La gestion par projet, tout comme les stratégies partenariales, sont des modes d’action privilégiés dans les associations et le non-marchand en général. Pourtant, elles sont loin d’être une panacée et suscitent toutes sortes de problèmes, intrinsèquement liés à la nature d’un projet ou d’un partenariat. Les comprendre et disposer d’outils ou de méthodes permettant d’y répondre s’acquièrent en se formant à la gestion de projets.
L’une des premières difficultés de la gestion par projet provient de l’ambiguïté de la notion même de gestion de projets. En effet, s’agit-il de résoudre les problèmes qui résultent de la nécessité de greffer l’organisation par projets sur l’organisation structurelle du travail ou plutôt de se former à la conduite d’un projet en particulier? Le premier aspect est le plus complexe car il a des implications sur l’ensemble de l’organisation du travail, ainsi que sur la culture organisationnelle et sur les valeurs de l’institution.
Temporalité, finalité et organisation
Ce qui caractérise un projet est, d’un point de vue temporel, le fait qu’il est délimité dans le temps, avec un début et une fin. Il constitue généralement une singularité: il est réalisé une fois. C’est la raison pour laquelle il comporte souvent des enjeux d’innovation, d’apprentissage de nouvelles compétences, d’expérimentation. A cette caractéristique temporelle et à cette finalité sont liées des formes particulières d’organisation: une équipe chargée du projet est constituée pour la durée du projet, c’est-à-dire qu’elle est temporaire et qu’elle est préférentiellement multidisciplinaire.
Initialement, les stratégies par projets dans les entreprises sont nées de la volonté d’augmenter la réactivité par rapport aux attentes des clients et des marchés, afin d’augmenter la capacité d’adaptation des entreprises actives dans des contextes de plus en plus volatils. C’était également une manière de lutter contre la bureaucratisation de grands systèmes de travail qu’il devenait difficile de réformer.
L’organisation par projet privilégie une forme horizontale afin d’augmenter la réactivité des équipes par rapport aux sollicitations du contexte: un responsable de projet, des chargés de projets directement en contact avec leur responsable et avec les destinataires du projet dont l’équipe est chargée. Toute la difficulté est alors de savoir comment greffer cette structure plate, temporaire, chargée d’un projet, avec la structure permanente de l’institution, c’est-à-dire l’organisation hiérarchisée du travail qui assure la pérennité de l’institution et la réalisation de son cœur de métier, lié à son but social.
Horizontalité du projet et hiérarchie
Toutes sortes de dispositifs ont été imaginés pour apporter des solutions, mais ils génèrent à leur tour de nouveaux problèmes: autonomie et dépendance des chargés de projet par rapport à l’équipe qui porte le projet et aux départements dont ils sont issus, brouillage des responsabilités et des relations hiérarchiques, difficultés de réintégrer la fonction à l’issue du projet, complexité de la gestion du temps, etc.
Pour les personnes impliquées dans la réalisation d’un ou de plusieurs projets, prendre conscience de la complexité des réseaux de relations dans lesquels ils sont pris et se former à entretenir les bonnes relations avec les personnes plus ou moins directement impliquées dans la réalisation du projet ou avec celles qui, au contraire, sont dans l’organisation permanente du travail (le département d’origine, les fonctions administratives, les activités ordinaires de l’institution) sont des objectifs de formation importants, même s’ils peuvent sembler a priori secondaires.
«Gérer un projet revient à gérer de l’incertitude et expose le chargé de projet à une injonction contradictoire: contrôler l’incertitude!»
De la gestion au pilotage
La notion de gestion de projet renvoie au départ à l’idée d’administration. Gérer un projet veut dire l’administrer. L’administration renvoie elle-même à l’organisation, c’est-à-dire la bonne anticipation de l’action pour atteindre les résultats visés, en respectant le cadre de contraintes et les délais. De ce point de vue, la bonne administration en appelle à un objectif d’efficacité: la capacité à atteindre le but fixé.
La gestion d’un projet recouvre ainsi quelques grandes préoccupations: définir la mission, établir le plan de travail, anticiper les obstacles, contrôler le bon déroulement de l’activité. La fonction de contrôle renvoie à l’idée du pilotage des projets avec l’aide de «tableaux de bord» facilitant le suivi et la surveillance des processus. Il est à noter que depuis quelques années, l’expression «pilotage de projet» tend à se substituer à la notion de gestion de projet. Cette inflexion traduit la tendance actuelle de la gestion de projet à mettre l’accent sur la fonction de contrôle au détriment de la fonction d’innovation et de réactivité.
Les incertitudes de l’innovation
La mission des chargés de projet est rarement bien définie. Cette imprécision résulte de la nature intrinsèque du projet. Tourné vers l’innovation et chargé d’une mission à caractère unique, le chargé de projet ne bénéficie pas des expériences passées ni d’habitudes de travail apprises et reproductibles; son objectif reste lui-même relativement indéfini puisqu’il est orienté vers la nouveauté. C’est dire que gérer un projet revient à gérer de l’incertitude et expose le chargé de projet à une injonction contradictoire: contrôler l’incertitude! Apprendre à mieux définir la mission du chef de projet est une clé importante pour la réussite du responsable de projet.
Ce caractère incertain du projet suppose de prendre conscience de la nature des incertitudes qui pèsent sur le projet et font obstacles à sa réussite. Les obstacles peuvent consister en de simples difficultés liées au contexte de réalisation du projet, aux délais à respecter, aux manques de financement, aux normes de qualité à respecter, etc. Pour chacune de ces difficultés, il existe des moyens, des outils ou des méthodes qui facilitent la gestion des projets: distribution des tâches, planning, gestion financière, allocation des ressources, techniques de reporting, etc. Ce sont autant d’objets à propos desquels il est utile de se former.
Mais plus profondément, en particulier dans les activités associatives, par exemple dans le domaine socioculturel, il importe de prendre conscience du fait que les obstacles empêchant la réussite du projet sont liés au projet lui-même, à sa définition. Beaucoup de projets résultent, en effet, de problèmes à résoudre (demandes non satisfaites, besoins à rencontrer, manques de ressources, etc.). Cela suscite des réponses qui génèrent elles-mêmes les obstacles qui vont empêcher d’atteindre l’objectif du projet. Ces obstacles ne sont pas éliminables car ils font partie du projet: ils peuvent tout au plus être pris en charge.
La prise en compte des relations
Cette notion particulière de l’obstacle est difficile à comprendre. Un exemple pourra peut-être y aider. Imaginons que l’équipe pédagogique d’une école secondaire observe des comportements jugés inadéquats entre les jeunes, liés à des questions de genre (harcèlement, stigmatisation, rejet, violence ou mépris par exemple). Elle décide donc de mettre en place un projet et fait appel à une équipe spécialisée pour aborder avec les jeunes les questions éducatives liées à la vie relationnelle, affective et sexuelle.
Dans le chef des intervenants, la réponse aux problèmes rencontrés met en jeu des valeurs d’égalité et de respect entre les genres, ainsi que l’information des jeunes sur les relations affectives et sexuelles. Cette réponse est intrinsèquement liée au projet, elle en est indissociable. Or les comportements jugés inadéquats, dont le changement est visé par le projet, résultent justement de l’inacceptation par les jeunes de ces valeurs d’égalité et du caractère tabou de l’information sur la vie affective et sexuelle. Le projet se trouve ainsi pris dans une contradiction: plus les intervenants mobilisent ces valeurs d’égalité et de respect ou informent, plus ils suscitent des refus et renforcent les comportements qu’il était souhaitable de modifier.
Il n’est pas possible de sortir de cette contradiction avec les jeunes sans s’appuyer sur la qualité de la relation qui se noue entre les intervenants et les jeunes, ni sans développer cette dimension relationnelle du projet. Celle-ci met en jeu toutes sortes d’aspects de la relation: la proximité ou l’éloignement, la symétrie ou le caractère inégalitaire et complémentaire, la confiance réciproque, les rôles, les représentations partagées ou décalées, etc.
«Se former à la gestion de projet implique d’apprendre à concilier les objectifs de gestion avec les objectifs pédagogiques d’animation qui déterminent le sens du projet, et à ne pas subordonner l’un au détriment de l’autre.»
Animer un projet
Dans la mesure où les projets associatifs prennent en charge des obstacles qui constituent autant de contradictions et dont le moteur du changement s’appuie sur la dimension relationnelle, il faut abandonner toute idée de gérer les projets comme on gère des projets «de choses» (production et fabrication de moyens et d’objets matériels). Les projets associatifs sont rarement des projets tournés vers la réalisation de bien matériels. Ils visent des personnes ou des publics-cibles, et l’impact qu’ils recherchent est fonction de la relation qui s’établit avec les destinataires.
Pour gérer le projet, il va donc falloir se doter d’outils qui n’ignorent pas cette dimension relationnelle et qui associent à l’idée de gestion celle d’animation. Ces méthodes vont, dès la conception du projet, prendre en compte la dimension relationnelle et penser la gestion en fonction du réseau de relations qui se noue autour du projet, avec les opératrices et les opérateurs du projet, les destinataires, les leaders d’opinion qui en assurent la notoriété et les sponsors qui apportent des ressources nécessaires à sa réalisation. Les visées du projet seront elles-mêmes définies en incluant les besoins secondaires de sécurisation, d’intégration, d’estime et d’accomplissement de soi qui ont une dimension relationnelle.
Se former à la gestion de projet va ainsi impliquer d’apprendre à concilier les objectifs de gestion (efficacité, respect des budgets et des délais, procédures administratives, etc.) avec les objectifs pédagogiques d’animation qui déterminent le sens du projet, et à ne pas subordonner l’un au détriment de l’autre.
Photo: ©Hennig Westerkamp - Pixabay.com
Nos prochaines formations à la gestion de projets
Les 10 outils de base de la conception et de la gestion de projets
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Formation de cinq jours donnée les 29 et 30 novembre, et les 1er, 11 et 12 décembre 2023.
Plus d’infos: https://ligue-enseignement.be/formations/les-10-outils-de-base-de-la-co….
Organiser et motiver une équipe-projet
Avoir des idées, c’est bien; les réaliser, c’est mieux. Mais comment faire de nos trouvailles des projets qui aboutissent et qui tiennent la route? Comment réussir la mise en œuvre de nos projets avec professionnalisme, c’est-à-dire en conciliant l’efficacité et la rigueur avec le bien-être et le respect de nos valeurs éthiques? Et comment rester motivé·e et ne pas se décourager face aux effets de la désorganisation?
Essentiellement pratique, cette formation a pour objectif l’acquisition par les participant·es d’outils pratiques pour améliorer leur organisation personnelle, en équipe ou en partenariat et pour entretenir la motivation de l’équipe-projet.
Formation de trois jours donnée les 5, 6 et 14 décembre 2023.
Plus d’infos: https://ligue-enseignement.be/formations/organiser-et-motiver-une-equip….