
Gêne, tabou, moquerie, absence de produits périodiques, toilettes sales, inadaptées ou interdites d’accès, rareté de l’information: il peut être compliqué de vivre sereinement ses règles à l’école. Pour améliorer les infrastructures sanitaires et l’accès aux équipements et toilettes scolaires, il y a encore du chemin à parcourir, qui passe par la sensibilisation de l’ensemble de la communauté scolaire et de la société.
Les menstruations, règles, «ragnagnas» restent un tabou persistant dans notre société. Un tabou qui est même intériorisé par les femmes1 en faisant l’expérience tous les mois. À l’école, c’est pareil: on n’en parle pas, ou peu, ou mal. Les élèves manquent souvent d’explications sur le cycle menstruel et ses impacts, dans le corps, dans les relations ou encore sur la manière de «gérer» ses règles.
Et quand elles reçoivent de l’information à ce sujet à l’école, c’est souvent après la «ménarche», à savoir la période des premières règles. Si l’âge moyen des premières règles se situe autour de 12 ans, pour certaines filles, c’est déjà à l’école primaire que se vit la ménarche. Autant dire que dans l’enseignement fondamental, le sujet est quasi inexistant et les toilettes sont rarement équipées pour ce genre de situation.
Des petits coins peu adaptés
Outre une information sans tabou, complète et claire sur la santé menstruelle, les élèves réglées ont également besoin d’un accès à des produits périodiques et à des sanitaires adaptés. Si de plus en plus d’écoles mettent à disposition des adolescentes des serviettes menstruelles, c’est encore loin d’être une réalité partout. En général, les élèves dans le besoin comptent d’ailleurs sur la solidarité féminine. Cette solidarité entre copines s’exprime aussi lorsque le papier toilette vient à manquer ou pour vérifier les éventuelles taches sur le pantalon ou la jupe en période de règles. Les toilettes sont en cela un réel safe space, un espace sécurisé, pour s’échanger du matériel et pour parler de sujets intimes, dont les règles2 .
Le manque de propreté, d’équipement et d’intimité rend bien souvent les toilettes scolaires peu agréables. Les élèves ont d’ailleurs pris l’habitude de les fuir: un·e élève sur deux se retient pour ne pas aller aux toilettes à l’école3 ! Ce qui peut avoir des répercussions non négligeables sur la santé. Mais quand on a ses règles, éviter les petits coins, c’est vraiment difficile (et, évidemment, déconseillé). Alors, lorsque le papier toilette, la poubelle et le savon sont aux abonnés absents, autant dire que ça complique encore la tâche des adolescentes prises au dépourvu. Quant aux élèves qui ont opté pour une coupe menstruelle (mooncup), rien de plus dissuasif que les toilettes scolaires, puisqu’il est très rare que le lavabo, essentiel pour rincer sa cup, soit directement accessible dans la cabine.
Dans de nombreuses écoles, l’accès aux sanitaires reste une gageure. Pendant les récréations, le temps est compté, les toilettes bondées et l’intimité peu garantie. Pendant les cours, rares sont les profs qui autorisent leurs élèves à sortir sans surveillance, même pour se rendre aux toilettes. Et une jeune fille n’aura peut-être pas envie d’expliquer devant la classe que ça ne peut pas attendre, qu’elle doit impérativement changer sa serviette hygiénique…
Stratégies d’adaptation
Toilettes peu accueillantes, accès limité, absence de produits périodiques, équipement manquant… autant d’éléments qui peuvent conduire certaines élèves à adopter des stratégies. Se fabriquer des serviettes hygiéniques de fortune, à base de papier toilette ou de mouchoirs, ou garder leurs produits menstruels plus longtemps que recommandé, par exemple. Ces pratiques ont des conséquences négatives sur le bien-être et la santé: de l’inconfort, des irritations, voire des risques sanitaires importants, notamment en cas de port prolongé d’un tampon ou d’une cup menstruelle. Par ailleurs, les produits menstruels classiques comportent souvent des substances chimiques potentiellement néfastes pour la santé (parfums de synthèse, pesticides, etc.). Mais s’offrir des serviettes ou tampons biologiques n’est pas à la portée de toutes les bourses…
Autres conséquences, certes moins dramatiques mais tout de même difficiles à vivre pour les jeunes élèves réglées: les fuites et taches de sang sur le pantalon ou la jupe, qui provoquent la honte ou l’humiliation, parfois renforcées par les moqueries des autres élèves ou les réactions inappropriées d’adultes. Il n’est pourtant pas si facile de connaître et gérer son flux au début de l’adolescence, comme s’en souvient cette jeune fille: «Au tout début où j’avais mes règles, en 2e ou 3e secondaire, c’était à la fin du cours et je sentais qu’il fallait que j’aille aux toilettes, mais ce n’était pas encore le moment. J’ai attendu que tout le monde parte, puis je me suis levée et j’ai vu que j’avais taché toute la chaise à cause de mes règles. J’ai dû garder mon pantalon sale toute la journée, je n’étais pas à l’aise. J’avais juste envie de rentrer chez moi et de me changer4 .»
Les personnes menstruées ont aussi besoin d’accès à des soins. De nombreuses filles et femmes souffrent de douleurs dues aux menstruations (dysménorrhée). Certaines sont touchées par des maladies liées aux règles, comme l’endométriose5 . Il est important de pouvoir comprendre, soulager et soigner les douleurs liées au cycle menstruel. Et à l’école, cela passe par une information de qualité, des adultes à l’écoute et une infirmerie aux petits soins.
Une charge mentale et financière
A défaut d’avoir à leur portée des solutions structurelles, les jeunes élèves réglées sont sur-responsabilisées. Leur charge mentale s’alourdit: entre la difficulté de suivre un cycle souvent irrégulier au début et de prévoir des produits menstruels en suffisance, l’angoisse de ne pas pouvoir se changer à temps et les précautions vestimentaires, ou encore la douleur et les changements d’humeur, pas facile de se concentrer en classe et de se rendre disponible pour les apprentissages. Dans certains cas, cela peut entraîner l’absentéisme des élèves (une fille sur deux a déjà manqué l’école à cause de ses règles6 ), voire le décrochage scolaire et l’exclusion sociale. Des conséquences à long terme sur le bien-être, la dignité et l’estime de soi qui ne sont pas à négliger.
S’ajoute à cela la question de la précarité menstruelle, présente elle aussi sur le terrain scolaire. Selon une enquête récente menée en Fédération Wallonie-Bruxelles7 , trois répondantes sur dix rencontrent plus ou moins régulièrement des difficultés financières liées à l’achat de leurs protections périodiques tous les mois. Et cette précarité touche particulièrement les jeunes filles: 29% des répondantes âgées de 12 à 25 ans se sont déjà trouvées en situation de précarité menstruelle.
«Pour rendre les toilettes plus agréables, la solution de base paraît évidente: équiper les toilettes de tout le nécessaire, à commencer par le papier toilette.»
Leviers d’action
La problématique des règles à l’école est liée à de multiples facteurs. Elle nécessite donc une réponse globale, alliant des leviers d’action complémentaires et à différents niveaux. Examinons quelques-unes des pistes possibles au sein des établissements scolaires. Pour rendre les toilettes plus agréables, la solution de base paraît évidente: équiper les toilettes de tout le nécessaire, à commencer par le papier toilette. Placer, également, dans chaque cabine de toilettes une poubelle adaptée, avec couvercle, en vue de garantir la propreté des toilettes et l’intimité des élèves en période de règles. L’intimité passe aussi par des verrous sur les portes, des crochets pour accrocher son manteau et son sac et être à l’aise pour se changer, des portes et parois qui garantissent un maximum l’intimité sonore. Et, si c’est possible, installer un lavabo à l’intérieur des cabines sanitaires.
Il faudrait aussi donner accès aux produits menstruels, en garantissant leur distribution gratuite dans l’école. Idéalement, cela passe par l’installation de distributeurs de serviettes et tampons, de préférence biologiques, directement dans les toilettes ou à proximité. De cette façon, en cas de besoin, les élèves y ont accès là où elles en ont l’utilité (plutôt que de devoir passer par le secrétariat ou le bureau des éducateurs et éducatrices pour demander une serviette).
Autre piste: se mettre en réflexion autour de l’accès aux toilettes. Si faciliter l’accès aux toilettes pendant les cours est essentiel pour le bien-être de chaque élève (et notamment des élèves réglées), il est aussi important de tenir compte des spécificités propres à chaque école et des contraintes de l’ensemble du personnel scolaire. Pour réguler l’accès et éviter les embouteillages, des solutions existent: laisser un élève à la fois quitter le cours pour se rendre aux toilettes ou créer un système de «badge toilette» sont des astuces qui reviennent fréquemment. Avoir des sanitaires à chaque étage et peu éloignés des classes facilite par ailleurs grandement les choses.
«Il s’agit de lever le tabou des règles et de leur gestion à l’école. Cela passe par un climat bienveillant, via des espaces formels et informels permettant aux filles d’aborder en toute confiance ces questions intimes.»
Enfin, il s’agit aussi de lever le tabou des règles et de leur gestion à l’école. Cela passe par un climat bienveillant, via des espaces formels et informels permettant aux filles d’aborder en toute confiance ces questions intimes entre elles. Avoir aussi la possibilité d’en parler, d’échanger, de s’informer auprès d’une personne référente adulte. En parallèle, prévoir des moments d’information en séance mixte pour banaliser le sujet avec et auprès des garçons permet de développer leur empathie et de lutter contre les stéréotypes et inégalités de genre. Les informations sur les règles sont avant tout des informations de santé. Parler des règles de manière plus décomplexée dans le cadre de cours qui abordent les questions de santé (éveil, biologie, éducation physique, etc.) peut également être un moyen de lever le tabou.
Mener des actions de sensibilisation pour et par les élèves permet aussi de banaliser ce phénomène naturel, de diminuer les moqueries sur le sujet et donc de rendre la vie des élèves menstruées plus facile. Cela passe également par la sensibilisation des équipes éducatives et pédagogiques elles-mêmes, notamment pour que les douleurs liées aux règles et la charge mentale qu’elles représentent soient mieux prises en compte.
«Les informations sur les règles sont avant tout des informations de santé. Parler des règles de manière plus décomplexée dans les cours est également un moyen de lever le tabou.»
Ça bouge (ou presque)
Dans tous les cas, qu’il s’agisse de rénover les toilettes de l’école, d’en repenser l’accès ou de réfléchir à des solutions sur les équipements et produits mis à disposition, l’une des clés de réussite passe la participation et l’implication effective des élèves dans le processus. Des élèves, mais aussi de l’ensemble du personnel, dont le personnel d’entretien, afin de tenir compte des réalités et des contraintes de toutes et tous.
Parfois, l’initiative vient d’ailleurs des élèves elles-mêmes. «On a lancé un projet qui visait à créer des boîtes pour mettre à disposition des protections périodiques dans toutes les toilettes de l’école. Et à côté, on menait des actions de sensibilisation», témoignent deux anciennes élèves à l’origine du projet «Boîtes Sang Tabou»8 . Des initiatives similaires ont vu le jour dans plusieurs écoles. S’il est essentiel d’encourager les actions émanant des élèves et soutenues par les équipes pédagogiques, on peut aussi légitimement se poser cette question: est-ce aux élèves de trouver des solutions pour que chacune puisse disposer de ce matériel de base?
Des actions doivent être prises en d’autres sphères décisionnelles. En certains endroits, ça bouge. La Communauté germanophone, par exemple, a décidé en 2022 d’installer des distributeurs de produits périodiques dans toutes les écoles de l’enseignement communautaire. En Wallonie et à Bruxelles, des projets pilotes émergent çà et là. Depuis 2023, Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) propose aux écoles de son réseau le programme «Sang Stress. Les règles, c’est naturel»9 . Ce programme vise à mettre à disposition des élèves des produits menstruels via des distributeurs afin d’assurer leur sécurité menstruelle. Un volet sensibilisation y est également développé, en collaboration avec l’association BruZelle.
Un défi de taille serait de généraliser la distribution de produits menstruels gratuits dans toutes les écoles, tous réseaux confondus, et de soutenir davantage encore la sensibilisation à cette thématique en milieu scolaire. Il s’agit là d’activer des leviers législatifs qui, pour l’heure, peinent à prendre…
Pourtant, lever le tabou des règles, améliorer l’état des toilettes et lutter contre la précarité menstruelle sur le terrain scolaire, c’est questionner et interpeller l’ensemble de la communauté scolaire et oser espérer des répercussions sur la société dans son ensemble. Aussi anodin que le sujet puisse paraître, on est pourtant là au cœur d’enjeux fondamentaux en termes de santé publique, d’égalité de genre, de respect des droits et de justice sociale. Rien que ça.
Pour aller plus loin
Lire également Règles et précarité menstruelle à l’école… et si on en parlait?, une publication de l’asbl Question Santé et du programme «Ne tournons pas autour du pot» du Fonds BYX (Fondation Roi Baudouin), disponible sur commande, en téléchargement ou en consultation sur https://questionsante.org/outils/regles-et-precarite-menstruelle-a-leco…
- 1Nous parlons ici de (jeunes) femmes, adolescentes, filles, mais certains garçons et hommes transgenres et les personnes non binaires ont également leurs règles. Certaines associations utilisent le terme de «personnes menstruées» pour ne pas réduire les règles à une expérience strictement féminine.
- 2BRODY A., CHICHARRO G. , COLIN L. et GARNIER P. Les «petits coins» à l’école: genre, intimité et sociabilité dans les toilettes scolaires, Eres, 2023.
- 3Plus d’infos via le programme «Ne tournons pas autour du pot!» sur https://netournonspasautourdupot.be
- 4 Témoignage d’une ancienne élève dans le webinaire Les règles à l’école: et si on en parlait? organisé par «Ne tournons pas autour du pot!» le 19/4/2023: www.youtube.com/watch?v=UqNo1OhYS3g
- 5Voir la publication Endométriose: la douleur des femmes, c’est pas dans la tête!, Question Santé, disponible via https://questionsante.org/outils/endometriose-la-douleur-des-femmes-pas…
- 6Donnée issue du site «Sang Stress»: www.wbe.be/sangstress
- 7Infos et résultats sur www.securitemenstruelle.org
- 8Témoignage issu du webinaire Les règles à l’école: et si on en parlait?, Op. cit. Plus d’infos sur «Boites Sang Tabou» via www.instagram.com/boites_sang_tabou
- 9Plus d’infos sur www.wbe.be/sangstress et sur www.bruzelle.be
Et les enseignantes?
Il va de soi qu’à l’école, il n’y a pas que les élèves qui sont réglées. Les enseignantes sont elles aussi concernées. En moyenne, 70% des postes dans l’enseignement sont occupés par des femmes. Et elles sont encore plus nombreuses dans l’enseignement fondamental et le spécialisé. Pour ces institutrices et enseignantes, impossible de laisser leur classe sans surveillance durant les cours le temps d’une pause toilettes. Et bien souvent, durant la récréation, les intercours ou les temps de pause, c’est également la course pour répondre aux multiples sollicitations. Réglées ou non, passer aux petits coins, c’est bien souvent mission impossible. Non sans conséquences sur leur santé…
Endométriose: la douleur des femmes, c’est pas dans la tête!

Une femme sur dix est atteinte d’endométriose, soit environ 600.000 personnes en Belgique et 190 millions à l’échelle mondiale. Cette maladie gynécologique, complexe et aux symptômes variables, semble sortir de l’ombre depuis peu. Elle est davantage médiatisée. Elle suscite l’intérêt des équipes médicales et du monde politique. Mais face à la douleur des femmes trop longtemps gardée sous silence, il y a encore du chemin à parcourir, en termes de recherche scientifique, de reconnaissance de la maladie et de moyens alloués pour mieux diagnostiquer, suivre et traiter les patientes.
Face à la douleur des femmes, la brochure réalisée par l’asbl Question Santé Endométriose: la douleur des femmes, c’est pas dans la tête! propose d’explorer cette maladie dans une perspective sociétale, au travers des voix de femmes qui en souffrent.
Plus d’infos sur https://questionsante.org/outils/endometriose-la-douleur-des-femmes-pas…
L’intimité, un jardin secret malmené?

Dans sa brochure L’intimité, un jardin secret de plus en plus malmené?, l’asbl Question Santé propose une réflexion autour de la notion d’intimité. Qu’est-ce que l’intimité? Comment la préserver et que peut-on révéler de son intimité à l’heure des réseaux sociaux? Si jusqu’il y a peu, cela ne se faisait pas de parler de sujets intimes dans l’espace public, les nouveaux outils numériques ont quelque peu changé les façons de faire. Sur Internet et les réseaux sociaux, on consomme certes de l’information, mais on en produit également beaucoup. Communiquer nous semble essentiel, mais quelle part de l’intimité doit être préservée? À l’inverse, quels sont les sujets intimes qui méritent d'être (davantage) exposés, révélés en vue de la mise en place de solutions collectives?
Plus d’infos sur https://questionsante.org/nos-actualites/actualites/nouvelle-publicatio…