À nouvelle époque géologique, nouvelle éducation / Entretien avec Nathanaël Wallenhorst

Mercredi 7 mai 2025

Couverture du livre "Éduquer en Anthropocène"
Timothé Fillon, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Alors que les impacts humains sur la planète atteignent des seuils critiques, l’expert en sciences de l'environnement et de l'éducation Nathanaël Wallenhorst plaide pour une refonte en profondeur du système scolaire face aux défis de l'Anthropocène.

Docteur en sciences de l’environnement, en science politique et en sciences de l’éducation, Nathanaël Wallenhorst a écrit et dirigé une vingtaine d'ouvrages sur les incidences politiques et éducatives de l'entrée dans l'Anthropocène, cette nouvelle époque géologique marquée par les actions de l’espèce humaine. Il dirige la collection «En Anthropocène» des Éditions du Bord de l’eau. Dans son ouvrage Éduquer en Anthropocène1 , il insiste sur l’importance d’une refonte du système éducatif pour répondre aux enjeux de la transition écologique.

Éduquer: Comment éduquer en Anthropocène, comme le titre l’un de vos ouvrages?
Nathanaël Wallenhorst:
Bien qu’il y ait des évolutions dans certains programmes scolaires, notre compréhension collective n’est pas à la hauteur des enjeux de l’Anthropocène. Les connaissances s’accumulent dans les rapports du GIEC, dans des articles scientifiques, dans des bibliothèques empoussiérées ou dans des serveurs informatiques. Et pourtant elles peinent encore à s'ancrer véritablement dans nos modes de vie et de pensée. Pendant ce temps, le climat s'emballe, les écosystèmes s'effondrent et nos sociétés s'accélèrent. Nos conditions d’existence sont entrées dans un vortex: le savoir n’est pas encore suffisant, il faut agir.

«Une des finalités contemporaines de l’éducation devrait être de contenir l’emballement du système Terre.»

Éduquer: Quelle place peut prendre l’enseignement?
N.W.:
Une des finalités contemporaines de l’éducation devrait être de contenir l’emballement du système Terre. Cette requalification du rôle de l’enseignement déploie une véritable trajectoire politique. Il s'agit d'intégrer les limites planétaires, de produire des désirs plus en phase avec elles, et de pousser les citoyens et citoyennes à plaider pour des lois qui inscrivent plus de limites à nos actions individuelles.

Éduquer: Vous différenciez l’éducation «à» l’Anthropocène de celle «en» Anthropocène. Pouvez-vous développer?
N.W.:
Premièrement, il y a la question des savoirs biogéophysiques et sociopolitiques permettant de comprendre la Terre et le monde. C'est ce que nous désignons par l'éducation «à» l'Anthropocène. Un prérequis fondamental pour sortir des logiques d'obscurantisme. Deuxièmement, l’enjeu de l’éducation est encore plus profond que la transmission de ces bases. Éduquer «en» Anthropocène nécessite de redéfinir la place de l’éducation dans la société. Les transformations à mettre en place sont aussi radicales que celles qui ont permis l’émergence de l’éducation. D’un point de vue macrohistorique, l’éducation est apparue dans le prolongement de l’Holocène. Les pratiques éducatives se sont ensuite progressivement sédimentées. De nombreuses pensées pédagogiques sont venues les accompagner théoriquement. Le passage de l’Holocène à l’Anthropocène recommande de revoir fondamentalement les pratiques éducatives. Une nouvelle époque géologique nécessite une nouvelle éducation.

 

  • 1WALLENHORST N. et PIERRON J.-P. Éduquer en Anthropocène, Éditions Le Bord de l'eau, 2019.

L’Anthropocène, une nouvelle époque géologique en débat

Le concept d'Anthropocène désigne une nouvelle époque géologique marquée par l'impact dominant des activités humaines sur les écosystèmes de la planète. Proposé pour la première fois en 2000 par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen, ce terme fait référence à l'influence considérable et désormais mesurable de l'être humain sur les grands cycles biogéochimiques terrestres.

Cependant, en mars 2024, l'Union internationale des sciences géologiques a rejeté l'inscription officielle de l'Anthropocène dans l'échelle des temps géologiques, faute d'un consensus sur la frontière temporelle avec l'Holocène, la période de relative stabilité climatique ayant précédé. Malgré ce débat, le constat est unanimement partagé dans la communauté scientifique: les empreintes de l'activité humaine sont désormais si prégnantes qu'elles modifient durablement la machine Terre.

Couverture du numéro 194 de la revue Éduquer

mai 2025

éduquer

194

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