Quel(s) engagement(s) face à l’urgence écologique?

Jeudi 9 novembre 2023

Marie-Francoise Holemans, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Considérant l’éducation relative à l’environnement comme un levier de transformation de la société, le laboratoire d’écopédagogie Écotopie étudie les freins à la transition écologique et les leviers du changement. Rencontre avec Emeline De Bouver, docteure en sociologie politique et formatrice-chercheuse chez Écotopie, qui place la question de l’engagement au cœur de ses recherches.

Éduquer: Qu’étudiez-vous dans votre laboratoire d’écopédagogie?
 

Emeline De Bouver: Chez Écotopie, on travaille les questions de l’engagement et de la mobilisation, afin d’identifier les freins à la transition écologique. On vise à déconstruire l’idée selon laquelle le défaut d’engagement climatique résulte seulement d’un manque d’information ou de volonté. Pour changer les habitudes de consommation, pour susciter l’engagement, il faut d’abord reconnaître la pluralité des engagements. Il existe en effet une diversité de moyens qui permettent de changer la société: citons les pratiques comportementales, les relations interpersonnelles, le changement intérieur ou la transformation des institutions. Il existe donc une pluralité de façons de penser le changement social et de les mettre en dialogue.

Éduquer: Quels freins à l’engagement identifiez-vous?
E.DB.:
L’un des premiers freins est l’idée d’une réponse unique. Par exemple, on peut penser que seuls les écogestes seront utiles ou que le seul moyen efficace pour opérer un changement structurel passe par la participation à des manifestations. En réalité, cela dépend de chacun·e, de sa façon de trouver sa place en militance. Permettre à chacun·e de trouver sa place passe notamment par un travail d’appropriation du vocabulaire du changement social. On a tous des allergies à certains mots, pour certains ce sera le mot «engagement» (trop consensuel), pour d’autres «activisme» (trop radical) ou encore «militantisme» (trop dogmatique). Toutefois, les freins sont multiples. Ils peuvent être émotionnels comme l’éco-anxiété, la paralysie ou le sentiment d’être seul. Au-delà de l’individu et de sa dimension émotionnelle, il y a le rapport à l’action collective, le rapport aux stratégies d’action ou encore le rapport au savoir et aux connaissances.

Éduquer: Est-il possible de contourner ces freins?
E.DB.:
Dans les formations qu’Écotopie dispense, on s’appuie sur des apports théoriques mais on utilise surtout la relation au groupe et le lien au vivant. En effet, comment s’engager pour la Terre si on a perdu notre connexion aux autres et au vivant? On s’appuie également fortement sur les récits, les récits fictionnels mais aussi les récits culturels. Le travail sur les représentations est essentiel pour répondre aux enjeux environnementaux. Pour comprendre cela, on peut se référer au travail de la philosophe Charlotte Luyckx, qui nous propose de voir la crise écologique comme multiforme. Elle en distingue plusieurs strates: technique (crise de l’énergie), comportementale (crise de nos gestes et comportements), économique et politique (crise du productivisme et de nos démocraties), philosophique (crise de la culture moderne) et spirituelle (crise de sens). Penser la crise écologique au travers de ses racines réoriente les questions d’engagement: s’engager passe aussi par transformer nos manières de penser. Si la crise se joue à différents niveaux, nous devons travailler l’engagement à ces différents niveaux.

Éduquer: Comment travaillez-vous l’engagement en formation?
E.DB.:
En tant qu’association d’éducation permanente, on va répondre à ces différents niveaux en donnant un rôle central à la dimension collective: faire groupe, travailler ensemble, se mettre en projet. Nos formateurs et formatrices disposent de repères et d’outils pour organiser la pluralité des réponses. Car l’engagement peut créer des tensions dans les groupes, ainsi que du découragement ou de l’enthousiasme. Leur mission est d’articuler les dimensions individuelle et collective sans les opposer ni les lisser. Notre formation «Engagement(s) et transition(s)» sur l’outil des «Saisons de l’engagement» permet d’identifier la diversité des personnes et leurs différences d’idées. Car il est vrai qu’il y a beaucoup de jugement entre personnes engagées. Parallèlement, on intègre dans nos formations la dimension émotionnelle et personnelle, avec un travail sur la gestion des émotions, l’éco-anxiété par exemple.

Éduquer: Il existe donc plusieurs façons de s’engager?
E.DB.:
Il y a plusieurs façons de s’engager, tout comme il y a plusieurs idées sur la manière de changer les choses. Nos engagements aux niveaux individuel et sociétal ont leurs forces et leurs faiblesses. Si l’on prend l’adoption des écogestes par exemple: ils font peser une pression énorme sur les individus mais ils représentent une formidable porte d’entrée dans l’engagement et une bonne manière d’éviter l’éco-anxiété, grâce à la reprise d’une maitrise sur le cours des choses qu’ils permettent. Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de réponse claire sur les moyens de changer la société, le doute sera toujours présent. Notre propos est de travailler la mise en mouvement et la construction, tout en sachant qu’une série de facteurs ne seront pas maîtrisés.

Éduquer: Comment gérer le doute?
E.DB.:
Être à l’écoute des personnes en mouvement et travailler cette question du doute permanent ne mène pas au désespoir, au contraire, cela s’avère passionnant. Quand on voit la crise écologique dans sa grande pluralité, il existe des milliers de portes d’entrée, notamment celle de l’inclusion des personnes défavorisées. Nous devons apprendre à mettre en lien les différentes crises, et notamment la crise écologique et la crise sociale, pour nous détacher du focus sur les seuls résultats de diminution de carbone.

Éduquer: Conseillez-vous une démarche particulière vis-à-vis des jeunes?
E.DB.:
Nos formations s’adressent aux éducateurs et éducatrices qui accompagnent leur public dans la transition. On leur propose de questionner leurs postures face à un public jeune, notamment pour veiller à ne pas les angoisser ni les culpabiliser, et à ne pas projeter leurs propres émotions qui pourraient mener au déni et à l’indifférence des jeunes.

Éduquer: Le déclic de l’engagement se produit-il à un moment donné?
E.DB.:
Cela dépend des personnes! Je pense plutôt qu’il s’agit d’un fil qui a été réveillé et qui va prendre sens à un moment. Même si ce moment est décisif, il aura été nourri par quantité d’autres éléments.

 

 

Écotopie, un laboratoire d’écopédagogie

Le thème de l'engagement à partir des questions environnementales est central chez Écotopie. Pour inviter à la transition écologique et au développement de l’écocitoyenneté, l’association se positionne en espace où les questionnements d’éducation à l’environnement, de pédagogie et de justice sociale se croisent et s’entremêlent. Recherches et publications, formations, accompagnement de projets, réalisations d’outils éducatifs, tels sont les moyens d’action d’Écotopie, un laboratoire qui explore une écopédagogie à la croisée de l’éducation permanente et de l’éducation relative à l’environnement.

Outil pédagogique: «Les saisons de l’engagement»

Destiné à toute personne active dans la sphère de l’éducation (privée, associative ou professionnelle), l’outil «Les saisons de l’engagement» d’Écotopie invite à se questionner sur les actions à mener pour transformer la société. Partant du principe qu’il n’existe pas d’engagement idéal ni de militant·e idéal·e, l’outil ne propose pas de recette miracle pour «sauver la Terre». Au contraire, afin que chacun·e trouve sa propre manière de s’engager dans la transition écologique, il invite à comprendre les différentes manières de s’engager et à identifier les actions associées. Il aide à se situer dans ses propres dynamiques d’actions et d’engagements, il permet d’en élargir le champ et d’explorer la complémentarité des différents types d’engagement.
À explorer en atelier découverte ou en formation de deux jours afin de pouvoir le transférer dans sa pratique.

Plus d’infos: https://ecotopie.be/publication/les-saisons-de-lengagement/

Formation: «Accompagner les changements de comportements»

Comment surmonter les résistances au changement? Comment appuyer et amplifier les changements individuels et collectifs déjà en œuvre? Quelle éthique peut-on se donner dans sa volonté de «changer les autres» ? La formation d’Écotopie «Accompagner les changements de comportements» s’adresse aux animateur·rices, formateur·rices, responsables pédagogiques, chargé·es de projet en environnement ou encore coachs en transition écologique. Elle vise à identifier les enjeux du changement, à en comprendre les processus, à identifier les postures d’accompagnement et à les lier aux crises environnementales, et ce par l’exploration des différentes étapes du changement à l’échelle individuelle puis collective, en lien avec le contexte socio-environnemental.

Plus d’infos: https://ecotopie.be/formation/changement-202403/

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