Pratiquer un langage inclusif et plus égalitaire

Jeudi 13 février 2025

Image représentant le langage inclusif, des personnes discutant de la langue
Muriel Durant, conteuse et formatrice

Le langage inclusif – autrement dit l’ensemble des moyens linguistiques visant à assurer une égalité de genre dans l'expression orale et écrite − suscite le débat, enflamme les discussions, voire déchaîne les passions. Au-delà des idées toutes faites du prêt-à-penser et des faux dilemmes1 , cette formation toute neuve, mais fruit d’une longue maturation, vous propose de défricher le terrain.

La formation Pratiquer le langage inclusif récemment proposée à la Ligue est destinée à toute personne a minima curieuse et intéressée. Vous jugez que le langage inclusif est une hérésie souillant la pureté de la langue française? Passez votre chemin, l'objectif étant ici d’offrir des clés afin de le pratiquer dans ses différentes modalités.

Dépassionner

Que l’on nomme ces pratiques langagières «langage inclusif», «écriture inclusive», langage «non sexiste» ou encore «non exclusif», de nombreuses personnes se déclarent contre sans vraiment les connaître, en les réduisant plus que souvent à l’utilisation du point médian (appelé parfois «point d’inclusion») et de certains néologismes («iels», «auditeurices», «lectaires», etc.). Les nombreuses autres modalités, s’appuyant sur les ressources traditionnelles du français, demeurent largement méconnues.

Passé ce premier constat, il est utile de se pencher sur l’histoire du français. En effet, la langue que nous parlons et écrivons aujourd’hui a subi pléthore d’interventions visant à la masculiniser… L'Académie Française2 a œuvré avec un zèle maniaque à cette entreprise. Le grammairien Nicolas Beauzée, membre de l’institution, résume bien ce qui en fut une des lignes de conduite, lui qui affirma sans complexe en 1767 que «le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle».

Signe marquant: la disparition progressive des noms féminins désignant des professions que certains lettrés estimaient être leur pré carré. Les femmes ne pouvaient être autrices, poétesses, philosophesses, médecines, professeuses ou encore peintresses. Un des grands combats3 féministes fut la réhabilitation des noms de métiers au féminin. L’historienne de la littérature et critique littéraire française Éliane Vennot le confirme: «Les problèmes que nous rencontrons avec le sexisme de la langue française ne relèvent pas de la langue elle-même, mais des interventions effectuées sur elle depuis le XVIIe siècle par des personnes qui s'opposent à l'égalité des sexes. Il ne s'agit pas tant de féminiser la langue que de mettre un terme à sa masculinisation.»

Après ce détour historique, passage par la psycholinguistique, afin de comprendre les implications d’une représentation du féminin dans nos cerveaux car «nombre d’expériences ont établi ce fait: qui parle au masculin pense aux hommes, qui entend masculin comprend homme»4 .

Outiller

Les outils du langage inclusif sont de deux ordres: de neutralisation − autrement dit, faire en sorte que le genre ne soit pas explicité − et de (re)féminisation − ajouter un terme féminin aux côtés d'un terme masculin. Oraux, écrits ou les deux, ils seront examinés et mis en pratique par des exercices lors de la formation

Le but de ce passage en revue systématique va au-delà du «documentaire». C’est bien la capacité d’agir des participant·es qui est en jeu: s’emparer des stratégies leur permettra de sélectionner les plus adaptées à leur pratique personnelle ou professionnelle.  

Politiser

Le langage nous permet d’appréhender le monde, de le nommer. Il influence la pensée . Nous l’envisageons instinctivement comme une donnée neutre, alors qu’il est éminemment politique. Ainsi que l’affirme la chercheuse Julie Abbou, «les grammaires sont écrites par des grammairiens qui défendent des positions idéologiques, des lectures du monde et une volonté d'énoncer le monde tel qu'ils voudraient qu'il soit. En l'occurrence, une volonté de naturaliser les catégories de genres, un tour de passe-passe qui consiste à faire croire que les catégories hommes et femmes seraient tellement naturelles qu'elles se transposeraient directement à la grammaire, et en même temps que la grammaire n'aurait rien à voir avec la société. Une telle obstination à affirmer et à réaffirmer cette position à travers les siècles nous montre à quel point la grammaire est politique5 ».

Indissociables de cette thématique, la réflexion sur la langue et ses normes, une place à la discussion, voire au débat. Indissociables et indispensables, dans le contexte actuel, où les blâmes, voire les attaques à l’encontre d’une pratique inclusive ou féministe du langage – souvent peu argumentées et se focalisant sur le point médian et les néologismes comme évoqué plus haut – se multiplient.

Toutefois, comme le fait remarquer Julie Abbou, «les propositions de loi contre l'écriture inclusive (…) n'ont pas vraiment vocation à avoir force de loi, elles n'ont pas véritablement d'objet. Elles sont avant tout des déclarations de positionnement idéologique (…) L'État est loin d'être le mieux placé pour décider ce que doit être le langage, on serait bien en peine d'imaginer comment appliquer concrètement l'interdiction de faire “ressortir l'existence d'une forme féminine” à l'écrit.»

Place donc à la réflexion sur le langage comme outil de domination, sur les rapports entre langage et pouvoir, aux interrogations sur les normes et la marge de liberté possible face à celles-ci. Jusqu’à quel point peut-on jouer avec elles tout en restant compréhensible? Qui s’autorisera à s’en éloigner? Car «pour se permettre de jouer avec les normes, il faut d’abord que ces normes soient comprises et identifiées6 ». Ce pas de deux ne serait-il pas réservé aux personnes dotées d’un capital culturel et économique élevé? Et puis, instaurer de nouvelles normes, codifier le langage inclusif ne ferait-il pas courir le risque de le dépolitiser et de le marchandiser? Comment pratiquer une langue inclusive qui soit im·pertinente?

Ces deux journées de formation se veulent donc un espace de transmission et de partage. Le sujet est passionnant, foisonnant, propice à la discussion… et à la (dé)libération!

 

  • 1Toutes choses qui seront explicitées au cours des deux journées de formation.
  • 2Fondée en 1635, avec pour mission la «défense de la langue française».
  • 3Le mot «combat» est choisi à dessein, car il y eut lutte et opposition.
  • 4VIENNOT Eliane, Le langage inclusif: pourquoi, comment. Petit précis historique et pratique, Editions iXe, 2018, p. 82.
  • 5Voir notamment à ce sujet L'influence du langage sur notre pensée de Pascal Gygax sur https://www.youtube.com/watch?v=nUPq23pJxVs. Pour approfondir: GYGAX Pascal, ZUFFEREY Sandrine et GABRIEL Ute, Le cerveau pense-t-il au masculin? Cerveau, langage et représentations sexistes, Le Robert, coll. Temps de parole, 2021.
  • 6CANDRÉA Maria et VÉRON Laélia. Parler comme jamais. La langue: ce qu’on croit et ce qu’on en sait, Le Robert, 2021, p. 182.

Trouvez l’accord de proximité caché dans le texte

L’accord de proximité – une des stratégies pour un langage inclusif − est un accord grammatical consistant à accorder l’adjectif avec le plus proche des noms qu’il qualifie. Exemple: «Nous apprécions les chants et danses bretonnes».

Formation à la Ligue : Pratiquer un langage inclusif

Image représentant le langage inclusif

Pourquoi? Comment? Il y a matière à réflexion! Le langage inclusif suscite le débat et questionne notre rapport à la langue et au genre. Mais en quoi consiste-t-il exactement? Se réduit-il au point médian ou s’agit-il d’une pratique langagière plus subtile, plus diverse et plus inventive? Pourquoi et comment le pratiquer? À l’écrit seulement ou également dans notre expression orale?

Voici deux journées pour vous constituer un trousseau de clés qui permettra d’ouvrir vos portes préférées vers une langue plus inclusive et égalitaire.
Formation de deux jours les 3 et 10 juin 2025. 

Plus d’infos: https://ligue-enseignement.be/formations/pratiquer-un-langage-inclusif-pourquoi-comment-il-y-matiere-reflexion

Couverture de la revue Eduquer n°192 - Les règles, un tabou menstuel

Mar 2025

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