. En effet, environ 1% des jeunes femmes et 0,2 % des jeunes hommes sont touchés par ce trouble. Rappelons qu’il s’agit d’une maladie grave qui peut avoir de lourdes conséquences sur la santé mentale et physique.
Les personnes anorexiques peuvent subir des changements hormonaux, des troubles cardiaques, des déséquilibres électrolytiques, une baisse de la fertilité, une perte de densité osseuse (ostéoporose), de l’anémie et des idées suicidaires. Certains de ces effets peuvent être mortels. On estime qu’après cinq ans d’évolution, deux tiers des personnes atteintes guérissent. Malheureusement, pour 20% d’entre elles, le trouble devient chronique et la mortalité (par suicide ou par dénutrition) atteint 5 à 6%2
.
Qu’est-ce que l’anorexie mentale?
L’anorexie mentale, ou anorexie nerveuse, est un trouble du comportement alimentaire (TCA). Elle se caractérise par une restriction volontaire de l’alimentation, une perte de poids significative et souvent une peur intense de prendre du poids3
. Pour l’aborder, les spécialistes parlent régulièrement de la maladie des trois A: alimentation restreinte, soit une diminution draconienne des apports alimentaires; amaigrissement, soit une perte de poids rapide et significative (plus de 10% du poids corporel en quelques semaines); aménorrhée, soit un arrêt des règles provoqué par des changements hormonaux (chez les femmes).
À côté de ces symptômes principaux, la personne peut développer des comportements de purge (vomissements), d’hyperactivité physique pour augmenter sa dépense énergétique ou encore de prises de substances laxatives. Tous ces comportements ayant pour visée de réduire les apports ou d’augmenter les dépenses de calories jugées inutiles ou surnuméraires.
L’impact de la société: un poids sur les jeunes
L’anorexie mentale est ce qu’on appelle un trouble multifactoriel, qui résulte d’une interaction entre plusieurs éléments. On peut d’ailleurs aborder cette pathologie selon ses trois dimensions biopsychosociales. Il existe tout d’abord des facteurs biologiques au sein desquels la génétique joue un rôle certain; des antécédents familiaux de troubles alimentaires augmentent d’ailleurs les risques.
Ensuite bien sûr, nous pouvons pointer des facteurs psychologiques, les traits de personnalité comme le perfectionnisme ou le besoin de contrôle peuvent favoriser le développement de l’anorexie. En effet, quand on a le sentiment que tout nous échappe et que nous sommes dans l’impuissance, reprendre le contrôle de son alimentation, par la restriction, peut donner l’illusion d’avoir une certaine maîtrise de nos vies. Les événements traumatiques, comme des abus ou des deuils, sont également susceptibles d’être des déclencheurs ou des accélérateurs de la problématique.
Enfin, il existe des facteurs socioculturels. La pression pour être mince et correspondre à un idéal de beauté exerce en ce sens une influence délétère, particulièrement chez les jeunes. En effet, force est de constater, dans nos sociétés contemporaines, que la pression sociale pour être mince est omniprésente. Les adolescent·es, en quête d’identité propre, mais aussi d’inclusion dans le groupe, sont particulièrement vulnérables face aux modèles irréalistes véhiculés par les médias et les réseaux sociaux. Des images retouchées ou idéalisées façonnent des attentes inaccessibles, favorisant l’insatisfaction corporelle.
«L’anorexie mentale peut s’installer progressivement, de manière insidieuse, mais peut parfois être d’apparition brutale avec une perte de poids majeure et rapide.»
Reconnaître les signes: un rôle clé pour l’entourage
L’anorexie mentale peut s’installer progressivement, de manière insidieuse, mais peut parfois être d’apparition brutale avec une perte de poids majeure et rapide. Certains signes, en tant que parents, éducateurs ou éducatrices doivent nous alerter. Un changement dans l’alimentation: la personne mange beaucoup moins ou évite certains groupes alimentaires. On constate une perte de poids inexpliquée ou une augmentation de l’activité physique jusqu’à l’excès. La personne concernée développe une obsession pour le poids et les formes de son corps. Elle se trouve grosse malgré une maigreur évidente, c’est ce qu’on appelle dans notre jargon une dysmorphophobie. Elle va éviter des repas et des situations sociales impliquant de la nourriture et dénier toute sensation de faim.
Souvent, ces comportements ne sont pas tous présents simultanément mais ils ne doivent pas être ignorés. Ils doivent faire l’objet d’une interrogation ou d’une discussion franche mais apaisée avec la personne qui nous inquiète.
«L’entourage joue un rôle crucial dans la reconnaissance et la prise en charge de l’anorexie, surtout parce que le ou la jeune aura tendance à minimiser, dénier, cacher sa problématique.»
Comment réagir en tant que parent ou proche?
L’entourage joue un rôle crucial dans la reconnaissance et la prise en charge de l’anorexie, surtout parce que le ou la jeune aura tendance à minimiser, dénier, cacher sa problématique. Voici donc quatre recommandations de base, à adapter à chaque cas de figure et à sa propre expérience.
Premièrement, exprimez vos inquiétudes avec bienveillance. Abordez le sujet sans jugement, à un moment propice. Par exemple à table, quand on voit l’autre en peine avec son assiette, ou alors qu’on est en pleine dispute, ce ne sont pas des moments idéaux pour se lancer dans cette conversation. Préférez un moment calme pendant lequel vous pouvez exprimer votre souci, votre bienveillance et votre empathie. Vous pouvez dire par exemple: «Je m’inquiète pour toi parce que je t’aime et que je veux te voir en bonne santé.»
Deuxièmement, encouragez une prise en charge professionnelle. La personne concernée aura souvent du mal à demander de l’aide seule. Proposez de l’accompagner à un premier rendez-vous médical ou de soins psychologiques. Vous pouvez préparer ensemble ce qu’elle va dire ou les questions à poser. Il s’agit là d’être un soutien, sans être dans l’intrusion. Vous pouvez par exemple patienter dans la salle d’attente et vous mettre à disposition si besoin, au début ou à la fin de l’entretien. Ainsi, vous êtes proche sans l’être trop. L’équilibre n’est jamais facile à trouver mais il se construit en dialoguant avec la personne concernée.
Troisièmement, évitez les commentaires déplacés sur l’alimentation ou le corps. Les repas doivent rester des moments de détente. Inutile de commenter en permanence ce que la personne mange ou ne mange pas, au risque d’accentuer son mal-être et ses stratégies de masquage.
Enfin, proposez des activités alternatives. Invitez la personne à participer à des activités non centrées sur la nourriture ou le sport à outrance afin de se détendre et de partager de bons moments ensemble. Tout ne doit pas tourner autour de la problématique anorexique. Vous pouvez proposer une promenade, un cinéma ou des jeux de société par exemple.
Un message d’espoir
Si l’anorexie mentale est une maladie grave, il est possible de s’en sortir avec un accompagnement adapté. Les approches thérapeutiques combinent souvent une prise en charge médicale, psychothérapeutique et familiale. Une hospitalisation dans un service psychiatrique spécialisé sera régulièrement nécessaire, cela fait partie du trajet de soins.
Mais avant tout, rappelons-nous que l’adolescence est une période délicate où le regard sur soi peut être particulièrement cruel. Pour les jeunes, apprendre à accepter leur corps et à se détacher des idéaux de perfection est essentiel mais difficile. Cela passe aussi par une éducation collective pour promouvoir la diversité corporelle, le bodypositivisme, et pour réduire les stéréotypes.
Ensemble, en tant que parents, professionnel·les de l’éducation et société, nous pouvons apprendre à soutenir nos jeunes pour qu’ils grandissent avec une image de leur corps plus positive et bienveillante. Ce serait peut-être une des clés de prévention de ce trouble.