Se questionner sur les vieillesses, l’âgisme et l’intergénérationnel - Une démarche transversale à la Ligue

Mardi 20 juin 2023

Collage réalisé par les apprenant·es du groupe de Pauline, lors d’un atelier de sensibilisation d’Entr’âges.
Collage réalisé par les apprenant·es du groupe de Pauline, lors d’un atelier de sensibilisation d’Entr’âges.
Audrey Dion, secteur formation de la Ligue de l'Enseignement

En 2023, tous les secteurs de la Ligue se penchent sur la question des vieillesses et des vieillissements dans nos sociétés. Tout au long de l’année, nous mettons en place des actions autour de cette thématique, avec en ligne de mire trois grands objectifs: donner la parole, aux aîné·es comme aux acteur·rices de projets qui les mettent en valeur; sensibiliser, informer, former pour mieux lutter contre les stéréotypes et les discriminations; encourager les initiatives intergénérationnelles et interculturelles, qui offrent des pistes de solutions pour un monde plus inclusif et respectueux de toutes les générations.

Le dossier présenté dans ce numéro, dont ces quelques pages jouent le rôle de préambule, fait évidemment partie de ce processus et constitue une étape dans notre cheminement. Il rassemble nos différentes contributions et réalisations de ces derniers mois, et présente aussi celles à venir. Il témoigne de notre point de vue d'association, qui se construit petit à petit, et du sens que nous mettons derrière notre démarche intersectorielle: nourrir bien sûr nos objectifs, mais aussi les pratiques de notre équipe!

Une journée de sensibilisation et de réflexion en équipe

Le 31 mai dernier, Juliette de l’asbl Entr’âges1 nous a proposé une journée de sensibilisation et de réflexion autour de l’âgisme et des liens intergénérationnels. Un temps de réflexion collective, nécessaire et inspirant! Nous avons par exemple été sensibles à la question du fractionnement social de nos sociétés, en particulier le cloisonnement des âges. Les enfants à l’école, les jeunes en formation et au travail, les personnes âgées à la pension: ces barrières structurelles entre les différents âges de la vie empêchent les générations de se rencontrer et de fonctionner ensemble. Elles déforcent aussi la solidarité, amplifient les conflits générationnels et la vision négative que nous avons des plus âgé·es: les études prouvent que pour beaucoup d’esprits, une fois passé le cap de la retraite, un adulte âgé devient «inactif», nécessite une médicalisation, est même une charge économique à financer et compenser2 . Nous faisons face à un enjeu sociétal de taille, et plus la démographie évolue et la population vieillit, plus cet enjeu grandit.

«Ce ne sont pas les vieux qui vont mal, c’est le regard que nous portons sur la vieillesse.» Jean-Jacques Amyot, psychosociologue et spécialiste en gérontologie

Au moment venu d’identifier des situations à caractère âgiste, donc stigmatisantes et discriminantes selon des critères liés à l’âge, nous avons également pris conscience que les attitudes âgistes peuvent aussi être performatives, c’est-à-dire qu’elles peuvent être dirigées contre soi-même, entraînant alors une autocensure, un repli sur soi: «ce n’est plus de mon âge», «je suis trop jeune pour accéder à ce genre de fonction professionnelle», etc.

Face à ces constats, nous mesurons plus que jamais l’importance de l’éducation continue et citoyenne, et des instants de remise en question de nos comportements qu’elle offre. Nous mesurons aussi la nécessité d'une démarche politique plus globale, plus transversale, et réellement intergénérationnelle: plus qu’une simple coprésence, il faut miser sur la transmission, la réciprocité, la solidarité entre les cinq générations qui coexistent dans nos sociétés.

Durant nos échanges, nous avons aussi relevé toute la richesse que le prisme interculturel, imprégnant une grande partie des activités de la Ligue, peut apporter au débat: découvrir la vision de l’âge dans différentes cultures, se nourrir d’autres valeurs, d’autres approches, pour nuancer, déconstruire, bonifier. Voilà qui motive, donne des idées et d’autant plus de sens à notre action associative! Dans la deuxième partie de la journée, Entr’âges a aussi accompagné notre équipe dans l'élaboration de notre projet. Nous avons travaillé à la mise en œuvre de nos actions à venir et dont nous vous parlerons bientôt.

Une galerie de portraits comme porte d'entrée

Au cœur de ce dossier, une galerie de portraits/interviews, comme un micro tendu, comme un album illustrant les vieillesses, les chemins citoyens, engagés, militants aussi, qu’il est possible de prendre en accumulant les années. Avec cette galerie, que nous avons volontairement voulue optimiste, nous souhaitons aller à contre-courant du regard négatif le plus souvent porté sur les dernières décennies de la vie.

Pour ce premier numéro thématique, qui amorce notre réflexion, nous avons choisi de nous inspirer du constat de Stéphane Adam3 , professeur à l’université de Liège et spécialiste de la psychologie de la sénescence et du vieillissement: bien que toutes nos politiques ont tendance à se baser sur une définition de l’âge purement chronologique, il s’avère que l’âge ressenti est un bien meilleur prédicteur de notre santé. A conditions matérielles égales, une personne qui se sent plus jeune que son âge réel vit plus longtemps, a moins de chances de développer des maladies comme la maladie d’Alzheimer, qu’une personne qui se sent vieille.

Le regard de l’autre a bien évidemment une importance primordiale vis-à-vis de cet âge ressenti. Comment ne pas se sentir vieille ou vieux face au regard d'une société qui invisibilise, qui infantilise, qui déresponsabilise? Comment ne pas se sentir las·se et découragé·e quand on sait qu’aux Etats-Unis, les personnes de plus de 65 ans comptent pour 20% de la population mais qu’elles ne sont représentées que par 6% des personnages dans les médias, et le plus souvent d’une façon stigmatisante4 ? Quand on sait qu’à peine 4% des heures de formation de base des professionnel·les de la santé (médecins, infirmier·ères, etc.) concernent la personne âgée, alors que les plus de 65 ans représentent la plus grosse part de leur patientèle5 ? Changer de regard sur la vieillesse nous apparait alors comme une priorité. Les vieilles et les vieux ne sont pas plus à cacher, ni plus tristes que les jeunes: pour preuve, le bonheur augmenterait avec l’âge et on compte deux fois plus de dépressions chez les jeunes que chez les seniors. La valeur de la vie d’une personne âgée n’est pas moindre sous prétexte qu’il lui reste moins d’années à vivre. N’aurait-on pas envie de reconsidérer nos idées et nos politiques structurelles en matière de vieillesse si cela nous faisait gagner quelques années de vie6 ? D’une meilleure vie? Si nous avons un rôle à jouer, il est bien là: nous nous devons de travailler sur les représentations!

Le prisme interculturel comme terrain d'expérimentation

Les groupes d’apprenant·es en alphabétisation et français langue étrangère de la Ligue ont aussi mis la main à la pâte. Au départ d’une question très simple – ça veut dire quoi, être vieux ou vieille? – ont très vite émergé une multitude de définitions, points de vue, images propres à chaque région et pays du monde, à chaque parcours de vie, à chaque famille. 

En s’appuyant régulièrement depuis le début de l’année sur l’analyse de chansons et de citations, sur la lecture d’articles et sur l’organisation de débats, les formateur·trices ont fait émerger des représentations riches et surprenantes. Les ateliers de sensibilisation à l’âgisme, animés dans certains groupes par l’équipe d’Entr’âges, ont complété l’approche. Et si parler des vieillesses vécues aux quatre coins du globe ouvrait les perspectives et changeait notre vision occidentale, plutôt sombre et triste, du vieillissement? La chronique de notre collègue Pamela, à lire plus loin dans ce dossier, rassemble plusieurs témoignages et illustre parfaitement cette idée.

Collage réalisé par les apprenant·es du groupe de Hanane, lors d’un atelier de sensibilisation d’Entr’âges.
Les ateliers de sensibilisation «Contre l’âgisme: j’agis!» proposés par Entr’âges sont gratuits pour les écoles et les organismes travaillant avec les jeunes dès 12 ans!

Un module sur l'intergénération ajouté au catalogue de formations

Nous parlions plus tôt des ségrégations fondées sur l’âge dans nos sociétés. Ces ségrégations sont le fruit de normes sociales et culturelles. Elles vont cependant à l’encontre de l’idée d’un continuum de l’existence7 : entre notre naissance et notre mort, nous vivons un projet de vie, qui n’est pas découpé en phases distinctes et indépendantes. Difficile en effet de considérer notre vieillesse sans considérer l’enfance, la jeunesse, mais aussi l’âge plus mûr qui l’ont précédée.

Les actions intergénérationnelles, dont se sont emparés les mouvements anti-âgistes depuis les années 1960-1970, s’imposent comme une piste de solution solide pour redonner à cette notion de continuité et d’interdépendance toute son importance. Lorsque la diversité humaine est représentée, lorsque les liens sont réciproques et solidaires, les savoirs et compétences mutualisés, les préjugés et discriminations n’ont plus leur place!

Au secteur Formation, la question de ce qui fait intergénération, de ce qui permet de créer des relations basées sur la transmission mutuelle et la réciprocité, peu importe l’âge qu’on a, nous intéresse tout particulièrement. La manière de construire des projets critiques et porteurs de changements aussi. Nous tenterons donc de creuser ces concepts en ajoutant cet automne un nouvel outil à notre catalogue de formations, avec un module sur la conception et l’animation d’activités intergénérationnelles, proposé et animé par l’équipe d’Entr’âges.

Si l’intergénérationnel est une piste pour changer les regards, le travail sur l’éducation, en milieu scolaire, populaire, associatif, en est une autre. Pour aller peut-être encore plus loin. A la Ligue, nous ne perdons pas de vue que l’école est un formidable levier d’action, et qu’elle joue un rôle fondamental dans la remise en question de l’ordre social. Nos futurs projets autour des vieillesses et des vieillissements tenteront d’y prendre leur source!

  • 1Association phare dans l’information et la sensibilisation autour de la notion d’âge et dans la création de liens entre les générations! Leur site: https://www.entrages.be
  • 2ADAM S. ET AL. Vieillir en bonne santé dans une société âgiste, NPG Neurologie-Psychiatrie-Gériatrie 17, 2017, pp.389-398.
  • 3Les propos de Stéphane Adam peuvent être écoutés ici: https://auvio.rtbf.be/media/tendances-premiere-le-dossier-3029140
  • 4MARKOV C. ET YOON Y. Diversity and age stereotypes in portrayals of older adults in popular American primetime television series, Ageing & Society Volume 41 Issue 12, December 2021, Cambridge University Press, pp.2747-2767.
  • 5Comité de gériatrie du RUIS de l’UdeM (2011), Inventaire des activités d’enseignement universitaire, collégial et secondaire reliées au soins aux personnes âgées https://ruisss.umontreal.ca/wp-content/uploads/2020/11/Rapport_Inventai…
  • 6Une série d’études montrent que des individus vieillissants (exempts de pathologies) ayant une vision négative du vieillissement sont en moins bonne santé physique et ont une espérance de vie moindre (7,5 ans en moins) que des individus du même âge ayant une vision initiale plus positive du vieillissement. Source: LEVY B. Stereotype Embodiment: a psychological approach to aging, Curr Dir Psychol Sci 18, 2009, pp.332-336
  • 7DE BELLEFROID B. ET AL. L'arc de vie : un concept pour penser et pour agir l'intergénérationnel, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux n°31, 2003, pp.194-206.

Concevoir et animer des activités intergénérationnelles

Formation donnée par Gwendoline Rovai, Entr’âges asbl
Les 27, 28 novembre 2023 et 15 janvier 2024

Ce module de formation propose d’outiller toute personne qui, dans le cadre professionnel ou privé, souhaite concevoir et réaliser un projet ou des animations qui font du lien entre les générations, autrement dit qui ont une visée intergénérationnelle.


Programme:

  • Prendre conscience puis déconstruire les stéréotypes liés à l’âge, comprendre le phénomène d’âgisme et ses liens avec l’intergénération.
  • Définir l’intergénération, aborder les freins et leviers, chercher les outils pour faciliter la rencontre et la coopération entre les générations. S’interroger sur les spécificités des publics et de leurs besoins selon leur âge, sans tomber dans une vision réductrice ou âgiste.
  • Approfondissement de la formation par un retour sur expérience. Partage et échange des bonnes pratiques développées et des difficultés rencontrées.

Plus d’infos et inscriptions en ligne sur www.ligue-enseignement.be/formations

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