A comme Artichaut, E comme Eclair au chocolat: le Nutri-Score à la loupe
Jeudi 20 février 2025

Presque tout le monde connaît le Nutri-Score, à l’exception peut-être de certaines personnes qui s’approvisionnent sans avoir recours aux magasins et supermarchés. Ce système de logo propose une cotation de la qualité nutritionnelle d’un produit alimentaire afin d’encourager une consommation bénéfique pour la santé.
Entre deux extrêmes que sont le brocolis frais (très bon, A vert foncé) et la barre chocolatée industrielle (très mauvais, E orange foncé), le Nutri-Score notera par exemple des céréales de petit-déjeuner B, un jus d’orange C, du beurre D, etc. Ce système d’étiquetage nutritionnel a été proposé par une équipe de recherche et adopté en 2016 par le gouvernement français, puis par d’autres pays, notamment la Belgique en 2018. Même s’il n’est pas obligatoire, il est apposé sur les emballages par de nombreuses marques.
Les trois Cavaliers de l'Apocalypse
Dans un monde où on meurt plus d’excès que de manque de nourriture, les trois grands ennemis de la santé dans le domaine alimentaire sont – après l’alcool – le fameux trio sucre1
-sel-graisses (et en particulier graisses saturées), consommés en trop grande quantité. Ces trois «Cavaliers de l’Apocalypse» causent un grand nombre de décès prématurés, car ils augmentent la probabilité de survenue de certaines maladies non transmissibles. Ainsi, l’excès de sel favorise l’hypertension et donc les maladies cardiovasculaires; l’excès de sucre augmente le risque de surpoids, d’obésité et de maladies associées (notamment diabète, maladies cardiovasculaires et certains cancers), sans parler de la carie dentaire2
. Quant aux graisses saturées, elles sont également associées au risque cardiovasculaire3
.
Le but du Nutri-Score est donc de nous prévenir de la présence dans un produit alimentaire d’un ou plusieurs parmi les trois Cavaliers. Mais il tient également compte, dans une moindre mesure, de celle de «Cavaliers blancs» (fruits et légumes, fibres, protéines), qui peuvent partiellement contrebalancer la mauvaise note donnée par les trois premiers. En proposant en une seule lettre colorée une sorte de synthèse de l’étiquette des informations nutritionnelles, le Nutri-Score nous permet donc de nous faire une idée de la valeur d’un aliment pour notre santé. Les organismes promoteurs de cet indice espèrent ainsi encourager la consommation, et donc la production, d’aliments à meilleur contenu nutritionnel: pauvres en sel, sucres et graisses saturées, et riches en fibres, protéines, fruits et légumes.
Comment est-il calculé ?
Comment calcule-t-on le Nutri-Score? L’algorithme, malheureusement difficile à trouver4
, a le mérite de la simplicité. Il s’agit de calculer un indice en ajoutant quatre indicateurs positifs et trois indicateurs négatifs5
. Les quatre indicateurs positifs sont des nombres directement proportionnels à la teneur des trois tueurs (sucres simples, acides gras saturés, sel6
), ainsi que le pouvoir calorique, que l’on peut voir comme le «quatrième Cavalier de l’Apocalypse», même s’il est partiellement lié aux deux premiers. Les indicateurs négatifs, quant à eux, sont directement proportionnels à la présence des trois «Cavaliers blancs»: fruits ou légumes, fibres, protéines. On obtient ainsi un nombre compris entre -15 et 407
.
Notons qu’il a été choisi de noter positivement le mauvais et négativement le bon, ce qui pourra étonner un Belge qui, depuis l’école, a l’habitude de viser le 20 plutôt que le 0… Ici, c’est juste l’inverse! Car le Nutri-Score A correspond à une valeur de l’indice comprise entre -15 et -2, tandis que le E est réservé aux aliments obtenant 17 à 40. Les lettres B, C et D se partagent les scores entre -1 et 16.
Le Nutri-Score permet donc d’agréger en un seul indicateur la qualité nutritionnelle de la nourriture, en pondérant différents facteurs positifs et négatifs. Il permet, d’une certaine façon, de quantifier les influences «néfastes» et «bénéfiques» d’un aliment complexe. Dans un jus de pommes par exemple, la présence d’une grande quantité de sucre est partiellement contrebalancée par celle de fruits, ce qui aboutit à un score B ou C. C’est mieux que le E du Coca-Cola, qui contient tout autant de sucre8
, mais pas de fruit. Notons ici que, contrairement à ce qu’affirme une rumeur étrange, tous les sucres se valent en termes de dégâts sur la santé: sucre de fruit, miel, sirop d’agave, sucre de canne ou de betterave9
. En revanche, la pomme fraîche, moins concentrée en sucre que le jus et surtout riche en fibres, absentes dans le jus, obtient un A.

Angles morts et étrangetés
Mais, comme chaque fois que l’on veut réduire une réalité multidimensionnelle à un seul nombre («moyenne générale» à l’école, PIB d’un pays ou encore le fameux indice composite du décret inscription!), on schématise et on obtient des résultats bizarres. Regardons d’un peu plus près les Nutri-Score dans un supermarché, en quête de faits étranges. Pour commencer, l’aliment «crapuleux» par excellence, notre chère frite, est noté… A! Ensuite, des produits surgelés ultratransformés exhibent un joli score B, tandis que le miel, qui a si bonne réputation, affiche un D inquiétant. La sympathique grenadine est E, moins bien classée que le Coca-Cola Zero (C), qui était noté comme l’huile d’olive, le pilier du sain régime méditerranéen tout récemment passé à B.
Les explications sont assez simples. Les frites? Elles ne sont pas encore frites, justement! Le Nutri-Score ne sait pas que nous comptons les plonger dans trois litres de graisse animale à l’odeur âcre d’infarctus, avant de les saler abondamment. La grenadine? Pas encore diluée dans sept volumes d’eau, elle reste un liquide extrêmement sucré. Le miel? Il s’agit essentiellement d’un mélange de glucose et fructose presque pur, ni meilleur ni pire qu’un paquet de sucre blanc. L’huile d’olive, l’héroïne de la saine cuisine italienne, affiche un pouvoir calorique stratosphérique10
, ce qui avait causé sa chute dans la case C.
Le Nutri-Score, donc, attire certaines critiques: il ne tient pas compte de ce qu’on va faire avec l’aliment en question; ni de l’usage, ni du dosage. Il affirme simplement que, du point de vue des maladies non transmissibles contemporaines, la valeur nutritionnelle de 100 g de pommes de terre pas encore frites est meilleure que celle de 100 ml de grenadine pure ou 100 g d’huile… Et les critiques ont beau jeu de rappeler malicieusement que personne ne se sert un verre de grenadine pure à l’apéro, ni une louche de miel au goûter, ni une assiette d’huile au souper. Ainsi présenté, le Nutri-Score semble peu utile, voire insensé.
Autre critique: le Nutri-Score ne prend pas en compte les additifs alimentaires, ni la complexité des transformations (soufflage, hydrogénation, extrusion, etc.), ni les résidus de pesticides, ni le caractère bio, éthique ou traditionnel d’un produit. Ce système d’évaluation reste aveugle aux processus de fabrication. Ceci explique que tel plat cuisiné, affichant une liste d’ingrédients presque aussi longue que le Code Civil, puisse obtenir un B pour peu qu’il ne soit pas trop salé ni sucré et contienne un peu de légumes; tandis qu’un fromage artisanal sans additifs, mais gras et salé, risque de rester dans la catégorie E. Ainsi, certaines critiques du Nutri-Score craignent qu’il ne jette la population dans les bras des plats industriels ultratransformés qui parviennent à obtenir un A ou un B, au détriment de produits bruts de bonne qualité obtenant un D ou E, qui restent parfaitement sains tant qu’ils sont consommés en quantités correctes.
Dernier angle mort, et non des moindres: les boissons alcoolisées. Ni A ni E, elles flottent dans une sorte de vide nutri-scorique, ce qui pourra, au minimum, surprendre, quand on se rappelle que le chocolat ou le saucisson restent d’aimables petites frappes à côté de l’alcool, véritable baron du cartel des maladies non transmissibles… Le projet de frapper l’alcool d’un infâmant F noir (au-delà du E donc) est remis à plus tard, suite à une vive opposition de pays producteurs de vin.
Pour la défense du Nutri-Score
Ces critiques étant formulées, nous voudrions défendre ici la pertinence du Nutri-Score, en les reprenant une par une. D’abord, la critique de l’usage : «Les frites A, c’est idiot!» Certes, le Nutri-Score se borne à décrire le produit, et pas ce qu’on en fera. Quand on y réfléchit un instant, on doit bien reconnaître qu’on ne peut pas faire autrement: sinon la pomme devient E (on aime la caraméliser avec du beurre et du sucre) et l’œuf passe en D (on le cuit en omelette avec du lard). Au consommateur ou à la consommatrice de s’interroger, justement, sur l’ingrédient avec lequel cuisiner ses produits: la graisse à frites affiche évidemment E!
La critique de la quantité: «Le miel D, c’est stupide, personne n’en mange 100 g!» Oui, bien sûr. Mais le Nutri-Score n’est pas destiné à comparer 100 g de brocolis avec 100 g de miel. Qui se dit : «Ce miel est D! Je vais plutôt mettre une cuillerée de brocolis A dans mon thé.»? Les usages sont très différents, et personne ne se trouve jamais en proie à ce type d’hésitation. On retrouve la même situation pour le beurre ou l’huile. Finalement, le Nutri-Score D ou E pour ces produits bruts ne signifie pas «mangez plutôt des carottes», mais «à consommer avec modération».
La critique de la qualité: «Un saucisson, du fromage, c’est délicieux.» Bien sûr! Et le Nutri-Score n’y trouve rien à redire. Encore une fois, il n’a pas vocation à nous faire renoncer à un saucisson pour des salsifis, mais bien à nous faire consommer avec un certaine modération ce qui est gras, salé, sucré.
La critique de la non-prise en compte du bio. Les produits bio, éthiques ou traditionnels n’ont pas plus ni moins de sucres, sel, graisses que les autres. Et d’autres labels existent, indépendamment du Nutri-Score. Ensuite, rappelons qu’un fromage artisanal, en termes de risques cardiovasculaires, n’est pas meilleur qu’un produit industriel qui contiendrait la même quantité de graisse et de sel, chose qu’on a parfois tendance à oublier. L’attrait légitime pour les produits de terroir de bonne qualité ne doit pas occulter que consommer un saucisson ou un camembert à chaque repas est vraiment à déconseiller… Une fois de plus, tout est affaire de modération.
La critique des additifs et des pesticides. Les effets des additifs et pesticides sont très difficiles à mettre en évidence et à quantifier. Cependant, le nouveau Nutri-Score pénalise les édulcorants, les études ayant montré des effets nocifs suffisamment probants11
. Pour les pesticides, aucune loi ne contraint à les mesurer. Pour le moment donc, le Nutri-Score ne peut pas prendre en compte ces molécules.
Un indice à utiliser correctement
Il nous semble que le Nutri-Score prend son sens par comparaison de produits d’utilisation semblable. Plutôt que de comparer des légumes A à du miel D, ce qui n’a pas d’intérêt ni même de sens, comparons par exemple deux paquets de biscuits pour le goûter des enfants: il existe des D, moins sucrés que les E. Un yaourt aux fruits B plutôt qu’une crème à la vanille C. Un fruit A plutôt qu’un jus C. Une viande de poulet A plutôt que du porc B, etc. Dans ce contexte, le Nutri-Score est intéressant, puisqu’il permet de choisir, à catégorie donnée, un produit moins salé, moins sucré, plus fruité, etc.
Le Nutri-Score n’a pas vocation à nous faire renoncer au miel, au beurre ou au fromage, ni à nous dire si un aliment est, dans l’absolu, «bon» ou «mauvais» (ce qui n’a pas de sens). Mais il nous permet d’effectuer des comparaisons intéressantes et de garder une certaine modération pour certains types de produits à éviter en grande quantité. En revanche, nous ne pouvons que déplorer que l’alcool soit tenu à l’écart de cette notation, car le fameux F noir (ou rouge, peu importe) aurait le mérite de placer l’église au milieu du village: d’un point de vue sanitaire, à quantités égales, des biscuits au beurre, du lard ou des chips valent toujours mieux que le vin.
Une enquête française montre que «plus de 9 Français sur 10 sont favorables à la présence du Nutri-Score sur les produits alimentaires. Une proportion importante de Français va encore plus loin, estimant que son apposition devrait être obligatoire (87%)». Mais encore: «La très large majorité des personnes ayant entendu parler du logo reconnaissent qu'il peut avoir un impact sur la façon de choisir les produits, principalement en les faisant changer de marque ou en limitant l'achat de produits présentant un moins bon score.»12
Ceci montre que le Nutri-Score a été bien adopté, et que les consommateurs et consommatrices, loin des critiques faciles mentionnées plus haut, savent l’utiliser. Espérons que la santé publique en soit un peu améliorée!
- 1On parle ici de sucres simples (glucose, fructose, saccharose surtout) et non de sucres lents.
- 2Un mal certes non mortel, mais coûteux et invalidant : on estime les coûts des soins dentaires à 5% des dépenses de santé mondiales. https://www.dentistnews.be/fr/nouvelles/traitement-de-carie-et-perte-de…
- 3https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/healthy-diet
- 4Nous ne l’avons pas trouvé sur le site gouvernemental belge, mais sur une publication scientifique en libre accès: https://www.researchgate.net/publication/328136107_Le_logo_nutritionnel…
- 5L’algorithme a été récemment amélioré, avec la prise en compte des édulcorants, des viandes rouges, de l’effet bénéfique des poissons gras, etc. Nous présentons ici l’algorithme basique.
- 6Sodium, pour être précis.
- 7Pour les matières grasses, les fromages et les boissons, le calcul est un peu différent mais l’esprit reste le même.
- 8Un fait étonnant qu’on vérifiera facilement sur l’étiquette: 10 % dans les deux boissons.
- 9Après tout, la betterave est un légume, pourquoi son sucre serait-il moins bon que celui des pommes ou des fleurs?
- 10Avec les graisses animales pures comme le saindoux, l’huile est l’aliment le plus calorique.
- 11https://theconversation.com/en-2024-le-nutri-score-evolue-pourquoi-et-q…
- 12https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2018/91-des-francais-sont-fav…