L’éducation à l’environnement, un enjeu pensé en réseau

Jeudi 9 novembre 2023

© Athénée Leonardo Da Vinci à Bruxelles
© Athénée Leonardo Da Vinci à Bruxelles
Marie-Francoise Holemans, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Quelque 145 associations actives en Wallonie et à Bruxelles ont comme cœur de métier l’éducation relative à l’environnement. Pour offrir au monde de l’éducation une information claire et centralisée, elles se sont structurées en réseau dès 1989 sous la bannière du Réseau IDée, pour Information et Diffusion en éducation à l'environnement.

La question de l’engagement est au cœur de la démarche des 145 associations réunies dans le Réseau IDée. Quelles que soient leurs thématiques et leurs approches, qu’elles s’adressent à un public de jeunes ou d’adultes – dans l’enseignement, l’animation, la formation, l’écoconseil ou la sphère privée – cette question de l’engagement est source de réflexions approfondies et de propositions de réponses structurées. Par le biais d’une éducation accessible et adaptée aux besoins du monde contemporain, l’éducation à l’environnement vise en effet à atteindre une gestion responsable et solidaire de l’environnement et des ressources, tout en développant l’épanouissement des personnes et des communautés à travers leurs relations à l’environnement et à la nature.

Construire son identité environnementale

Selon Lucie Sauvé, professeure au département de didactique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et citée par le Réseau IDée, «L’éducation relative à l’environnement est essentielle au développement de sociétés responsables. Au plan personnel, elle vise à construire une “identité” environnementale, un sens de l'être-au-monde, une appartenance au milieu de vie, une culture de l'engagement. À l'échelle des communautés, puis à celle de réseaux de solidarité élargis, elle vise à induire des dynamiques sociales favorisant l'approche collaborative et critique des réalités socio-écologiques et une prise en charge autonome et créative des problèmes qui se posent et des projets qui émergent.»
L’éducation à l’environnement s'adresse donc à toutes et tous, et de tout âge, peu importe le cadre dans lequel elle s’inscrit: école, travail, formation, loisirs, projets collectifs ou vie de famille. Elle se concrétise par de multiples actions dans une grande variété d’approches et elle concerne de nombreux enjeux environnementaux comme l’agriculture, le climat, la biodiversité, la mobilité, l’énergie, la consommation ou encore la solidarité ou la santé.  
Mais face à l’inaction, comment aborder la question du changement climatique et quels leviers utiliser pour changer les comportements? «Ce n’est pas tant l’éducation qui va permettre de changer globalement les comportements que les réglementations. Mais l’éducation va y contribuer, préparer les esprits, les aiguiser, montrer et faire expérimenter d’autres pratiques, développer l’imagination, l’esprit critique…» D’emblée, Christophe Dubois, directeur général du Réseau IDée, apporte une première réponse à cette question que se posent les organismes d’éducation à l’environnement reliés en réseau depuis près de 35 ans.

«Pour y répondre, nous adoptons une approche tête-cœur-main, que nous avons formalisée dans la Spirale de l’ErE, un parcours en sept étapes, tel un fil conducteur pour guider les actions des associations, poursuit Christophe Dubois dans un long entretien qu’il nous a accordé. D’abord il y a la tête. Elle représente les connaissances. Car même à notre époque, certaines personnes ne disposent pas encore des connaissances minimales face à l’urgence environnementale. Les associations, tout comme les médias, ont encore un effort de vulgarisation et de conscientisation à fournir. Notre travail consiste aussi à nous interroger sur les informations utiles à diffuser pour éveiller à la lucidité face aux bouleversements en cours, tout en donnant l’envie de s’engager pour changer les choses. »

«C’est le comportement lui-même qui change les comportements: on pose un acte, puis le suivant, puis encore un autre plus important, et on y trouve de la satisfaction. En le vivant, on se rend compte qu’il ne représente pas seulement une privation, mais aussi une source de sens, de lien social et de plaisir.»

Donner une place à l’émotion

Vient ensuite le cœur, selon Christophe Dubois: «Il est essentiel de travailler la problématique des émotions car lorsqu’on informe et sensibilise, l’éco-anxiété du public peut se développer. L’éducateur ou l’éducatrice doit avoir géré ses propres émotions avant de pouvoir accueillir celles des enfants et des adultes présent·es en formation ou en animation. Car si l’éco-anxiété est susceptible de faciliter l’engagement, elle peut tout aussi bien paralyser le passage à l’action. En outre, plus on se conscientise, plus on a envie de s’engager et plus on augmente son anxiété. C’est une spirale! La question suivante est celle-ci: que fait-on de cette anxiété? Il est essentiel de s’interroger sur le dérèglement climatique et sur les changements inévitables à mettre en œuvre, et d’en faire une force, car les effets sont déjà là.»
Et la main? Elle représente l’action, explique Christophe Dubois: «Il ne faut pas attendre que l’action vienne d’en haut. On peut se mettre en action individuellement, mais le plus important, c’est de s’engager dans des actions collectives afin de réaliser qu’à cette échelle, on a déjà un impact positif. Lors d’un colloque sur les changements de comportements que nous avons organisé en 2006, il est ressorti que c’est le comportement lui-même qui change les comportements: on pose un acte, puis le suivant, puis encore un autre plus important, et on y trouve de la satisfaction. Ce changement permet de se rendre compte, en le vivant, qu’il ne représente pas seulement une privation, mais aussi une source de sens, de lien social et de plaisir, d’où l’importance du collectif.»
Selon les thématiques et les publics qui font leur spécificité, les associations d’éducation à l’environnement privilégieront des approches davantage axées sur la tête (les connaissances et l’esprit critique, à travers des rencontres et des expériences par exemple), le cœur (la découverte grâce à des approches sensorielles et de sensibilisation d’enfants ou d’adultes) ou la main (l’implication des jeunes dans un projet de gestion environnementale de l’école par exemple). Ces approches s’inscriront dans une ou plusieurs des étapes complémentaires identifiées dans la Spirale de l’ErE (voir encadré).

Biais cognitifs et sentiment d’impuissance

Toutefois, selon Christophe Dubois, la plus grande difficulté pour changer les comportements et les maintenir dans la durée, en particulier en matière de climat, réside dans l’influence des biais cognitifs, ces schémas de pensée trompeurs et faussement logiques auxquels les individus sont soumis: «Il y a d’abord le biais de confirmation, cette tendance à privilégier les informations qui confirment nos hypothèses et à rejeter celles qui viendraient les mettre en cause. Il y a ensuite le biais d’optimisme, qui touche 80 à 90% de la population: notre cerveau nous laisse croire que les événements négatifs qui concernent l’avenir ne nous atteindront pas et que le réchauffement nous touchera moins que les autres. Et plus l’incertitude est élevée, plus le biais d’optimisme est renforcé.»
Un autre obstacle au changement, difficile à vivre, est la dissonance cognitive, également active en matière de déni climatique : «Lorsqu'un individu agit en contradiction avec ses propres cognitions, explique Christophe Dubois, il cherche alors à limiter ce conflit interne en trouvant des justifications à son comportement. L’enjeu, ici, est d’accepter que l’on peut ne pas être cohérent sur toute la ligne. Autre frein sérieux, le sentiment d’impuissance: dans un système complexe, il est important d’avoir le sentiment de pouvoir agir à son niveau. Et les études montrent que ce sentiment est plus élevé si on se sent bien, reconnu et soutenu, si on sent qu’on a les capacités, les moyens et le choix, si on peut anticiper l’impact de nos projets et de nos actions, et si on peut vivre des réussites. C’est un travail d’éducation de longue durée! Enfin, l’incapacité à penser à long terme est malheureusement une caractéristique de l’être humain avec laquelle il faut composer…»

La guerre des récits

Des aspects plus sociaux, comme l’importance de l’appartenance de l’individu au groupe et à la vision du monde de celui-ci, peuvent entraver la transition. Mais, avant tout, ce sont les récits dominants. Christophe Dubois pointe leur influence et interroge la notion de normalité: «Nous vivons dans une société de la croissance. On en fait toujours plus et on en arrive à souffrir de plus en plus de burn-out. Une telle société, en croissance infinie, ne peut plus durer. Cependant, nous évoluons dans un système: notre tâche est d’éviter les discours simplistes, de proposer des récits inspirants, lucides et mobilisateurs.»
En définitive, que signifie «changer de comportements»? «Si on cherche un impact énorme et rapide, il faut passer par le politique! Le dérèglement climatique – et plus largement le dépassement des limites planétaires – est une thématique complexe qui appelle une véritable révolution culturelle et sociétale. Au regard de ce qui est nécessaire pour rester dans les limites planétaires, changer de comportements, ce n’est pas seulement éviter les déchets, prendre davantage les transports en commun, consommer local, isoler nos logements, diminuer les niveaux de production et de consommation (sur lesquels repose toute notre économie), etc. C’est tout ça, mais dans des proportions radicales. Zéro émission en 2050, c’est laisser dans le sol tout ce qui reste de sources d’énergie fossile, diviser par 3 le parc automobile et les kilomètres parcourus, arrêter (ou presque) de prendre l’avion, c’est revoir nos modèles agricoles et alimentaires. C’est changer complètement de logiciel mental et sociétal, de mode de vie. Mais ce mode de vie qui nous semble ascétique, en fait, correspond déjà à la réalité de la grande majorité des habitants de la planète.»

Apprendre à s’adapter à l’inconnu

«Changer de comportements, conclut Christophe Dubois, c’est aussi apprendre à s’adapter à ce qu’on n’a jamais vécu, et qu’on n’avait pas prévu, comme les inondations ou la sécheresse. Par exemple, repenser le territoire après les inondations, être plus compétent la prochaine fois, cela relève d’un véritable apprentissage. Cette éducation à la complexité est l’un des enjeux majeurs de notre époque. Et il y a urgence à remettre du lien dans tout ce qui a été saucissonné, car avec le dérèglement climatique, quand on tire sur un fil, c’est toute la structure qui bouge: économie, politique, société, individu… D’où l’importance d’un parcours éducatif, qui veillera à développer le regard critique sans moraliser ni culpabiliser, pour donner aux personnes des clés pour agir, notamment grâce à la force de l’exemple et
de la créativité, et leur permettre de retrouver un sentiment de contrôle. Et comme il n’existe pas de formule magique à la question de l’engagement, on est encore en pleine quête et cela laisse la place à l’innovation pédagogique!»

Photo: © Athénée Leonardo Da Vinci à Bruxelles

L’éducation relative à l’environnementen substance

Pour qui?
L’éducation relative à l’environnement (ErE) touche un très large public: enfants et jeunes en milieu scolaire ou parascolaire, enseignant·es, mouvements de jeunesse, familles, adultes, entreprises ou encore pouvoirs publics.

Comment?
Par diverses approches et méthodologies – active, immersive, globale (physique, affective, cognitive, imaginative) ou critique – l’ErE se traduit sous différentes formes: informer, sensibiliser, animer, former, accompagner ses publics pour leur permettre d’agir individuellement ou collectivement au bénéfice de l’environnement.

Par quels principes?
1. Une pédagogie active basée sur le vécu de la personne et qui l’incite à devenir responsable de son développement, tout en lui donnant les acquis nécessaires.
2. Le contact direct avec le vivant, car c’est en se sentant connecté à la nature que l’on peut se rapprocher d’autres enjeux environnementaux, tel le dérèglement climatique, qui paraissent plus éloignés.
3. Une démarche écosystémique dans laquelle l’environnement est pris dans sa réalité globale – scientifique, légale, sociologique, sociale et économique – afin d’agir concrètement comme faisant partie intégrante du système.
4. Une démarche citoyenne visant à conscientiser et responsabiliser pour que chacun·e se sente appartenir et agisse sur son environnement pris au sens large.

 

La Spirale de l’ErE: un parcours éducatif en sept étapes

Fruit d’une réflexion collective1 , le parcours de l’ErE est un ensemble d’étapes complémentaires en forme de roue, de progression continue. Si l’ordre des étapes n’est pas strict, il est toutefois conseillé, certaines étapes pouvant davantage être développées en fonction des thématiques abordées et des publics.
L’idée derrière cet outil? Servir de guide à tous les acteurs et actrices de l’éducation – animation, formation, enseignement, parascolaire, mouvements de jeunesse, parents – qui contribuent à forger une éducation à l’environnement auprès des personnes et des groupes, sur diverses thématiques, dès leur plus jeune âge et tout au long de la vie. Au final, l’enfant, l’ado, l’adulte doivent pouvoir être en contact avec l’une de ces différentes approches.
Même si elle est conçue pour soutenir et structurer le travail des associations d’éducation à l’environnement, ainsi que pour évaluer la complémentarité de leur offre, la Spirale de l’ErE peut aussi servir de grille d’analyse à titre individuel, pour évaluer son propre parcours d’éducation à l’environnement…
1. Se familiariser avec la thématique: visionner un film, observer la nature dans la cour de récréation, lire un ouvrage jeunesse, par exemple.
2. Vivre des expériences de découverte: développer une dimension affective en méditant au pied d’un arbre, en se choisissant un totem d’insecte, en participant à un atelier d’écriture en pleine nature, etc.
3. S’informer, comprendre: rechercher des informations, apprendre et analyser les faits.
4. Développer son esprit critique, se positionner: évaluer ses actes individuels en fonction de ses valeurs.
5. Participer de manière encadrée: se mettre en mouvement avec les autres pour se rendre compte de la complexité de notre écosystème.
6. Agir de manière autonome et collective: par exemple, réaliser un audit énergétique de l’école (action collective) et interpeller les autorités locales après l’audit (effet individuel).
7. Évaluer, communiquer: partager ses réflexions.

  • 1Réflexion entamée lors de la rédaction de la stratégie wallonne de l’ErE en 2016.

L’éducation à l’environnement des adultes: une approche plus politique des enjeux

Parmi les 145 associations actives en éducation à l’environnement regroupées au sein du Réseau IDée, 17 d’entre elles sont reconnues en éducation permanente. Que ce soit sous la forme de publications, d’animations, de formations, d’accompagnement de projets citoyens ou de plaidoyers, leurs activités se distinguent en ce qu’elles visent à améliorer les connaissances des adultes, à développer leur regard critique et à favoriser ainsi leur épanouissement personnel dans la perspective d’une citoyenneté active et participative.
S’adressant à un public plus mature, ces associations peuvent aborder des thématiques plus complexes et éventuellement plus anxiogènes, telles que l’effondrement et la collapsologie, et elles peuvent adopter une approche plus politique des enjeux environnementaux, une analyse critique du système et une traduction concrète sur les alternatives possibles.
Chacune dans leur spécialité, les associations listées ci-dessous participent ainsi à l’élaboration d’une société plus juste, plus démocratique et plus solidaire grâce à la formation et l’engagement de leur public.
- Les Amis de la Terre Belgique: https://www.amisdelaterre.be/
- Canopea: https://www.canopea.be/
- CÉMÉA - Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Éducation active: https://www.cemea.be/
- Cercles des Naturalistes de Belgique: https://cercles-naturalistes.be/
- Le Début des Haricots: https://www.haricots.org/
- Ecoconso: https://www.ecoconso.be/
- Ecotopie - Laboratoire d'Écopédagogie: https://ecotopie.be/
- Education Environnement: https://www.education-environnement.be/
- Espace Environnement: https://www.espace-environnement.be/
- Inter-Environnement Bruxelles: https://www.ieb.be/
- Natagora: https://www.natagora.be/
- Nature & Progrès: https://www.natpro.be/
- Nature Attitude: https://www.natureattitude.be/
- L’Orée - Organisme régional d'Education à l'Environnement: https://oreeasbl.wordpress.com/
- Rencontre des Continents: https://rencontredescontinents.be/
- Réseau IDée - Information et Diffusion en Éducation à l'Environnement: https://www.reseau-idee.be/
- WWF Belgique: https://wwf.be/fr

 

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