La gériatrie est une discipline relativement récente par rapport aux autres spécialités médicales et c’est l’une des premières à intégrer la pluridisciplinarité. Elle se consacre en effet aux maladies et troubles du vieillissement dans une perspective large, à la fois clinique, psychologique et sociale, en privilégiant le maintien du bien-être des patient·es. Rencontre avec la Docteure Amira Jamai, gériatre, pour nous éclairer sur les aspects de la santé à un âge avancé.
Éduquer: Comment définir la vieillesse?
Dr Amira Jamai: Je préfère parler de troisième âge ou de grand âge, plutôt que de vieillesse. La vieillesse est un concept abstrait. En effet, on peut être vieux très jeune si la qualité de vie est altérée ou si l’on ne formule plus de projet de vie. Comme il n’y a pas d’âge précis pour être «vieux», utilisons plutôt le terme «âgé». L’âge se comptabilise aisément. En revanche, le vieillissement du corps est quant à lui un phénomène évolutif. En prenant de l’âge, les fonctions réparatrices des cellules de nos organes diminuent progressivement, leur équilibre devient précaire et on est davantage sujet à des maladies spécifiques. Il faut savoir que dès notre naissance, la date de mort de nos cellules est programmée, à moins qu’un accident ou une maladie ne se présentent plus tôt.
Éduquer: Quelles sont les caractéristiques du vieillissement?
A.J.: Sur le plan physique, l’ensemble du corps et des organes ont l’âge de la personne, ce qui implique une fragilité et un ralentissement de fonctionnement, même en prenant bien soin de soi. Il en va de même sur le plan intellectuel et de la mémoire: on apprend moins vite à 90 ans, mais on reste capable de suivre des cours, d’étudier et de retenir! Les troubles de la mémoire et les démences sont des fonctionnements anormaux, ils ne sont donc pas une fatalité. Sur le plan social par contre, ça n’a pas toujours été positif. A mon sens, les personnes âgées ne sont pas assez respectées, en particulier quand elles présentent des déficits ou des dépendances. L’attitude et l’âgisme ont aussi une origine culturelle. Je peux aisément comparer cette situation à celle du Maroc: là-bas, les maladies de la mémoire sont prises pour de la folie que l’on cache, par contre les personnes âgées sont beaucoup mieux considérées et entourées; encore que là aussi, on commence à voir apparaître des centres de jour et des maisons de repos… En Belgique, la société commence lentement s’intéresser au bien-être des aîné·es, les politiques en ce sens ne sont pas suffisamment développées mais une réflexion sur leur qualité de vie semble s’amorcer.
Éduquer: À quel moment consulte-t-on en gériatrie?
A.J.: A l’origine, cette spécialisation de la médecine interne concernait la personne âgée de plus de 65 ans. Cette définition a été revue: si l’âge des patients est pris en compte, c’est surtout le critère pluripathologique qui détermine leur prise en charge. Il est logique qu’une personne de 90 ans multiplie les pathologies parce que ses organes ont le même âge, mais il arrive que des corps plus jeunes, de moins de 65 ans, soient déjà déficients et présentent plusieurs pathologies. Ces personnes sont également admises dans les services de gériatrie.
Éduquer: Qu’est-ce qui différencie la gériatrie de la médecine générale?
A.J.: Le fondement et l’intérêt de cette discipline, c’est la prise en charge globale et multidisciplinaire des pathologies. Le/la patient·e gériatrique hospitalisé·e peut recevoir l’avis d’autres spécialistes mais il/elle continue à bénéficier de notre coordination et de notre suivi. Outre cet accompagnement, notre discipline est spécialisée dans les grands syndromes gériatriques: la dénutrition, les chutes, la confusion, les pertes d’indépendance et d’autonomie. En cela, pour moi, la gériatrie touche à toutes les disciplines médicales!
«En gériatrie, ce n’est pas la quantité de vie qui importe, mais bien la qualité de vie. C’est certainement un privilège de pouvoir vieillir, mais le maintien de l’état de bien-être est primordial»
Éduquer: Quelles sont les particularités de votre discipline?
A.J.: En gériatrie, ce n’est pas la quantité de vie qui importe, mais bien la qualité de vie. C’est certainement un privilège de pouvoir vieillir, mais le maintien de l’état de bien-être est primordial. Ainsi, une personne peut être très heureuse, même avec une démence avancée! Ce qui peut nous sembler invivable avec notre regard de jeune adulte ne l’est pas nécessairement à un âge plus mûr. D’autant que chaque personne ressent sa maladie différemment. Il faut beaucoup discuter avec elle et être capable de remettre en question nos propres convictions. D’où notre approche à la fois somatique, psychologique et sociale. Cette démarche implique l’intervention de toute une équipe de praticien·nes – psychologue, neuropsychologue, ergothérapeute, kinésithérapeute, logopède et assistant·e social·e – ce qui offre aussi l’avantage de partager en équipe la prise de certaines décisions.
Éduquer: Comment se prennent les décisions difficiles?
A.J.: Dans notre discipline, le/la patient·e est au centre. Si il/elle n’est plus capable de décider seul·e, nous nous appuyons sur le bon sens, sur les décisions que la personne aurait prises si elle avait pu choisir. En cas de démence, la psychologue de notre centre utilise la technique de la communication facilitée, basée sur le non-verbal, qui peut nous donner de précieuses indications. Nous travaillons également en concertation avec la famille, nous discutons avec elle de l’intensité des soins ou des dispositions de fin de vie, mais nous ne nous plions pas nécessairement à ses désirs: si nous constatons que le patient est bien, nous le laissons s’en aller à son aise, en lui apportant des soins palliatifs si nécessaire.
Éduquer: Comment rester en bonne santé quand on avance en âge?
A.J.: Il faut prendre soin de soi! Bien entendu, il faut éviter les facteurs de risque de cancers comme le tabac ou l’alcool. Mais avant tout, il faut conserver une activité physique, même modérée, de 30 minutes par jour, quitte à la pratiquer en trois fois 10 minutes. Ensuite, on reste en meilleure santé plus longtemps si on multiplie les contacts sociaux, que ce soit en promenant le chien, en jouant aux cartes, en allant au bal ou au cinéma avec des copines et, surtout, en entretenant des liens intergénérationnels. Il est prouvé que les contacts sociaux combinés à l’exercice quotidien sont au moins aussi efficaces que les médicaments dans le ralentissement des maladies de la mémoire. Et enfin, avec l’aide éventuelle d’un·e diététicien·ne, il faut adopter une alimentation saine. Ces pratiques ne guérissent pas certaines maladies mais elles contribuent à une meilleure qualité de vie, à rendre le vieillissement plus confortable.
Illustration: Photo de Dominik Lange sur Unsplash
Dr Amira Jamai, gériatre de proximité
Quand elle effectuait ses stages de jeune médecin, la Docteure Amira Jamai voulait mener sa carrière en médecine d’urgence, pour la diversité des interventions qu’elle offrait. Mais désireuse de pouvoir assurer le suivi de sa patientèle, elle s’est ensuite dirigée vers la gériatrie, cette spécialisation interdisciplinaire de médecine interne. Après un parcours qui l’a menée du CHR de Soignies à la Clinique Ste-Anne/St-Rémi, elle a quitté le milieu hospitalier pour proposer une médecine gériatrique de proximité. Elle a rejoint le centre créé par Anne-Marie Halconruy, La Maison pluridisciplinaire, premier cabinet gériatrique extrahospitalier de Belgique. Les patient·es s’y rendent quand cela est possible ou c’est l’équipe du centre qui se déplace à domicile ou en maison de repos, grâce aux contacts entretenus avec les médecins traitants et les institutions.
Plus d'infos: https://www.facebook.com/LaMaisonPlurisciplinaire