Dernière chronique (inter)culturelle avant la prochaine: «Un ami, c’est quelqu’un qui vous connaît bien et qui vous aime quand même» – Hervé Lauwick
Lundi 8 mai 2023
Cette chronique nait de l’écoute d’une longue interview de Geoffroy de Lagasnerie, puis de la lecture de son merveilleux dernier essai, 3. Une aspiration au dehors. Eloge de l’amitié, dans lequel le sociologue nous propose une manière bien particulière d’envisager l’amitié, la plaçant au centre de la vie.
Dans son essai, Geoffroy de Lagasnerie accorde à l’amitié une place politique digne du couple conjugal et envisage même de l’institutionnaliser, en octroyant des congés pour s’occuper de ses amis ou des allocations amicales. Il nous illustre son propos par des extraits de vie et cette manière d’entretenir sa très singulière amitié avec Didier Eribon, son compagnon, et Edouard Louis. Si vous ne connaissez pas ces personnes, vraiment désolée de ce trou béant dans votre vie…
Avant lui, bien d’autres philosophes se sont penchés longuement sur la question. Quand Montaigne parle de La Boétie, il évoque un coup de foudre amical, inscrit dans le destin, une rencontre d’âmes «qui s’unissent et se fondent l’une dans l’autre dans une union si totale qu’elles effacent la couture qui les a jointes et ne la retrouvent plus». Il soutient que l’amitié se crée par des circonstances peu importantes mais qu’elle s’entretient par la gentillesse et la bienveillance. Les méchant·es n’ont pas d’ami·es, seulement des complices. L’amitié, teintée d’un véritable amour, ne peut s’expliquer rationnellement. Il en tirera d’ailleurs la désormais célèbre «parce que c’était lui, parce que c’était moi». A désormais abolir du vocabulaire autour de la Saint-Valentin donc…
Comment mes apprenant·es, ces personnes qui ont dû (oui, dû!) quitter leurs ami·es du jour au lendemain, envisagent la question? Toutes et tous se retrouvent sur l’idée qu’il y a d’abord un partage de valeurs mutuelles, une forme de connivence. Et que c’est dans les difficultés que l’on reconnait ses ami·es. L’ami·e se montre disponible et peut tout entendre, on lui parle sans calculer. La distance n’a que peu d’importance, l’amitié survit au temps et aux épreuves, c’est d’ailleurs bien cela qui la prouve. Pour certain·es, on lie des amitiés avec les personnes qui nous ressemblent avant tout. Et si on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas ses ami·es non plus, c’est une fatalité, un hasard, un choix du destin.
L’amour amical est-il conditionnel? La question partage. Geoffroy de Lagasnerie soutient que l’on tire un intérêt à entretenir telle relation amicale, qu’il serait hypocrite de prétendre à un amour inconditionnel. Certain·es de mes apprenant·es m’avouent qu’il leur serait compliqué de se lier d’amitié avec un être du sexe opposé. Personnellement, il me serait impossible d’envisager une amitié avec une personne dont les valeurs sont très éloignées des miennes.
M., notre ami poète, clôture comme chaque fois en nous envoyant des mots sages, ici ceux d’Alessandro Manzoni: «Un des plus grands bonheurs de ce monde, c’est l’amitié. Un des bonheurs de l’amitié, c’est d’avoir une personne à qui confier ses secrets».