
Dans le milieu associatif, où les activités sont centrées sur l’élément humain, le conflit est trop souvent considéré comme un échec et reste tabou. Or tous les conflits ne sont pas négatifs, certains sont même des leviers de transformation individuelle et collective. Mieux comprendre les tensions pour renforcer la coopération et l'apprentissage collectif est une compétence qui peut s’acquérir en formation à la Ligue.
Dans les équipes associatives, où les relations humaines sont au cœur de l'action, le conflit est trop souvent perçu comme un échec. On l'évite, on le redoute, on le tait, par peur de fragiliser les relations, de «faire des vagues» ou de déstabiliser une équipe. Pourtant, cette volonté de maintenir la paix à tout prix peut paradoxalement être un facteur de tension.
Car non, tous les conflits ne sont pas négatifs. Certains sont même nécessaires: ils permettent de nommer les malentendus, d'ajuster les représentations, d'exprimer des besoins, de réguler les frustrations, de mieux se connaitre même. Ils sont, à ce titre, un terrain d'apprentissage relationnel majeur. Refuser le conflit, c’est parfois refuser l'évolution. Travailler ensemble faisant partie de la vie en société, les tensions y sont donc inévitables. Apprendre à les accueillir, les comprendre et les traverser, est une véritable compétence citoyenne.
«Devant un conflit, il y a nécessité de développer une compétence «méta», d’observation neutre, afin de discerner à quel niveau se situe le problème et ainsi intervenir au bon endroit.»
Le conflit comme révélateur systémique
Un conflit n’est jamais seulement une histoire de deux individus. Prenons par exemple une équipe associative où une tension naît entre deux personnes autour de la répartition des tâches: ce désaccord peut en réalité révéler un flou hiérarchique, une surcharge non reconnue ou une absence de discussion collective sur les priorités. C’est le sommet visible d’un iceberg fait d’attentes, de besoins non exprimés, de normes implicites, de rôles flous, de pressions structurelles. Il est donc souvent le symptôme d’une dynamique systémique déséquilibrée.
Ainsi, lorsque deux collègues s’accrochent sur une question de méthode, il se peut que le conflit soit alimenté par une absence de cadre partagé, une mauvaise circulation de l’information ou une pression organisationnelle non assumée, voire un dysfonctionnement avec lequel on est habitué de composer. Le conflit devient alors un révélateur, voire un messager, de ce qui demande à être clarifié ou régularisé.
Dans cette logique, la question n’est pas «qui a tort?» mais «que se passe-t-il dans notre système pour que ce type de tension apparaisse ici, maintenant?» D’où la nécessité de développer une compétence «méta», c’est-à-dire d’observation neutre, afin de discerner à quel niveau se situe réellement le problème et ainsi intervenir au bon endroit.
«La coopération ne naît pas de l’absence de tensions, mais de la capacité à les traverser sans se blesser.»
Le baromètre du conflit: une boussole relationnelle
Pour aider les équipes à mieux appréhender les tensions, le modèle du «baromètre du conflit» propose une lecture en cinq zones. Il s'agit d'une échelle progressive qui va de l'harmonie artificielle aux attaques destructrices, en passant par le désaccord sain, une zone centrale (voir encadré). Ce modèle aide à identifier où l'on se situe pour agir avec lucidité avant qu'il ne soit trop tard. Il rappelle qu'il est possible – et souhaitable – de rester dans la zone verte, où les différences s'expriment sans fracture. C’est une bonne base de travail pour celles et ceux qui auront soin d’établir une rétrospective et de s’interroger sur les pistes d’amélioration. Ce qui est déjà un certain signe de maturité d'équipe.
La coopération ne naît pas de l’absence de tensions, mais de la capacité à les traverser sans se blesser. Lors d’une formation récente avec des responsables d’équipe associative, nous avons par exemple simulé une situation de désaccord lors d’une réunion fictive. Ce cadre sécurisé, accompagné d’un temps de débrief collectif, a permis aux participant·es de prendre conscience de leurs réactions spontanées1 et de tester d’autres postures relationnelles, plus ajustées.
«Adopter une posture de “juste responsabilité” est central: ni victime impuissante, ni sauveur omnipotent, ni bourreau défensif. Juste actrice, acteur responsable, prenant conscience de sa part et de celle des autres.»
Créer les conditions d’un conflit sain
Ces postures supposent un certain nombre d’ingrédients, comme un cadre sécurisant où chacun se sent écouté et reconnu dans sa parole. Ce cadre peut être préparé et proposé ou, idéalement, coconstruit. Une clarté des rôles, des responsabilités et des attentes est également nécessaire. Ceci est valable en réunion de manière générale, et se révèle capital dans les relations de travail.
Des compétences relationnelles sont importantes, comme reformuler plutôt qu’accuser (outils issus de la PNL), nommer les besoins sans reproche (outils issus de la CNV), identifier ses émotions comme signaux plutôt que comme vérités absolues. Et à condition que l’intensité soit suffisamment contenue. Enfin, des compétences d'intelligence émotionnelle sont attendues: avoir conscience de ses émotions avant d’être envahi, savoir diminuer l’intensité pour pouvoir continuer à fonctionner, savoir ensuite décoder ce que l’émotion indique comme besoin de régulation dans son système et prendre les mesures pour s'en occuper.
Adopter une posture de «juste responsabilité» est central: ni victime impuissante, ni sauveur omnipotent, ni bourreau défensif. Juste acteur, actrice responsable, prenant conscience de sa part et de celle des autres. Pour cela, il est bon d’interroger sa propre tendance dans les rôles de victime («tout est la faute de l’autre») ou d’auto-culpabilité («tout est de ma faute») et faire la part des choses entre sa propre responsabilité, que l’on peut assumer, et celle des autres.
«Loin d'être un dysfonctionnement, le conflit peut être un levier de transformation individuelle et collective.»
Collaborer dans la conflictualité: une compétence citoyenne
Dans un monde où les tensions sociétales se multiplient, apprendre à gérer les conflits est une compétence essentielle. Cela permet d’apprendre à coexister dans la différence en développant la tolérance; de réguler les tensions en osant les exprimer au lieu de les enfouir; d’exercer son esprit critique et son empathie en même temps, en prenant un peu de recul sur ce qui se passe ou s’est passé.
Loin d'être un dysfonctionnement, le conflit peut être un levier de transformation individuelle et collective. L’important ici sera de trouver l’espace nécessaire à la discussion apaisée «à froid» et de développer ses compétences d’automédiation et d’observation neutre. Former les actrices et acteurs associatifs à ces compétences, c’est leur permettre de devenir des alchimistes du lien, capables de transformer le plomb de la tension en or relationnel.
Et si, plutôt que de chercher à éviter les conflits, nous apprenions à les habiter? Les tensions, lorsqu’elles sont accueillies avec bienveillance, conscience et outils, deviennent des occasions précieuses d’apprentissage mutuel. À travers elles, on apprend à s’écouter, à se positionner, à dialoguer, à cohabiter. Bref, à faire société. Dans une équipe, une classe, une organisation, le conflit ne doit plus être vu comme un intrus mais comme un passeur. Un messager exigeant, mais porteur de vie. Et si collaborer, c’était aussi ça: offrir des outils pour traverser les tempêtes sans renoncer au cap?
- 1Voir le modèle de Thomas-Kilmann.
Les cinq zones du baromètre du conflit
1. Zone rouge (plutôt introvertie) – Évitement / Silence
- On ne se parle plus vraiment.
- Des tensions flottent mais ne sont pas abordées.
- Exemple: deux collègues qui s'évitent depuis une réunion houleuse sans jamais avoir clarifié ce qui s'est passé.
2. Zone jaune – Malaise / tension
- Un malaise est palpable.
- On sent que «quelque chose ne va pas» mais c'est flou.
- Exemple: une réunion où chacun parle moins, les regards se dérobent, les silences sont pesants.
3. Zone verte – Conflit constructif
- Le désaccord est exprimé avec respect en s’appuyant sur une observation neutre des faits.
- Chacun reste à l'écoute de l'autre tout en affirmant son point de vue.
- Exemple: un débat animé sur l’organisation d’un événement, où chacun propose et ajuste en respectant les points de vue différents.
4. Zone jaune – Escalade
- Les émotions prennent le dessus, et les réactions aussi.
- Le dialogue devient réactif, coupé, voire accusateur.
- Exemple: des interruptions, des haussements de ton, des soupirs agacés.
5. Zone rouge (plutôt extravertie) – Conflit destructeur
- Attaques personnelles, sarcasmes, dénigrement.
- La confiance est rompue, la relation abîmée.
- Exemple: «De toute façon, tu ne comprends jamais rien» lancé en pleine réunion.
Le feedback qui ne détruit pas le lien
Modèle DESC – inspiré de la CNV
Contexte : Julie arrive souvent en retard aux réunions d’équipe.
Décrire
«Julie, j’ai remarqué que tu es arrivée en retard de plus de dix minutes à nos réunions du mardi matin depuis trois semaines.»
Exprimer
«Je me sens tendu et un peu frustré car j'ai l'impression de perdre du temps et que cela crée un climat de tension dès le début de la réunion. Et puis c'est important pour moi de faire un bon usage de notre temps ensemble.»
On peut ajouter les enjeux et conséquences éventuelles: c'est important de respecter le timing qui a été fixé, par respect des autres personnes, etc.
Suggérer
«J’aimerais que chacun puisse être présent à l’heure à chaque réunion. Pouvons-nous en discuter ensemble et voir ce qui te conviendrait afin de commencer nos réunions à l'heure prévue?»
On peut ici imposer un changement de comportement plus directif selon le contexte: «Je te demande de prendre tes dispositions pour arriver à l'heure à chaque réunion, ou de me prévenir...»
Conclure
«Ainsi, notre temps collectif sera respecté et nous pourrons avancer sereinement sur le projet... Qu'en penses-tu?»
Clé de lecture
Le modèle DESC de Sharon Bower permet de donner un feedback clair, sans accusation, tout en ouvrant un espace pour la coopération et la discussion. C'est un modèle assertif qui permet d'éviter d'entrer dans un triangle dramatique de type persécuteur, victime, sauveur. Un peu d'entrainement est nécessaire pour atteindre la fluidité dans la séparation des faits, l'expression des ressentis, puis l'espace de discussion pour trouver une solution gagnant-gagnant.
Mini-dialogue à la sauce PNL
«Je pense qu’il me prend pour un idiot.»
→ Reformulez : «Tu veux dire que tu te sens jugé?», «Qu'est-ce qu'il a fait, dit, spécifiquement qui te fait penser ça?»
«On n’est pas d’accord depuis des semaines.»
→ À quel niveau est-on en désaccord ? Sur le rôle? Sur le plan des valeurs, ce qui est important, les priorités? Sur les présuppositions, ce que nous croyons? Sur le plan des moyens à mettre en œuvre? Sur le plan des actions concrètes? Sur le plan de l'environnement: où? quand? avec qui?
« Ce qu’il me manque, c’est juste un peu de reconnaissance. » (ou toute autre valeur)
→ De quel genre de reconnaissance s'agit-il? Reconnaissance de quoi? De la part qui? De quelle façon saurais-je que j'ai de la reconnaissance? Sous quelle forme?
💡 Astuce: je fais une pause, j’observe, je m’écoute… avant de réagir.
En cas d’urgence !
Cinq réflexes pour garder son calme et éviter l’escalade
Une tension surgit? Quelqu’un hausse le ton? Vous sentez que vous allez exploser ou fuir? Voici un mini-protocole à dégainer en urgence.
1. Respirez.
Bougez! Inspirez par le nez, soufflez longuement. Deux ou trois fois en comptant mentalement «3, 2, 1». C’est déjà un acte de régulation. Cela calme le système nerveux autonome et agit directement sur l'émotionnel.
2. Mettez des mots sur ce qui se passe.
«Je sens que ça monte, j’ai besoin de faire une pause.» Ou juste: «Je suis un peu secoué·e, je propose qu’on reprenne dans cinq minutes.»
3. Recentrez-vous.
Qu’est-ce qui est vraiment important ici? Voulez-vous avoir raison ou avancer ensemble?
4. Adoptez la posture de l’explorateur ou l’exploratrice.
«Qu’est-ce que je ne comprends pas encore dans la position de l’autre?», «Et si j'essayais de me mettre deux secondes dans les chaussures de l'autre?», «Quelle est la dynamique, la tournure que ça prend?» Curiosité plutôt qu’interprétation.
5. Choisissez une micro-action constructive.
Reformuler, proposer une pause, redéfinir un accord commun, recentrer sur l'objectif, sur ce qui est important… Toute petite action orientée lien plutôt que réaction défensive.
💡 Bonus: si la situation est trop chaude, faites comme les pros, reportez le débat à froid.

Formation à la Ligue
Stop aux conflits: devenez l’alchimiste de la sérénité au travail!
Les désaccords au bureau, ça vous parle? Ces petites tensions qui transforment un simple échange en duel épique? Il existe pourtant des solutions! Cette formation vous invite à transformer les conflits au travail en véritables opportunités de collaboration positive.
En deux journées, elle vous permet de comprendre et anticiper les conflits, en décortiquant les causes des tensions, qu’elles soient liées aux émotions, aux valeurs ou aux dynamiques d’équipe. Elle vous permet aussi de renforcer vos compétences relationnelles, en adoptant des techniques de communication authentique et en apprenant à poser des limites claires, tout en cultivant des relations harmonieuses. Vous y développez également votre intelligence émotionnelle, en prenant du recul sur vos émotions et celles des autres, afin de les utiliser comme levier pour une résolution constructive. Dans le même temps, vous apprenez à maîtriser des outils pratiques comme la PNL, la CNV et l’approche systémique, pour désamorcer les tensions et construire des solutions gagnant-gagnant.
Formation les 10 et 17 juin (complète).
Plus d’infos sur https: //ligue-enseignement.be/formations/stop-aux-conflits-devenez-lalchimiste-de-la-serenite-au-travail